France : La malédiction du favori

Giscard, Balladur, Jospin, Royal… Les candidats en tête dans les sondages à un an de la présidentielle ne sont nullement assurés d’être élus. Et Alain Juppé, dont la popularité est actuellement au zénith, le sait mieux que quiconque.

Nicolas Sarkozy, François Hollande, Marine Le Pen et Alain Juppé (de g. à dr.):des sondages considérés comme un art divinatoire. © ILLUSTRATION ANTOINE MOREAU-DUSAULT POUR J.A.

Nicolas Sarkozy, François Hollande, Marine Le Pen et Alain Juppé (de g. à dr.):des sondages considérés comme un art divinatoire. © ILLUSTRATION ANTOINE MOREAU-DUSAULT POUR J.A.

ProfilAuteur_AlainFaujas

Publié le 15 mai 2016 Lecture : 6 minutes.

Dans un an presque jour pour jour, le 7 mai 2017, au soir du second tour de l’élection présidentielle, le nom du prochain président de la République sera connu. Si l’on en croit les sondages unanimes, ce devrait être Alain Juppé. Actuel maire de Bordeaux et ancien Premier ministre de Jacques Chirac, il est de longue date l’homme politique préféré des Français.

La dernière étude d’opinion réalisée par Odoxa-Dentsu et publiée le 3 mai par BFMTV confirme qu’il écraserait ses rivaux lors de la « primaire à droite », en novembre. Au premier tour, il obtiendrait 41 % des intentions de vote devant Nicolas Sarkozy (24 %), Bruno Le Maire (15 %), François Fillon (9 %) et Nathalie Kosciusko-Morizet (7 %). Au second, il s’imposerait sans coup férir face à Sarkozy (63 %), Le Maire (66 %) ou Fillon (72 %).

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Juppé en bonne position au premier tour

Lors de la présidentielle, les sondeurs s’accordent à considérer que François Hollande serait éliminé dès le premier tour et qu’Alain Juppé l’emporterait haut la main face à Marine Le Pen. « Juppé tient la corde parce qu’il est l’incarnation de l’antisarkozysme toujours vivace et qu’il se positionne dans un espace conciliant autorité et compétence qui plaît à droite », commente Bernard Sananès, président de l’institut Elabe.

Imbattable, le « vieux sage » ? D’aucuns susurrent – espèrent ? – qu’il existe une « malédiction du favori » à la présidentielle. Il est vrai que de nombreux hommes politiques d’abord donnés gagnants dans l’opinion ont ensuite été écartés ou battus, comme Jacques Delors, Raymond Barre, Édouard Balladur, Lionel Jospin ou Dominique Strauss-Kahn.

Aimer n’est pas voter

Pour expliquer sa conviction que Juppé s’effondrera, Sarkozy aime à rappeler que « les Français ont adoré Simone Veil, Jacques Delors, Édouard Balladur et Bernard Kouchner, mais ils ont voté pour Mitterrand, Chirac et moi ». Aimer n’est pas voter, et les faits lui donnent en partie raison. Lors des six dernières consultations présidentielles, les résultats ont démenti quatre fois les sondages réalisés un an auparavant :

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• En 1980, Valéry Giscard d’Estaing était crédité par l’Ifop du double du score de François Mitterrand au premier tour et d’une victoire sans appel au second. Mais, en 1981, il a été battu d’une courte tête ;

• En 1994, l’Ifop voyait Édouard Balladur dix points devant Jacques Chirac au premier tour et vainqueur au second. Un an plus tard, Chirac était élu ;

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• En 2001, ce même Ifop donnait Lionel Jospin largement en tête au premier tour. Il se classera finalement troisième derrière Chirac et Jean-Marie Le Pen, et sera éliminé ;

• En 2006, un sondage Sofres prédisait à Ségolène Royal la première place, au premier comme au second tour. Or, dans les deux cas, elle sera devancée par Sarkozy.

Comment expliquer ces écarts entre les intentions de vote et la réalité du scrutin ? « Nos études ne sont pas prédictives, répond Jérôme Fourquet, directeur du département opinion de l’Ifop. Il n’existe aucune règle intangible que le favori du moment se fasse éjecter de la compétition. Il peut se passer tellement de choses en un an aux plans international, politique, économique ou social ! Qui aurait pu prédire l’échec du contrat première embauche (CPE) de Dominique de Villepin, en 2006 ? Et l’affaire du Sofitel pour Dominique Strauss-Kahn, en 2011 ? »

Un possible retournement de l’électorat…

Le parallèle entre les échecs de Balladur en 1995 et de Jospin en 2002 est instructif. « Balladur perd parce qu’il n’a pas vraiment fait campagne », estime Bernard Sananès. « Jospin perd parce que, après une première partie de mandat à Matignon réussie (trente-cinq heures, couverture maladie universelle, emplois jeunes), il s’est mis en pause et que ses électeurs, déçus, ont éparpillé leurs voix entre les petits candidats de gauche : Christiane Taubira, Jean-Pierre Chevènement et Noël Mamère. Il a joué directement le second tour, mais à son détriment puisqu’il est arrivé troisième », analyse pour sa part Jérôme Fourquet.

