Transport routier : pour les logisticiens, un parcours semé d’embûches

En dépit d’une augmentation soutenue du fret routier, le secteur peine à s’organiser. En cause, des infrastructures et des circuits logistiques encore rudimentaires.

Acheminer un conteneur d’un port ouest-africain vers l’hinterland coûte souvent plus cher que de l’envoyer en Asie. © Jacques Torregano / J.A.

Acheminer un conteneur d’un port ouest-africain vers l’hinterland coûte souvent plus cher que de l’envoyer en Asie. © Jacques Torregano / J.A.

Rémy Darras © Francois Grivelet pour JA

Publié le 27 mai 2016 Lecture : 5 minutes.

Acheminer un conteneur d’un port ouest-africain vers l’hinterland coûte souvent plus cher que de l’envoyer en Asie. © Jacques Torregano / J.A.
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Logistique : focus sur le transport routier africain

En dépit d’une augmentation soutenue du fret routier, le secteur peine à s’organiser. En cause, des infrastructures et des circuits logistiques encore rudimentaires. « Jeune Afrique » a fait le point.

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La puissance de grands acteurs logistiques comme Bolloré et Necotrans et de leurs affréteurs en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale pourrait le faire oublier. Mais dans 70 % à 90 % des cas, le transport routier reste encore dominé par le secteur informel sur le continent.

Une explosition du secteur informel

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C’est le cas au Burkina Faso pour 85 % des 3 000 entreprises de transport de marchandises, exploitant 24 000 engins. Il s’agit de petites sociétés familiales disposant le plus souvent de deux ou trois camions hors d’âge – plus de 30 ans en moyenne. D’après El Hadj Issoufou Maiga, président de l’Organisation des transporteurs routiers du Faso (Otraf), principal syndicat routier créé en 1995, c’est la décennie de crise ivoirienne qui a favorisé l’envol du secteur informel. Les opérateurs burkinabè se sont alors mis à approvisionner le nord du pays voisin.

« Cette situation a engendré une augmentation considérable de la flotte et l’arrivée d’une pléiade de nouveaux entrants mêlant fonctionnaires, retraités et commerçants. »

Quelques grands acteurs locaux s’affirment cependant : la Société de transport et de commerce du Faso – 300 véhicules et un chiffre d’affaires de 7,4 milliards de F CFA (près de 11,3 millions d’euros) -, la Société de transport Sankara et Fils ou encore Kanazoé Frères, de l’homme d’affaires Inoussa Kanazoé. La Côte d’Ivoire a vu elle aussi émerger quelques locomotives, comme l’entreprise Les Centaures routiers (14,4 milliards de F CFA de chiffre d’affaires en 2014), une référence dans le transport d’hydrocarbures, de produits agricoles et de conteneurs.

Mais, comme dans toute l’Afrique subsaharienne, leur essor est limité par la faiblesse des infrastructures routières. « Avec 70 000 km de routes, le continent ne représente que 7 % du réseau mondial alors qu’il concentre 15 % de la population du globe et 22 % de la superficie terrestre. Construire 70 000 à 100 000 km de routes en plus constitue sans aucun doute le défi du siècle pour l’Afrique », juge Philippe de Moerloose, fondateur du consortium SDA-SDAI, qui distribue notamment les camions Volvo.

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Desservir les principales villes du Burkina Faso prend en moyenne quarante-cinq jours, quand on pourrait sans doute le faire en deux semaines avec un réseau plus dense. Et les camions rentrent souvent à vide une fois la cargaison déchargée. Bien que, dans ce pays et dans d’autres, 90 % des marchandises soient importées ou exportées par la route, le secteur vivote.

« On roule pour 50 à 150 F CFA par kilomètre, pas assez pour s’en sortir et investir dans du nouveau matériel roulant », témoigne à Lomé Éric Renaldo, patron de deux entreprises spécialisées dans le transport de produits pétroliers et de bitume, habituées aux rotations jusqu’à Niamey et Ouagadougou.

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Difficile constat en Afrique subsaharienne

Et quand les routes existent, elles sont souvent malmenées par des camions surchargés, portant jusqu’à 120 tonnes, le triple de ce qui est supportable. Rares sont les axes qui résistent très longtemps à un tel traitement. Les nids-de-poule et les affaissements de chaussée à répétition découragent les bailleurs internationaux d’investir dans des tronçons qui doivent sans cesse être réhabilités, affirme l’économiste tunisien des transports Sadok Zerelli.

