Féminisme et islam : Hanane Karimi, l’orthodoxie et la révolte

Féministe musulmane, cette fille d’immigrés marocains a été dix ans femme au foyer avant de militer pour les droits des femmes, dans la mosquée comme dans la société.

« Je résistais aux standars: l’abnégation, l’obligation pour la femme de se sacrifier, de  s’effacer », raconte la militante. © Frédérique Jouval /J.A.

« Je résistais aux standars: l’abnégation, l’obligation pour la femme de se sacrifier, de s’effacer », raconte la militante. © Frédérique Jouval /J.A.

Publié le 19 mai 2016 Lecture : 4 minutes.

Il paraît que les femmes voilées sont comme des « nègres » américains en faveur de l’esclavage… Avec son voile, aujourd’hui porté façon turban de pirate, Hanane Karimi entend démontrer l’inverse. À la ministre française des Droits des femmes comme à ceux qui pensent qu’une femme voilée est forcément opprimée. Figure française du féminisme musulman, elle milite pour les droits de toutes, contre les discriminations en général. « Ne me libérez pas, je m’en charge ! » a-t-elle écrit en guise de biographie sur son compte Twitter.

La remise en question, une étape décisive

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Difficile de trouver meilleure devise pour cette fille de 38 ans à la trajectoire digne d’un manuel féministe, chapitre « émancipation ». Femme au foyer pendant dix ans, cette fille d’immigrés marocains a divorcé à 31 ans et repris des études abandonnées en BTS. Jusqu’à devenir doctorante en sociologie à Strasbourg, où elle vit avec ses trois enfants, dans un « petit 57 m² ».

« Elle n’a pas eu peur de remettre toute sa vie en question, c’est très courageux », admire son amie Leila Alaouf, membre comme elle d’un collectif féministe, Les Femmes dans la mosquée. « Ça rend son discours très crédible, très fort, ajoute-t-elle. En même temps, elle évite le cliché de la fille qui se contente de raconter son parcours de bonne femme. Elle sait sortir de l’émotion. C’est une vraie intellectuelle. »

L’intéressée le concède : ce qui la fait « vibrer », c’est « rencontrer, animer, étudier ». D’ailleurs, elle a toujours beaucoup lu. Pour imiter sa mère, qu’elle voyait, petite, plongée dans le Coran sur son tapis de prière. « Elle s’occupait de ses sept enfants toute la journée et, là, il y avait un moment où elle s’échappait, elle était ailleurs. » Avant d’enchaîner conférences et mobilisations, Hanane Karimi a pourtant longtemps jonglé entre courses, ménage et biberons. « Ça a été me trahir », dit-elle pour résumer ces années. Elle a adoré la maternité, pas les tâches domestiques. Même si se replier à la maison, c’était son choix. À 19 ans.

Laisser les femmes choisir !

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Elle est en BTS de biotechnologies, porte un voile traditionnel, « à la marocaine », bien serré autour de son visage doux et rond, refuse de le retirer dans l’enceinte du lycée. On menace de la passer en conseil de discipline. La jeune fille préfère « tout arrêter et [se] marier ». Depuis quatre ans, elle se voile plus souplement, de diverses façons, alterne turban, bonnet ou foulard.

Sans s’étendre sur le pourquoi de ce changement – « trop intime » -, elle insiste pour laisser aux jeunes filles voilées le droit de faire leur propre expérience. Pour ne pas les « crisper » sur le voilement, qui peut n’être qu’une « étape de la carrière religieuse ». Pour ne pas les « ramener aux marges », les laisser penser, comme elle au lycée, que le foyer est le seul espace secure.

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Presque vingt ans plus tard, nouvelle révolte. Contre une autre exclusion, tout aussi « insupportable » À l’intérieur de sa communauté religieuse, cette fois. Octobre 2013 : la Grande Mosquée de Paris interdit aux femmes l’accès à la salle principale, les envoie prier au sous-sol, assurant vouloir leur offrir un espace plus « vaste et confortable ». La féministe y voit, elle, la mise à l’écart de trop. Avec une dizaine d’autres pratiquantes, elle monte le collectif Les Femmes dans la mosquée, essaie d’entrer de force dans la salle interdite.

À la Mosquée de Paris, les musulmanes doivent désormais entrer par une porte latérale

La seconde tentative se termine en altercation, le collectif porte plainte pour coups et blessures, renonce à ses happenings. « On s’est dit que ce n’était pas à coups d’actions symboliques que l’on pouvait changer quelque chose d’aussi ancré dans les mentalités. Nous avons décidé de miser plutôt sur la conscientisation », via des tribunes ou des débats. Depuis, la situation a « empiré » à la Mosquée de Paris, soupire la militante. Les musulmanes doivent désormais y entrer par une porte latérale.

L’activiste, qui estime pourtant que la mobilisation a eu le mérite de rompre le « tabou » de la ségrégation sexuelle dans les lieux de culte, n’a pas désarmé. Militante devenue universitaire, elle a fait de l’exclusion sociale des musulmanes voilées en France l’objet de sa thèse. « Diffuser la vision de ces femmes, être sociologue, c’est tout aussi important. C’est une partie de mon militantisme aujourd’hui.

Un pas vers le changement

Réconciliée avec l’école, elle jure de ne plus se fermer aucune porte, ira voir celles qui sont ouvertes, en France ou à l’étranger. Au Canada, aux États-Unis pour la carrière universitaire. Ou au Maroc, le pays de ses parents. D’autant que le royaume affiche sa sympathie pour les revendications des féministes musulmanes.

Récemment invitée par la Rabita Mohammadia des oulémas, institution de réflexion sur la charia islamique, elle a été « agréablement surprise » du bon accueil réservé à l’action de son collectif.

Il y a bien sa mère, qui a longtemps eu du mal à comprendre la deuxième vie de sa fille. « Je résistais aux standards qu’elle a voulu m’imposer : l’abnégation, l’obligation pour la femme de se sacrifier, de s’effacer. » Mais il y a peu, elle a lâché : « En fait, c’est toi qui as raison. » Hanane rapporte l’anecdote les yeux brillants. Ce jour-là, elle a eu l’impression « qu’enfin les choses pouvaient changer ».

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