À un an du premier tour, peu de certitudes

Dans les deux cas, le retournement de l’électorat s’expliquait par la suffisance de candidats convaincus que leur bon bilan et/ou leur statut de favori les dispensaient de faire campagne, au moment précis où leurs challengers mettaient le paquet pour démontrer qu’ils étaient meilleurs qu’eux. « Comme au foot ou en cyclisme, résume Sananès, le statut de favori n’est pas de tout repos, parce qu’on devient la cible des autres candidats. » Ce qui peut finir par changer l’appréciation initiale de l’électeur, si le « premier de la classe » ne réagit pas. « On vote souvent pour celui qui a « mouillé le maillot » », ajoute Fourquet.

À un an de l’échéance, de quoi est-on sûr ? À vrai dire, de pas grand-chose. Juppé est assurément en pole position dans son camp, mais son aura résistera-t-elle aux coups portés par ses challengers ? Parce qu’il a 70 ans, certains le présentent déjà comme un « cheval de retour ». D’autres le jugent mollasson, autiste et suffisant… La prochaine entrée en scène officielle de Sarkozy suffira-t-elle pour ramener à lui les électeurs de droite partis sous d’autres cieux, centre ou Front national, et lui permettre de reprendre l’avantage sur le maire de Bordeaux ? La justice coulera-t-elle ses prétentions en le mettant en examen dans l’une des nombreuses affaires qu’il traîne derrière lui ?

Selon toute vraisemblance, François Hollande sera le candidat du Parti socialiste. Il n’y a pas de Martine Aubry en embuscade ; pas de Manuel Valls ou d’Emmanuel Macron vraiment crédibles. Le président sortant est décidé à travailler d’arrache-pied jusqu’au terme de son mandat. En s’appuyant sur la reprise économique en cours, il aimerait faire valoir dans un an qu’il a remis la France d’aplomb et se présenter comme l’artisan d’une « réforme tranquille », en comptant sur les images négatives d’une droite déchirée et d’un Front national menaçant.

Hollande ralenti par sa faible popularité

Ce scénario « rose » est fragile. « Le passif de Hollande est en effet très lourd, avec plus de 80 % de mécontents et un rapport très distendu avec l’électorat de gauche, souligne Fourquet. On n’a jamais vu un président en exercice aussi bas dans les sondages. Sarkozy avait été battu après être tombé à 28 % de satisfaits. Or Hollande en est aujourd’hui à 18 %… Même si la baisse du chômage devient « continue et tangible », comme il l’espère, les Français la porteront-ils à son crédit ? Du temps du gouvernement Raffarin, il a fallu huit mois de hausse ininterrompue de l’emploi pour qu’ils commencent à y croire ! »

Le principal handicap du sortant est que l’opinion est convaincue de son échec à venir. « Il y a quatre semaines, Elabe a réalisé un sondage où seuls 10 % des personnes interrogées le donnaient vainqueur, commente Bernard Sananès. Giscard en 1981 et Sarkozy en 2012 ont été battus de peu, mais aucune des études d’opinion qui ont précédé le scrutin ne les donnait vaincus d’avance. Dans le cas de Hollande, le déficit va être très difficile à combler. »

L’extrême droite probablement qualifiée au premier tour, quels que soient ses adversaires à gauche et à droite.

Annoncée à 25 %-30 % des intentions de vote, Marine Le Pen devrait se qualifier pour le second tour, quels que soient ses adversaires à gauche et à droite. Mais elle a peu de chances de briser le « plafond de verre » qui l’empêche de concrétiser les bons résultats que le Front national réalise toujours au premier tour. Elle devrait être défaite au second, mais le score devrait être serré si son adversaire se nomme François Hollande, hypothèse peu retenue par les différents instituts.

Si… Si… Si la loi El Khomri devenait pour la gauche un calvaire comparable à celui de la déchéance de nationalité… Si le chômage ne baissait pas… Si l’un des favoris mourait d’un infarctus… Si Hollande ne se présentait pas… Si un nouvel attentat meurtrier survenait… Alors les équations laborieusement élaborées par les analystes se trouveraient chamboulées. Impossible d’y voir clair avant le début de l’an prochain, quand seront connus les noms de tous les candidats. La seule certitude à ce jour est qu’Alain Juppé est favori pour l’Élysée. Pas plus, pas moins.

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