RD Congo – Hommage : il était notre Papa (Wemba)
Moins d’une demi-heure avant sa mort, il promettait d’amener les festivaliers et les téléspectateurs ivoiriens au pays de la rumba. Il est parti pour le pays des songes, suscitant une immense émotion en RD Congo. Et, déjà, tout le monde veut s’approprier l’icône.
Il en a été comme de ces premières averses qui vous surprennent en pleine saison sèche, ce passage brusque de la fraîcheur d’elanga à la chaleur de la pluie tropicale. Ce dimanche 24 avril à 5 h 24, tout un continent est pris de court lorsque Papa Wemba, sans crier gare, s’effondre sur la scène du Festival des musiques urbaines d’Anoumabo (Femua), dans le sud d’Abidjan.
Vingt-quatre minutes plus tôt, le Vieux Bokul promettait encore aux festivaliers et aux millions de téléspectateurs qui le suivaient en direct sur la Radiodiffusion-télévision ivoirienne (RTI) de « [les] amener tous au pays de la rumba, la RD Congo ». Trois chansons et quelques trémoussements de hanches plus tard, tout s’arrête. L’euphorie cède la place à la tristesse, la fête se transforme en deuil. Un monument s’est écroulé.
Une trace indélébile
Issu d’une famille modeste, père militaire et mère vendeuse de cacahuètes, Papa Wemba, de son vrai nom Jules Shungu Wembadio Pene Kikumba, 66 ans, n’était pas seulement ce chanteur autodidacte à la voix perchée et suave qui a su, avec brio, faire connaître et imposer la rumba congolaise aux quatre coins de la planète, donnant d’inoubliables concerts dans des salles prestigieuses – l’Afrique ayant été sa première conquête.
Il laisse des tubes (Mère supérieure, Analengo, Maria Valencia, Esclave, Yolele, Rail on, Ye te oh…) et de prolifiques collaborations avec d’autres grands noms de l’industrie musicale : Wendo Kolosoy, le père de la musique congolaise moderne, Nyoka Longo (de Zaïko Langa Langa, où il débute sa carrière en 1969), Tabu Ley, Lokua Kanza, Ray Lema, Koffi Olomidé, Salif Keita, Manu Dibango. Et, aussi, Martin Meissonnier (le producteur de Fela Kuti ou de King Sunny Adé), Peter Gabriel, Stevie Wonder et Eric Clapton.
Qui n’a fredonné So why ?, ce We Are The World made in Africa sans Michael Jackson ni Lionel Richie, où le Congolais joint sa voix à celles des Sud-Africains Lucky Dube et Jabu Khanyile, du Sénégalais Youssou Ndour, de l’Angolaise Lourdes Van-Dúnem et du Nigérian Lagbaja ?
« Vos larmes, gardez-les pour les souffrances auxquelles vous êtes confrontés ici-bas. Moi, je m’en vais, ne me pleurez pas ! », Papa Wemba
Faut-il aussi rappeler qu’il joua, en 1987, dans le film La Vie est belle ? Et que, vers la fin 2000, il participa à La Charanga Eterna du mythique Orquesta Aragón de Cuba ? C’est d’ailleurs dans « No Quiero Llanto », titre – peu connu du grand public – tiré de cet album de cha-cha-cha, que le natif de Lubefu s’attarde sur le jour de sa mort et évoque ses dernières volontés.
« Vos larmes, gardez-les pour les souffrances auxquelles vous êtes confrontés ici-bas. Moi, je m’en vais, ne me pleurez pas ! » chante en lingala Papa Wemba, au rythme de la salsa cubaine. Pas suffisant pourtant pour adoucir, dans le monde et surtout en RD Congo, le choc de sa disparition.
Une incarnation de l’esprit de la Sape et de la rumba congolaise
Car le Kuru Yaka incarnait tout un état d’esprit. Souvent réduit, à tort d’ailleurs, à la Sape, la Société des ambianceurs et des personnes élégantes, dont il fut un éminent représentant. En quarante-sept ans de carrière, Papa Wemba fut bien plus que le chanteur précurseur de cette rumba rock dont il détenait le secret. Il était devenu le « parrain », le reflet de toute une génération dans son pays, voire au-delà de ses frontières.
