RD Congo : la mélodie du flatteur

Pour s’assurer des revenus réguliers, les stars de la chanson congolaise ont tendance à tresser les louanges du pouvoir. Et s’attirent la colère des opposants, qui ne l’entendent pas de cette oreille…

Le chanteur congolais Koffi Olomidé. © Trace Africa

Le chanteur congolais Koffi Olomidé. © Trace Africa

ProfilAuteur_TshitengeLubabu

Publié le 14 mai 2016 Lecture : 3 minutes.

Papa Wemba n’était pas connu pour ses opinions politiques. Il chantait l’amour, la vie… Une musique enchanteresse, gaie, mais parfois mélancolique. Lors d’une émission de variétés sur la chaîne kinoise B-One, en 2010, il franchit le pas en déclarant qu’il partageait les vues de Joseph Kabila, le chef de l’État sortant.

L’année suivante, il participa, au côté de Koffi Olomidé, Werrason, Félix Wazekwa, JB Mpiana ou Tshala Muana, à la campagne électorale du Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD, la formation du président). Un autre chanteur, Marie-Paul Ashisha Belesi, joua pour sa part au meeting de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), de l’opposant Étienne Tshisekedi.

Les artistes congolais ont toujours été dans la célébration de l’action politique

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À ceux qui critiquaient son engagement, Papa Wemba répondit qu’il aurait aussi bien pu chanter pour Tshisekedi que pour Kabila. Werrason, lui, se défendit en arguant qu’il avait agi en homme d’affaires, et non en partisan.

En RD Congo, cette proximité des stars de la musique avec l’élite politique est loin d’être un phénomène nouveau. Il suffit, pour s’en convaincre, d’écouter les chansons qui ont marqué les mélomanes depuis les années 1960, à commencer par le célèbre Indépendance Cha Cha de Joseph Kabasele et son African Jazz.

En jouant cette partition, les artistes congolais ont toujours été dans la célébration de l’action politique. Jamais dans la critique, encore moins dans la contestation. Une tendance amplifiée sous le règne de Mobutu Sese Seko et du parti unique. Les aèdes zaïrois s’étaient alors complu dans une posture laudatrice afin de bénéficier des largesses du pouvoir.

Flatter pour assurer la survie de son art

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Cela n’empêcha pas, en 1978, un certain Kengo wa Dondo (actuel président du Sénat), à l’époque procureur général de la République, de jeter en prison Luambo Makiadi, le célèbre Franco, leader de l’OK Jazz et icône nationale, au motif que certaines paroles de ses chansons avaient un caractère « pornographique ».

Ici, il n’y a jamais eu de Fela Anikulapo Kuti ni de Tiken Jah Fakoly. Aucun chanteur ne pourfend le pouvoir. « Cette allégeance est une question de survie. Depuis de longues années, le marché du disque n’existe quasiment plus en RD Congo, explique un Kinois. Le piratage a pris le dessus et les revenus sont maigres… » Certains vendent aussi leur talent aux personnalités du « petit » Congo d’en face. Ainsi Koffi Olomidé a-t-il composé l’hymne de campagne du candidat Denis Sassou Nguesso à la présidentielle de mars 2016. Titre du clip : Selfie Sassou.

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Quelques-uns, par intérêt ou par conviction, sont carrément entrés en politique. La chanteuse Tshala Muana, ralliée au pouvoir dès 1997, a été députée (elle préside par ailleurs la Ligue des femmes du PPRD). Koffi Olomidé avait, lui, annoncé sa candidature aux sénatoriales de 2011 sous la bannière du parti présidentiel, mais le scrutin n’eut jamais lieu.

Aujourd’hui plus encore qu’hier, les paroles de chansons sont parsemées de noms de ministres, de députés, de dirigeants d’entreprise, d’ambassadeurs et autres gouverneurs de province, qui sollicitent parfois les artistes et en font leurs protégés. Résultat, des textes d’une platitude affligeante, qui s’apparentent parfois à un vulgaire namedropping.

Cette collusion réelle ou supposée des chanteurs avec les autorités leur a attiré l’hostilité d’une partie du public et a provoqué la naissance, en Europe, des « Combattants », un mouvement de Congolais de la diaspora opposés au pouvoir. Leurs actions, souvent violentes, consistent à empêcher le déroulement des concerts des stars soupçonnées de « collaboration ». Compte tenu de la force de frappe financière de cette diaspora, ce boycott se révèle désastreux pour les vedettes kinoises. S’engager ou ne pas s’engager sans faire de couac : telle est la question.

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