États-Unis : Clinton – Trump, la guerre à outrance

Dans la course à la Maison Blanche, la démocrate Hillary Clinton affrontera le républicain Donald Trump, en novembre. Entre ces deux-là, que tout oppose, la lutte s’annonce farouche, et tous les coups, bas ou tordus de préférence, seront permis.

La campagne pour la succession de Barack Obama s’annonce sous les plus déplorables auspices. © ERIC THAYER/THE NEW YORK TIMES-REDUX-REA

La campagne pour la succession de Barack Obama s’annonce sous les plus déplorables auspices. © ERIC THAYER/THE NEW YORK TIMES-REDUX-REA

ProfilAuteur_JeanMichelAubriet

Publié le 24 mai 2016 Lecture : 9 minutes.

Dans l’histoire souvent dramatique de l’Amérique, les deux mandats de Barack Obama resteront peut-être comme une miraculeuse embellie. Une plage d’apaisement – en dépit de la violence des attaques dont le président désormais sur le départ a fait l’objet -, de prudence avisée, de mesure, d’intelligence et, ce qui ne gâte rien, de gentillesse et d’humour. Il n’a certes pas réussi tout ce qu’il a entrepris – comme tant d’autres, il s’est enlisé dans l’infernal bourbier moyen-oriental -, mais comparé à ce qui a précédé et à ce qui risque de suivre…

Car la campagne pour sa succession s’annonce sous les plus déplorables auspices. Entre un rutilant coq médiatique nommé Donald Trump, à qui il suffit d’agiter son imposante crête devant les caméras et de caqueter à tort et à travers pour faire se pâmer tous les paumés, et une dame patronnesse ennuyeuse et cynique dont l’ambition la plus affirmée est d’assurer la pérennité de la firme Clinton – après Bill en 1992 et en 1996 puis elle-même en 2016, pourquoi pas Chelsea, sa fille, en 2024 ? -, le combat sera « ugly », autrement dit moche, sale, nauséabond, prédit le Financial Times.

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Le quotidien britannique s’attend à un festival de coups bas et tordus. Ce n’est pas invraisemblable. Les candidats républicain et démocrate ne suscitant ni l’enthousiasme ni même le soutien unanime de leurs troupes, ils pourraient être tentés de surmonter ces réticences en jouant la carte de l’outrance. À la vérité, les hostilités ont déjà commencé, mais ce ne sont encore qu’escarmouches.

Peur de l’histrionisme politique

Il existe au moins une différence entre la religion catholique et la politique. La première pratique le pardon des offenses, la seconde, leur oubli. Rien ne subsiste plus de l’aigreur et du ressentiment qui, après la campagne des primaires démocrates de 2008, plombèrent les relations entre Obama et le couple Clinton. Convaincu que de deux maux, mieux valait assurément choisir le moindre, le président soutient sans réserve son ex-secrétaire d’État. Solidarité partisane ? Bien sûr, mais pas seulement. Le président est très conscient du danger représenté par l’une des tendances les plus mortifères du moment : l’histrionisme politique.

Qu’est-ce en effet qui différencie certains hommes d’État (ou qui aspirent à le devenir) d’un présentateur télé ? Demandez à Silvio Berlusconi ou à Donald Trump : deux fois rien. À l’époque où il présidait le Conseil des ministres, le premier, qui commença son aventureuse carrière comme roucouleur appointé, ne cessa jamais de contrôler en sous-main le paysage médiatique italien.

Bateleur virtuose, Trump maîtrise et manipule comme personne la machine médiatique

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Surtout les chaînes de divertissement. Avant de briguer la présidence, le second ne se contentait pas de gérer ses prospères affaires immobilières. Onze ans durant, il anima une surréaliste émission de téléréalité baptisée The American Celebrity Apprentice dans laquelle, semaine après semaine, il évaluait l’aptitude d’une poignée de benêts à « décrocher un job » dans une entreprise de son groupe. Les malchanceux étaient immuablement congédiés par un péremptoire « You’re fired! » (« vous êtes viré »).

Bateleur virtuose, Trump maîtrise et manipule comme personne la machine médiatique.Grâce à lui, les retransmissions télévisées des débats entre candidats à la primaire républicaine ont battu des records d’audience. Et c’est ainsi qu’il est parvenu à éliminer un à un tous ses concurrents. Jeb Bush ? Fired ! Marco Rubio ? Fired ! John Kasich ? Fired ! Ted Cruz ? Fired !

