Enquête : Bonofa vous vend du rêve…

Burkina, Côte d’Ivoire, Mali… Cette start-up fait des ravages. Sa recette : payer grassement des partenaires qui vendent des logiciels à des « filleuls », chargés à leur tour d’en vendre à de nouvelles recrues… Un modèle qui semble tout sauf viable.

Le congloais Alex Banos promoteur de la société. © DR

Le congloais Alex Banos promoteur de la société. © DR

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Publié le 25 mai 2016 Lecture : 5 minutes.

Le terreau sur lequel naissent et prospèrent les arnaqueurs reste fertile. © Adria Fruitos / J.A.
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Pour Aboubacar Napo, il y a un avant- et un après-Bonofa. Pendant vingt ans, ce père de famille ivoirien d’origine malienne a travaillé comme coursier à Abidjan, pour un maigre salaire. « C’était très difficile, je ne pouvais même plus envoyer mon fils aîné à l’école », raconte le quadragénaire. Mais, en 2014, au détour d’une vidéo sur YouTube, il découvre Bonofa.

Un an plus tard, devenu « partenaire » de cette start-up qui entend « révolutionner l’internet » en lançant un réseau social novateur en 2017, il se prévaut de rentrées mensuelles qui rendraient jaloux beaucoup de ses compatriotes : entre 2,5 millions et 4 millions de F CFA (de 3 800 à 6 100 euros). Sa mission ? Recruter à l’infini de nouveaux partenaires de Bonofa qui, à leur tour, en feront de même.

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Des revenus croissant au fil des adhésions

Envois groupés de SMS, démarchage sur Facebook, invitation d’amis, de parents ou de connaissances à des présentations dans des hôtels ou via des visioconférences afin de les convaincre d’investir à leur tour dans la potion magique qui leur permettra de se réveiller riches après s’être couchés pauvres… Pour bénéficier de la manne inespérée promise par l’entreprise, chacun devra s’acquitter d’un ticket d’entrée (30 euros) et, surtout, investir dans l’un des six packs de logiciels qu’elle commercialise, dont les tarifs vont de 80 à 2 500 euros.

Pour percevoir des commissions optimales (jusqu’à 34 %) sur les futurs achats de ses « filleuls » et des filleuls de ses filleuls, chaque nouvel entrant est bien entendu fermement incité à acquérir le pack le plus onéreux.

Bonofa promet à tout un chacun, fût-il dépourvu de diplômes et de la moindre formation commerciale, un salaire digne d’un chef d’entreprise européen

Comme des milliers de nouveaux convertis, Aboubacar Napo ne jure plus que par Bonofa, dont le slogan a illuminé son existence : « Vos rêves deviennent réalité ! » En un tournemain, le modeste coursier d’Abidjan, qui a abandonné son ancien emploi, est devenu top leader sur le continent, avec le rang de silver manager. Comme le clame son mentor, le Belge Fred Delbecque, qui supervise à lui seul 2 500 apôtres africains de Bonofa, « la réussite ne s’apprend pas à l’école ».

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Avec pour seule mine d’or, actuellement, une poignée de logiciels semi-professionnels, Bonofa promet à tout un chacun, fût-il dépourvu de diplômes et de la moindre formation commerciale, un salaire digne d’un chef d’entreprise européen. « Quand une telle occasion se présente, il faut savoir la saisir », répètent les initiés. À en croire ses fondateurs, cette société de multi-level marketing (MLM, lire encadré) immatriculée au Liechtenstein serait guidée par une philosophie altruiste, dont elle tire son nom : « faire le bien » (« bono facere », en latin).

« Imaginez qu’on vous rémunère pour faire ce que vous faites bénévolement depuis des années », martèlent sans relâche, dans des prestations vidéo à l’américaine, les ambassadeurs de l’entreprise. La recette miracle ? Faire acheter par vos proches les logiciels de Bonofa, comme on recommande un restaurant, un film ou une application mobile, afin de toucher de juteuses commissions.

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Un réseau social « révolutionnaire » prévu pour 2017

Bardée de prédicateurs dignes des églises évangéliques, Bonofa affirme que 2017 marquera l’histoire de l’humanité. C’est en effet à cette date que la société dévoilera son grand œuvre, un réseau social baptisé Cube7.

