Livres : le marronnage, résistance créatrice

Dans « « Fugitif, où cours-tu ? », Dénètem Touam Bona revient sur le marronnage, phénomène majeur qui a contribué à la destruction de l’appareil esclavagiste. mais pas seulement.

Couverture de « Fugitif, où cours-tu ? » © PUF

Couverture de « Fugitif, où cours-tu ? » © PUF

Publié le 10 mai 2016 Lecture : 2 minutes.

La sculpture « Fers », à Paris, en hommage à Thomas Alexandre Dumas (1762-1806), premier général noir français en 1793. © JACQUES BRINON / AP / SIPA
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Esclavage : l’art de la révolte

Le 10 mai, la France commémore l’abolition de l’esclavage. À cette occasion, « Jeune Afrique » revient sur la résistance de ceux à qui l’on avait dénié toute humanité.

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Dans les livres scolaires et l’inconscient collectif, la figure de l’esclave est encore trop souvent celle de la victime totale.  Trahi en Afrique par les siens, enchaîné sur le bateau négrier, il est battu, humilié, violé, quand il ne devient pas traître parmi les siens. « Enfermer l’esclave – le colonisé en général – dans un statut de victime, c’est lui dénier toute capacité d’action et donc perpétuer, en croyant honorer sa mémoire, sa déshumanisation », écrit Dénètem Touam Bona, auteur d’un essai lumineux intitulé Fugitif, où cours-tu ? L’auteur, professeur de philosophie, y livre une analyse pertinente du marronnage, ce phénomène de fuite des esclaves. Qu’il soit « occasionnel » (fuite individuelle provisoire de l’esclave), « clandestin » (s’échapper pour se fondre dans la masse parmi les affranchis) ou de « sécession » (retrait collectif « qui inaugure le surgissement d’une communauté furtive »), ce phénomène – souvent présenté comme secondaire – se révèle déterminant dans l’éclatement de l’appareil esclavagiste. Cette histoire, racontée par les lions et non plus par les chasseurs, met en évidence la créativité et l’action des esclaves.

Soldats nomades libérés de leurs chaînes, devenus réfractaires à tout contrôle, les « nègres marrons » (le mot « cimarrón » signifie « sauvage » en espagnol et désigne celui qui s’est libéré de la « domestication » du maître) vont développer un art de la fuite et du subterfuge fondé sur l’apprentissage (corporel et technique) de l’invisibilité en milieu hostile (la plantation, la ville ou la forêt). « Le marronnage est un processus paradoxal : échapper au pouvoir animalier du maître – à la condition de bétail humain – suppose d’épouser un devenir animal, de proliférer sous forme de meutes, de hordes, de multitudes aussi indociles qu’imperceptibles. De proies, devenir prédateurs… »

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À la croisée des chemins – historique, sociologique et philosophique -, Dénètem Touam Bona fait du marronnage un concept philosophique qui trouve de nombreuses résonances chez Gilles Deleuze et Michel Foucault. Le marronnage comme praxis (action) créatrice, comme devenir furtif, comme invitation à la libération. Migrants clandestins parqués dans des centres de rétention, gitans montrés du doigt, lanceurs d’alerte pourchassés par les États, détenus entassés dans leurs cellules… : le marronnage est à l’œuvre partout où l’appareil tente de capturer et de contrôler. « Camoufler la communauté, écrit l’auteur, la dérober aux regards, c’est étendre le couvert de la forêt, prolonger l’ombre des feuillages, appeler sur soi la brume des marais. »

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Fugitif, où cours-tu ?,  de Dénètem Touam Bona, éd. PUF, 144 pages, 12 euros.

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