Six Américains sur dix ne jugent Clinton « ni honnête ni digne de confiance »

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Dans le camp d’en face, Hillary Clinton, écartelée entre son ancrage centriste et l’obligation imprévue d’apprivoiser la gauche démocrate, est apparue gênée aux entournures, engoncée dans le passé, ligotée par de vieilles accointances avec l’establishment politico-financier. Elle a tellement multiplié reniements et volte-face que, à en croire un récent sondage, six Américains sur dix ne la jugent « ni honnête ni digne de confiance ».

Sa campagne a été à ce point médiocre que, contre toute attente, elle a été mise en difficulté par Bernie Sanders, aimable rêveur de 74 ans dont la contribution au débat s’est, pour l’essentiel, limitée à une dénonciation véhémente, au demeurant sympathique, des dérives du capitalisme financier. Si la majorité des jeunes démocrates, hommes et femmes confondus, ont pu lui préférer un vétéran de l’agit-prop, qu’en sera-t-il face au redoutable maître d’œuvre de The Apprentice ? Lors des futures joutes télévisées, Mrs Clinton doit s’attendre à souffrir.

Obama en est apparemment bien conscient. Avant de refermer derrière lui les portes de la Maison Blanche, il tente de voler au secours de sa candidate et de remettre à sa place le clown fatal : « La présidence des États-Unis, c’est vraiment une fonction sérieuse, pas un divertissement, pas une émission de téléréalité ! Il [Trump] a un bilan qui va devoir être examiné de près. Il faut prendre au sérieux les propos qu’il a tenus dans le passé. » Et John Kerry, son secrétaire d’État, d’en remettre une couche en raillant « les vendeurs de petites phrases et les aboyeurs de carnaval »

Scandales et amateurisme

Sera-ce suffisant ? On verra. Mais l’on n’imagine pas sans trembler d’hypothétiques négociations entre le président Donald Trump et de rudes contradicteurs chinois ou russes : « Vous, Xi Jinping, et vous, Vlad Poutine, you’re fired ! »

Il ne fait aucun doute que le candidat républicain ne ménagera pas ses efforts pour exploiter à son profit les malencontreuses affaires dans lesquelles sa rivale démocrate est engluée : de l’attentat terroriste contre le consulat américain de Benghazi à l’époque (septembre 2012) où elle dirigeait la diplomatie américaine à la rémunération de ses discours par la banque Goldman Sachs, en passant par l’utilisation de son e-mail privé en lieu et place de celui du département d’État – faute qui, selon lui, devrait lui interdire de se présenter.

Réels ou artificiellement montés en épingle, ces scandales laissent en tout cas une impression d’amateurisme fort mal venue dans la période décisive qui s’engage. Mais ils ne suffiront pas à Trump. D’autant que lui-même a beaucoup de choses à faire oublier…

Le candidat républicain ne croit à rien. Sauf à l’argent et au commerce, qui lui permet d’en gagner à profusion. C’est même la raison essentielle pour laquelle les idéologues conservateurs ne le reconnaissent pas pour l’un des leurs. Il se moque comme d’une guigne de la cohérence de son programme, à supposer, bien sûr, qu’il en ait un. « L’Amérique d’abord », dit-il.

Cela signifie simplement qu’il veut révolutionner la gestion de l’économie, qu’il juge obsolète, renégocier les accords commerciaux avec la Chine, l’Inde ou le Brésil, rapatrier les capitaux massivement investis à l’étranger en réduisant drastiquement la fiscalité, et couper sauvagement dans les dépenses à ses yeux superflues : abrogation de divers accords de défense (Japon, Corée du Sud), démantèlement de l’Otan, etc.

Le reste n’est que de la com, du spectacle, de l’entertainment. Est-il pour le mariage gay, comme certains l’en soupçonnent ? Ce n’est pas sûr, mais pas exclu non plus. L’avortement ? Ça dépend des jours et du public auquel il s’adresse. L’abaissement du salaire minimum ? Ah bon, j’ai proposé ça, vous êtes sûr ? Il conquiert les électeurs comme des parts de marché.

Une base républicaine rétrograde et xénophobe

Tant qu’il s’est agi de séduire la base républicaine, notoirement rétrograde et xénophobe, il a multiplié sur les femmes, les musulmans (à qui il prétend interdire l’accès du territoire américain) et les Latinos les déclarations extravagantes. Délire ? Mais non, stricte stratégie marketing. Maintenant que sa désignation comme candidat est acquise et qu’il va lui falloir ratisser plus large, le ton, n’en doutez pas, va changer. C’est d’ailleurs déjà le cas.

