Portrait : trois recruteurs en quête de talents africains
Ils ont en commun la conviction que le continent regorge de compétences qui ne demandent qu’à être mises en valeur. Rencontre avec trois recruteurs résolument tournés vers l’Afrique.
L’entrepreneuriat, une arme antichômage?
Comment satisfaire les 10 millions d’Africains qui entrent chaque année sur le marché du travail ? Pour éviter la crise, pouvoirs publics et investisseurs misent sur la création d’entreprises. Découvrez le dossier consacré par « Jeune Afrique » à cette question épineuse.
Le pionnier : Didier Acouetey, président fondateur d’AfricSearch
Dans les années 1990, le Togolais Didier Acouetey, qui vient de terminer des études de commerce et de marketing en France, est un militant associatif. Didier et ses compagnons, qui se réunissent dans le cadre de l’association Renaissance africaine, sont séduits par les modèles asiatiques et convaincus que l’une des clés qui permettraient de déverrouiller le développement politique et économique de leurs pays, « ce sont les ressources humaines ».
Or, à l’époque, « les grandes entreprises ne croyaient pas à l’existence de compétences africaines, alors même qu’elles affirmaient vouloir « africaniser » leur haute direction, se souvient Didier Acouetey. Renaissance africaine regorgeait justement de centaines de ces compétences dont elles ignoraient tout ».
Avec AfricSearch, le cabinet de recrutement qu’il fonde en 1996, il veut convaincre les jeunes cadres et étudiants expatriés de rentrer contribuer à l’essor de leur pays. D’autant que le continent connaît alors une dégradation de son enseignement. Vingt ans plus tard, « cette idée fait toujours partie de notre ADN », affirme le patron de 47 ans, qui a créé en 1999 AfricTalents, un salon de recrutement organisé à Paris, Dakar, Abidjan, Lomé et Douala. « C’est notre spécificité, nous voulons accompagner le développement de l’Afrique, poursuit-il. Pour transformer un pays, il y a trois leviers : l’État, la société civile et le secteur privé, qui crée de la richesse et transforme l’environnement. ».
L’aventurier : Alexandre Fabre, directeur associé d’Adexen
« J ‘ai toujours été attiré par l’Afrique, sans raison apparente, sans lien familial… », tente d’expliquer Alexandre Fabre quand on lui demande ce qui l’a poussé à fonder en 2005, avec Guillaume Imbert, son ancien camarade de l’université Paris-Dauphine, un cabinet de recrutement spécialisé sur le continent. Après des études en droit et en économie, le jeune homme accepte un poste de coopérant au sein de l’ambassade de France à Lagos. À l’époque encore plus qu’aujourd’hui, la capitale économique nigériane a mauvaise presse, mais Alexandre en revient avec une envie folle d’y retourner. « Le Nigeria incarne tous les paradoxes du continent », estime-t-il, lui qui en profite pour voyager dans le pays et la sous-région.
À l’ambassade, il prend conscience du nombre de groupes français désireux de venir faire des affaires au Nigeria. « Je suis très tourné vers l’humain et j’avais déjà des aptitudes pour voir ce qui peut fonctionner ou non entre une entreprise et un candidat. Il y a tant de paramètres à prendre en compte, l’environnement, la hiérarchie sociale très forte, la culture, les conditions de vie selon qu’on se trouve dans une base fermée, une ville moyenne ou une capitale… »
Après avoir créé Adexen à Paris, Alexandre Fabre et Guillaume Imbert ouvrent des agences à Lagos, à Accra et à Luanda. Le cabinet, qui travaille d’abord avec des groupes locaux, est rapidement abordé par des sociétés américaines, qui veulent profiter de ses compétences opérationnelles, puis allemandes et, bien plus tard, françaises. Adexen est sans doute l’un des recruteurs hexagonaux les moins dépendants des marchés francophones, même s’il effectue des missions vers ces zones et revendique une présence dans une quinzaine de pays.
Comme ses confrères, Alexandre Fabre souligne la nécessité d’une présence forte en Afrique, « car le continent évolue vite, avec des lignes directrices propres qu’il faut comprendre sur place ». L’un des derniers besoins saisis par les deux collaborateurs les a conduits à s’associer à X-PM pour devenir la tête de pont en Afrique de ce cabinet spécialisé en management de transition.
La surdouée : Dienaba Sarr, manager de Fed Africa
Elle est tombée très jeune dans la marmite du recrutement. Alors qu’elle venait de réussir un entretien pour intégrer l’Institut de gestion sociale (IGS) de Paris, Dienaba Sarr, née en Picardie d’une mère mauritanienne et d’un père sénégalais, se voit proposer de recruter, à son tour, les futurs étudiants du programme d’alternance de l’école. Elle mène cette mission durant un an en France, avant de suggérer d’étendre son champ d’action au continent africain. « Je savais qu’il y avait de bonnes écoles de commerce à Dakar », justifie-t-elle. La direction, qui cherche pourtant à se placer dans les pays « émergents », émet quelques doutes, mais finit par accepter.
Après Dakar, Dienaba Sarr reçoit des demandes du Congo, en particulier de Pointe-Noire. Elle apprend beaucoup, dans cette ville, de l’organisation des grands groupes, qui commencent à former en interne les compétences dont ils ont besoin. De retour à Paris, elle soumet à l’IGS l’idée de s’inscrire sur ce marché, mais refuse d’être responsable du projet – à 25 ans, la jeune diplômée rechigne à partir seule dans cette ville pétrolière qu’elle connaît mal. Elle passe un an en Irlande en tant qu’analyste de crédit pour la société Abbott, avant d’entrer en 2008 au sein du groupe français Fed, qui n’est alors présent que sur les métiers financiers.
Après deux années dans la finance, Dienaba Sarr propose à sa direction de créer une filiale spécialisée dans le recrutement top et middle management en Afrique, elle qui dispose d’une longueur d’avance grâce aux contacts qu’elle a gardés dans les écoles. L’équipe de sept personnes qu’elle dirige aujourd’hui, chacune spécialisée dans un domaine, sillonne le continent en quête de talents.
« Je ne conçois pas qu’on puisse se dire spécialiste de l’Afrique sans être sur place, estime la jeune femme de 33 ans. Nous organisons des tables rondes avec nos clients pour réfléchir aux problématiques RH et faire évoluer le métier, que je trouve trop administratif. » Parmi les sujets étudiés : la rétention des talents dans l’entreprise ou le rapatriement des fonctions clés des multinationales, parfois trop éloignées de la base.
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