Résultat : seulement un quart du réseau est goudronné en Afrique de l’Ouest et un sixième en Afrique centrale (contre 50 % dans les pays à revenus intermédiaires, 80 % dans les pays développés), d’après des chiffres communiqués par le cabinet Louis Berger. Même les routes qui relient les États ne comportent parfois qu’une seule voie de chaque côté et ne mesurent que 7 m de largeur.

Au Gabon, le réseau principal n’est en bon état qu’à moins de 10 % et parfois, les transporteurs  préfèrent utiliser des chemins de terre, souvent mieux entretenus.

« Les grands projets sont menés à courte vue avec des chaussées mal adaptées, sans tenir compte de la croissance économique et démographique », regrette le consultant béninois Fousseni Gomina Mama. Difficile pour le réseau de supporter une progression de 5 % à 7 % par an du fret, due à la croissance des importations. Le volume de fret portuaire a doublé en près de dix ans.

Pourtant, ces dernières années, les États ont consenti à de nombreux efforts. Le Tchad a multiplié son réseau par trois entre 2002 et 2011. Le Bénin a quant à lui construit ces dix dernières années plus de routes qu’en quarante ans d’indépendance. Mais sur ses 6 000 km de réseau goudronné, seulement 30 % sont jugés conformes aux attentes.

Au Cameroun, 60 % des 10 % de routes bitumées sont véritablement praticables. Et, au Gabon, le réseau principal n’est en bon état qu’à moins de 10 %. Dans certains cas, les transporteurs ne cachent pas qu’ils préfèrent utiliser des chemins de terre, souvent mieux entretenus.

L’état des infrastructures affecte sévèrement le coût de la logistique au sud du Sahara. « Un produit valant 100 dollars à Abidjan coûtera 140 dollars une fois transporté à Niamey. Cela revient plus cher d’acheminer un conteneur du Niger au Togo que de Singapour à Lomé », rappelle Sadok Zerelli. Pour faire baisser le prix du transport, les États africains doivent aussi éliminer un grand nombre de lourdeurs administratives.

Poste de Kasumbalesa, à la frontière entre la RDC et la Zambie. © GWENN DUBOURTHOUMIEU POUR J.A.

Poste de Kasumbalesa, à la frontière entre la RDC et la Zambie. © GWENN DUBOURTHOUMIEU POUR J.A.

« Il est dur de rentabiliser un camion, surtout s’il reste deux jours à la frontière », pointe Philippe de Moerloose, bon connaisseur de l’Afrique centrale. Une situation qui rend difficile l’implantation d’autres grands acteurs internationaux du transport routier.

Le manque de sophistication des circuits logistiques est un autre obstacle majeur. À commencer par la quasi-absence de ports secs aux carrefours routiers pour optimiser l’acheminement dans l’hinterland. En dehors de celui de Bobo-Dioulasso, dont le trafic a plus que doublé entre 2010 – date de son ouverture – et 2014, tous les autres en sont encore au stade de projet, à l’image de celui de Ferkessédougou, dans le nord de la Côte d’Ivoire, point de passage obligé vers le Mali et le Burkina Faso.

« Au sud du Sahara, les bases logistiques n’ont qu’une fonction de dédouanement, pas de dégroupage. Les corridors ne sont pas multidirectionnels, ils vont du port vers un centre unique de consommation », poursuit Maidadi Sahabana, coordinateur technique des études de transports chez Louis Berger.

Détenant trois concessions ferroviaires (au Bénin, au Cameroun et en Côte d’Ivoire) et douze concessions portuaires, Bolloré Transports & Logistics (BTL) devrait, grâce à ses investissements dans 18 ports secs en construction en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale, faire évoluer la situation. Pour répondre à des échanges commerciaux grandissants, BTL a également annoncé fin mars vouloir lancer un grand plan de modernisation de ses entrepôts et étudier la possibilité de bâtir de grosses plateformes logistiques près des aéroports au Sénégal et en Côte d’Ivoire.

AU MAGHREB, VINGT ANS D’AVANCE

Contrairement à l’Afrique subsaharienne, le Maghreb attire depuis longtemps les spécialistes européens de la logistique, de Dachser à Gefco en passant par Schenker, STC et Ziegler, notamment pour gérer les flux de marchandises entre les deux rives de la Méditerranée.

Au Maroc, le suisse Militzer & Münch a inauguré en avril une plateforme logistique de 10 000 m2, correspondant à un investissement de 3,5 millions d’euros. Il contrôle désormais 42 000 m2 dans le royaume. « Depuis vingt ans, il y a eu une forte structuration des entrepôts et des routes, basée sur le développement des flux d’import-export dans l’automobile et le textile », explique Thomas Leclercq, directeur général de Rhenus Freight Logistics France.

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