Esclavage : rire pour exister
À l’occasion de la commémoration française, le 10 mai, de l’abolition de l’esclavage, « Jeune Afrique » consacre un dossier à la résistance de ceux à qui l’on avait dénié toute humanité.
Esclavage : l’art de la révolte
Le 10 mai, la France commémore l’abolition de l’esclavage. À cette occasion, « Jeune Afrique » revient sur la résistance de ceux à qui l’on avait dénié toute humanité.
Évoquer l’esclavage, c’est la plupart du temps sombrer sous une avalanche d’horreurs, être étouffé par une interminable litanie de souffrances : exploitation, torture, maltraitance, mépris, maladie, assassinat, etc.
Pourtant, aucune forme d’oppression, aucune forme de totalitarisme ne peut prétendre pouvoir réduire à néant le libre arbitre de chacun. Même dans les pires circonstances, même sous le plus implacable des supplices, une étincelle de liberté demeure, irréductible, indomptable. Ne pas le reconnaître serait, d’une certaine manière, nier une fois de plus l’humanité même des opprimés.
Avec Rire enchaîné. Petite anthologie de l’humour des esclaves noirs américains, Thierry Beauchamp traduit et rassemble nombre d’histoires humoristiques que les esclaves se racontaient dans les plantations américaines. Les textes compilés ne sont pas nés d’une plume abolitionniste, ils racontent cette évasion par l’esprit que constitue le rire. « Par habitude, ils finirent par parler une langue truffée de sous-entendus, écrit Beauchamp.
Sûrs de leur impunité, ils se mirent à échanger des histoires en apparence inoffensives mais qui reflétaient, sur le fond comme sur la forme, leur désir de liberté. […] Évidemment, l’humour joua un rôle fondamental dans ce processus de légitime défense. » Subtiles, parfois cruelles, les histoires de Rire enchaîné méritent une lecture attentive : retranscriptions issues de la tradition orale, elles sont l’une des rares manières d’entendre la voix parfois caustique des esclaves. « Le Taon » en est un bon exemple :
« John et son maître allaient vendre un chargement de coton à la criée. Pendant le trajet, un taon se posa sur le cou du vieux maître et le piqua. Ce dernier poussa un cri et s’exclama :
– Qu’est-ce que c’était ?
– Juste un taon, Boss, dit John.
– John, ce n’était pas un taon. Les taons s’attaquent aux mules et aux ânes.
– C’est vrai, Boss. Mais c’était bien un taon.
– Tu m’écoutes, John. Je t’ai dit que ce n’était pas un taon.
– Ça ressemblait pourtant à un taon, Boss.
– John, tu ne serais pas en train de me prendre pour une mule ou pour un âne, par hasard ?
– Non, monsieur Maître. T’as pas l’air d’une mule ou d’un âne. Personne oserait dire une chose pareille. Tout ce que je sais… Tout ce que je sais…
– Tout ce que tu sais quoi ?
John se gratta la tête un moment.
– Tout ce que je sais, reprit-il, c’est que j’ai jamais entendu parler d’un taon qui se laissait avoir aussi facilement. »
DR
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