Fruit des cogitations d’un illustre inconnu, Martin Böhm, présenté comme un « visionnaire » de la trempe d’un Mark Zuckerberg (Facebook) ou d’un Jeff Bezos (Amazon), le Graal de Bonofa résulte d’une intuition lumineuse : il suffirait d’agréger sur la même plateforme web un réseau social et une galerie d’e-commerce pour toucher mécaniquement le jackpot.

Communier avec d’autres adeptes venus des quatre coins du monde lors du Bonofa Day…

Les utilisateurs du réseau social dépenseront leur argent dans la galerie marchande en ligne (applications, musique, films, vêtements…), et leurs parrains percevront des micropaiements sur chaque achat.

C’est fort de cette conviction que des milliers de Burkinabè, d’Ivoiriens, de Maliens, de Mauriciens, mais aussi de Brésiliens, d’Indiens, de Français, d’Autrichiens ou d’Allemands scandent aujourd’hui en chœur : « I am Bonofa! » Le 7 mai, Aboubacar Napo s’est rendu en Allemagne – à ses frais et moyennant 50 euros d’inscription -, au siège logistique de la compagnie, pour communier avec d’autres adeptes venus des quatre coins du monde lors du Bonofa Day. L’occasion, pour les fondateurs, de galvaniser leurs troupes et de les inciter à recruter toujours plus.

Alléchés par l’odeur de l’argent facile, émerveillés par les images de jets privés, de yachts et de resorts luxueux exposées à longueur de journée sur Facebook ou YouTube par leurs gourous, les disciples de Bonofa n’ont plus très envie de se poser les questions qui fâchent. Venu à Dakar en avril pour y recruter des partenaires, l’Ivoirien Franck Kouachi, qui œuvre depuis cinq ans dans le marketing de réseau et qui a rallié Bonofa en janvier, se montre peu disert lorsqu’on l’interroge sur l’éventualité que la principale activité lucrative de la société consiste à vendre… du rêve.

L'allemand Dirk Griesdom, un des promoteurs de la société. © DR

L'allemand Dirk Griesdom, un des promoteurs de la société. © DR

De nombreuses zones d’ombre

En effet, comment une entreprise commerciale peut-elle espérer être viable en reversant 80 % du fruit de ses ventes en commissions, selon l’estimation livrée par Fred Delbecque ? L’achat des logiciels Bonofa est-il motivé par leur réelle utilité ou par l’appât de gains futurs liés à un recrutement exponentiel, ce qui est la caractéristique d’un système de vente pyramidale ? Pourquoi n’existe-il aucune trace sur internet du parcours professionnel des trois fondateurs de Bonofa – dont deux seraient « milliardaires » – avant la création de la start-up, hormis un CV officiel ne mentionnant aucune entreprise ?

Et comment ces trois hommes sont-ils en mesure de prévoir la valeur de la future capitalisation boursière d’un réseau social encore embryonnaire et dont la version bêta, inaccessible au grand public mais que J.A. a pu consulter, donne la fâcheuse impression d’avoir été programmée sur un coin de table par un informaticien débutant ?

Aboubacar Napo et Franck Kouachi n’ont pas de réponse. Eux-mêmes reconnaissent n’avoir pas vraiment l’usage des logiciels de l’entreprise, essentiellement orientés vers le marketing de réseau, si ce n’est une application de transfert de fichiers. Ils sont pourtant acquis au scénario qu’on leur a fait miroiter : pas moins de 500 000 partenaires seront recrutés d’ici à 2017, dont chacun invitera ensuite 200 de ses contacts à s’inscrire sur Cube7.

Ce réseau social « révolutionnaire » débuterait donc sa carrière avec 100 millions d’adhérents dès le premier jour. Pour l’heure, Bonofa revendique quelque 100 000 partenaires à travers le monde – un chiffre invérifiable. En Afrique, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire et le Mali sont ses principaux filons.

Cerise sur le gâteau, une introduction en Bourse est censée suivre l’ouverture au public de Cube7, avec une capitalisation boursière estimée à 15 milliards d’euros. Or Bonofa s’engage à céder 40 % des actions à ses partenaires, en les gratifiant dès à présent, en fonction de leurs résultats, de milliers de « compoints » : des actions virtuelles censées leur permettre de s’enrichir grassement au lendemain de l’introduction en Bourse.

Comme tous les adeptes de Bonofa, Aboubacar Napo et Franck Kouachi en sont convaincus : ce jour-là, la revente de leurs « compoints » leur assurera une retraite à vie. À moins que, d’ici là, l’effondrement de la pyramide ne dissipe leur rêve.

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