Marié trois fois, divorcé deux fois et ne dédaignant pas apparaître en public flanqué d’une escouade de bimbos, Trump a tenu dans un passé récent des propos qui auraient dû le conduire sur le divan d’un psychanalyste. Dans le meilleur des cas. Misogynie ? C’est peu dire.

Fin 2015, lors d’un débat télé, Hillary Clinton profite d’une pause publicitaire pour s’éclipser et ne regagne sa place qu’avec retard. Quelques jours plus tard, dans un meeting, son adversaire feint de s’en indigner : « Où est-elle allée ? Moi, je le sais mais je ne veux pas en parler, c’est trop dégoûtant. Ne le dites pas, c’est trop dégoûtant, n’en parlons pas. »

Commentaire du staff de Hillary sur Twitter : « Nous ne répondrons pas à Trump. Mais tous ceux qui comprennent l’humiliation que ce langage dégradant inflige aux femmes devraient le faire. » Une autre fois, il s’en prend à une journaliste de CNN à qui il reproche de ne l’avoir pas ménagé : « On pouvait voir du sang sortir de ses yeux, du sang sortir de son… où que ce soit. » N’est-ce pas d’un goût charmant ?

Conséquence de ces dérapages à répétition, trois Américaines sur quatre ont de lui une mauvaise opinion. Électoralement rédhibitoire. L’intéressé a six mois devant lui pour tenter sinon d’inverser, du moins d’atténuer la tendance. Et comme – il le sait mieux que quiconque – la meilleure défense a toujours été l’attaque, Trump n’hésite pas ces jours-ci à exhumer de vieilles et douloureuses histoires. Le mari de sa rivale ? « Le pire agresseur de femmes de l’histoire de la politique. » Sa rivale elle-même ? « Une complice extrêmement méchante. »

Les victimes du Don Juan de l’Arkansas ? « Presque toutes dévastées, mais pas par lui, par elle. » Conclusion implicite ? « Malheureuses, qu’alliez-vous faire ! Ne votez surtout pas pour cette horrible dame ! » Quoi, que dites-vous ? La ficelle est un peu grosse ?

En matière de démagogie, on s’imagine parfois avoir tout vu, tout entendu. On a tort : Donald Trump est encore capable de nous surprendre

Semblable opération de reconquête est en cours avec les Latinos et, singulièrement, les Mexicains. Las d’être tous assimilés à des « violeurs » et à des « dealers » qu’il faudrait soit expulser sur le champ, soit tenir à l’écart du paradis américain au moyen d’une longue, longue muraille – 3 000 km, quand même ! -, ces derniers rejettent dans les mêmes proportions (75 %) le provocateur new-yorkais. C’est injuste, sans doute, puisque ce dernier ne manque désormais plus une occasion de leur déclarer sa flamme.

Avec une rare impudence, il a même mis en ligne sur les réseaux sociaux une vidéo de son éminente personne attablée devant un « taco bowl ». Avec ce sobre commentaire : « Les meilleurs tacos [le plat national mexicain] sont faits au Trump Tower Grill. J’aime les Hispaniques ! » En matière de démagogie, on s’imagine parfois avoir tout vu, tout entendu. On a tort : Donald Trump est encore capable de nous surprendre.

Ces palinodies peuvent-elles vraiment abuser les électeurs ? Le candidat républicain a-t-il la moindre chance de l’emporter, en novembre ? « Racisme, sexisme, bigoterie, discriminations, inégalités, ce ne sont pas des valeurs américaines », estime sa concurrente. On l’espère, sans en être tout à fait sûrs. Les sondages ne lui sont pas favorables mais, à six mois de l’échéance, ils ne veulent pas dire grand-chose.

Les spécialistes eux-mêmes sont partagés. Certains veulent croire à une déroute comparable à celle qui, en 1964, balaya un autre républicain marginal et extrémiste : Barry Goldwater (38,47 % des suffrages). D’autres, arguant que la machine médiatique a besoin de duels indécis, n’excluent pas un succès d’une courte tête. La vérité est que personne n’en a la moindre idée. L’ineffable Donald Trump reste une terra incognita. Un sphinx. Une énigme.

DONALD ? IL OSE TOUT

Tout le monde connait les effarantes déclarations de Donald Trump sur les femmes, les musulmans ou les immigrés hispaniques. Mais d’autres de ses propos, non moins effarants, sont davantage passés inaperçus. En voici un florilège nullement exhaustif.

Déclarations de Donald Trump.

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