« Nous sommes tous aujourd’hui des petits Wemba, des kuru, des « for idoles », des « prêtres », des « jeunes premiers », des sapeurs », estime Larissa Diakanua, spécialiste en communication à Kinshasa, en référence à tous ces styles – « la joie de vivre, et ce côté éternellement jeune et toujours sapé de Papa Wemba » — codifiés par celui qui s’était autoproclamé « chef coutumier du village Molokai », dans la capitale congolaise. « Il a offert une identité aux Congolais », résume Naty Lokole, présentateur de l’émission Sektion musik à Kinshasa.
Une aura qui explique qu’un très émouvant hommage lui ait été rendu en Côte d’Ivoire. Et, à voir le recueillement qui s’est emparé des Congolais pendant les trois jours de deuil à Kinshasa, du 2 au 4 mai, on mesure désormais la force du lien qui unissait la star à ses compatriotes. « Alors que son dernier album, Maître d’école (2014), n’a pas connu un succès retentissant dans le pays, l’artiste a été pleuré comme s’il partait au sommet de son art. Papa Wemba a été remercié pour l’ensemble de son œuvre », souligne Naty Lokole.
« Nous n’avons jamais vu une telle ferveur populaire », admet Lambert Mende au sujet des obsèques de l’artiste
Jamais en effet dans l’histoire de la RD Congo, qui a connu ô combien d’artistes talentueux, des obsèques n’avaient été autant suivies, et avec autant d’émotion. De l’aéroport international de Ndjili au cimetière de Nécropole entre ciel et terre, dans la périphérie de Kinshasa, où il a été inhumé, en passant par le Palais du peuple et son quartier de Matonge, où sa dépouille a été exposée, Papa Wemba mort a attiré des foules bien plus nombreuses que ne l’eût fait une vedette ou un leader politique vivants.
« Nous n’avons jamais vu une telle ferveur populaire », admet Lambert Mende, porte-parole du gouvernement. « Le peuple a voulu saluer une dernière fois ce grand fils du pays qui a porté très haut la culture de la RD Congo », poursuit le ministre, qui se dit « fier » d’appartenir à l’ethnie tetela, comme l’illustre disparu. « L’an dernier, il a joué avec son groupe, Viva La Musica, au mariage de ma fille et a refusé de prendre un cachet pour sa prestation. C’était un frère », rappelle-t-il.
Une trêve pour les politiques
Surtout, Papa Wemba a prouvé qu’il était, en dépit des apparences, un élément fédérateur. La preuve ? Pendant la durée du deuil, la classe politique a tacitement décrété une trêve et mis entre parenthèses ses divisions. Côte à côte, opposants et dignitaires du régime, entourés d’une foule compacte, ont accompagné l’idole, décorée à titre posthume de la plus haute distinction de la nation, jusqu’à sa dernière demeure.
Un moment de répit rare au pays de Patrice Lumumba, à quelque sept mois de la fin d’un mandat présidentiel à hauts risques. Même si, par réflexe politicien, chaque camp a tenté de tirer la couverture à lui à l’occasion de ces obsèques. « Le chef de l’État a décidé de tout prendre en charge pour éviter une quelconque récupération politique », se défend un proche de Joseph Kabila.
Retour d’ascenseur assuré pour le président. « Nous considérons que vous venez d’intégrer totalement notre famille », lui a assuré Telie Shungu A. Kadi, la fille aînée de Papa Wemba, en direct à la télévision nationale.
Les leaders de l’opposition, à commencer par les potentiels candidats à la présidentielle, ne se sont pas avoués vaincus. Surtout pas à l’ère des réseaux sociaux – des terrains de jeu sur lesquels une image vaut parfois mille mots. Comme tant d’autres, Vital Kamerhe l’a compris. À défaut d’être aux premières loges à la chapelle ardente, l’ancien président de l’Assemblée nationale a multiplié les tweets, tous emplis de compassion, et partagé une photo sur laquelle il pose sa main gauche sur l’épaule de « Maman Amazone », la veuve de Papa Wemba.
Dans le viseur du pouvoir, qui le soupçonne d’avoir recruté des mercenaires dans l’ex-Katanga, Moïse Katumbi, lui, n’a pu se rendre à Kinshasa. « Dès qu’il a annoncé qu’il allait venir s’incliner devant le cercueil, les autorités ont changé tout le programme des funérailles, dénonce un membre de son entourage.
D’abord, le Palais du peuple a été préféré au stade des Martyrs, qui devait initialement accueillir la dépouille. Puis, aucune autorisation d’atterrir sur le territoire national n’a été accordée à son jet privé. » Papa Wemba à peine enterré, le ciel politique congolais s’assombrit.
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