RD Congo : Joseph Kabila, jusqu’à quand ?
La Cour constitutionnelle l’a autorisé à se maintenir au pouvoir au-delà de 2016, mais bien malin qui pourra dire comment Joseph Kabila a prévu de gérer les mois à venir. Le chef de l’État n’a pas pour habitude de s’épancher, pas même auprès de son entourage. Pas même lorsque l’orage gronde.
À Nsele, le fleuve Congo paraît aussi paisible qu’un grand lac. Devant cette commune huppée de l’est de la capitale, le tumulte des eaux se dissout dans le large Pool Malebo. Sur ces rives, la vie des happy few de Kinshasa, expatriés ou Congolais bien nés, s’écoule dans d’agréables restaurants, entre bières fraîches et poissons délicats. Depuis les Jet-Ski et les bateaux de plaisance, personne ne remarque les troncs d’arbre et les mottes de terre arrachés aux berges du fleuve qui flottent à la surface.
Ils rappellent pourtant à qui veut bien le voir que le Congo n’est pas toujours si sage et que, quand l’orage gronde en amont et en aval de ce havre de paix, le fleuve le plus puissant d’Afrique se déchaîne parfois au point de tout emporter sur son passage.
Au bord du gouffre économique
Joseph Kabila, qui possède la ferme de Kingakati, située non loin de là, s’est-il trop longtemps laissé bercer par la douceur des lieux ? Son ultime mandat constitutionnel expire dans sept mois, mais le chef de l’État ne montre aucun signe de nervosité. Il affiche toujours, à l’approche du crépuscule, la même sérénité et refuse de se prononcer sur son avenir.
Les motifs d’inquiétude ne manquent pourtant pas. La chute des prix des produits d’exportation congolais (notamment du cuivre, du cobalt et du pétrole) a durement touché l’économie. Le gouvernement a dû soumettre le maigre budget de l’État à une coupe drastique de 22 % pour 2016. La « croissance à deux chiffres », qui faisait il y a encore quelques mois sa fierté et l’un de ses principaux arguments de campagne, n’est plus qu’un lointain souvenir. Les autorités congolaises ne tablent plus que sur un taux de croissance de 6,6 % cette année (4,9 % selon le FMI).
Dans la vie des quartiers miséreux de Kinshasa, cela se traduit par une hausse des prix des produits importés, parmi lesquels des denrées alimentaires (comme les farines de blé ou de maïs), et la baisse du franc congolais érode le pouvoir d’achat des fonctionnaires et – plus dangereux – celui des militaires.
À Lubumbashi, un homme tente de tirer parti de ce malaise. Le 4 mai, Moïse Katumbi s’est déclaré candidat à la prochaine présidentielle. Quinze jours et une série de comparutions plus tard, il était inculpé pour atteinte à la sûreté de l’État – le gouvernement l’accuse d’avoir recruté des centaines de « mercenaires », sans toutefois en apporter la preuve.
L’avenir dira si ce sera un coup d’arrêt aux ambitions de l’ex-gouverneur du Katanga. Ou si, au contraire, son nouveau statut de « victime du régime » renforcera une popularité déjà grande.
Enfin, il y a la question lancinante des élections. D’après la Constitution, le président Joseph Kabila devra passer le relais à son successeur avant la fin de l’année. Or rien n’est prêt : le calendrier électoral a déjà sept mois de retard (les scrutins locaux devaient initialement être organisés en octobre 2015). Le fichier électoral est vicié par des centaines de milliers de doublons, et les noms de personnes décédées y figurent toujours, selon les experts de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF).
Près de six millions de jeunes, qui viennent théoriquement d’obtenir le droit de vote, n’ont pas encore intégré le fichier. Privée de moyens, la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) est supposée organiser le tout dans un pays grand comme l’Europe de l’Ouest, mais où les infrastructures sont presque inexistantes… Bref, l’imprévoyance de l’exécutif a rendu l’équation électorale impossible à résoudre dans un délai si court.
Forcé à se maintenir ?
Pourtant, dans l’entourage du président, on ne s’inquiète pas outre mesure de cette conjonction d’événements potentiellement explosive. Encore moins depuis que la Cour constitutionnelle a laissé entendre, le 11 mai, que le président Kabila pourrait rester en place jusqu’à l’élection de son successeur, laquelle pourrait n’être organisée que dans plusieurs années. En privé, la plupart des responsables de la majorité reconnaissent que ce scénario, dit du « glissement », est désormais certain.
Une obstination à ne rien dévoiler
C’est d’ailleurs ce à quoi se prépare le « conseil des six », ce groupe de proches du président chargé de négocier avec l’opposition. « Il y aura un glissement de deux ans, jusqu’en 2018, détaille l’un de ses membres. Le moment venu, nous annoncerons un calendrier, ainsi que le nom du candidat de la majorité. Mais, à ce stade, le président ne peut pas dévoiler ses intentions. Cela mettrait la sécurité nationale en danger. Les ambitions se déchaîneraient ! »
Ce scénario, le conseil ne l’a toutefois pas entendu de la bouche du chef. Il a été contraint de le déduire de ses interminables silences, si ce n’est de l’échafauder. Joseph Kabila ne se confie pas, même à ses plus proches collaborateurs. Il reste muet comme un capitaine du fleuve Congo. « L’un de nous a une fois osé lui demander de nous éclairer sur la stratégie à suivre, témoigne un ministre. Il a répondu que nous en reparlerions la prochaine fois, mais il n’est jamais revenu sur le sujet. »
Comment comprendre cette obstination à ne rien dévoiler ? Les Occidentaux en sont réduits à des spéculations. Pour beaucoup, le président chercherait à dissimuler sa volonté de se maintenir envers et contre tout. D’autres croient déceler une hésitation du chef de l’État, qui, selon un diplomate en poste à Kinshasa, n’a pas totalement écarté l’idée de se retirer.
« Ce sont ses conseillers qui font tout pour qu’il reste, assure cette source. Ses courtisans l’isolent, lui cachent son impopularité. Mais il n’est pas aussi naïf qu’ils le pensent. Il garde toutes les options sur la table. »
En conséquence, ce sont les faucons de son entourage que visent les États-Unis et l’Union européenne. Des sanctions communes sont à l’étude, et Kabila devrait, dans un premier temps, y échapper. Interdire les proches du chef de l’État de séjour à Bruxelles, à Paris et à Washington et y geler leurs avoirs pourraient, compte tenu de leurs habitudes et de leur train de vie, les faire réfléchir. Mais la menace sera-t-elle mise à exécution ?
« La décision de la Cour constitutionnelle a divisé la communauté internationale, explique un diplomate européen. Il y a désormais deux écoles. Ceux qui pensent que la Cour s’est discréditée, qu’elle a elle-même violé la Constitution, et qui veulent augmenter la pression, et ceux pour qui elle reste malgré tout la clé de voûte d’institutions à préserver. »
Non aux organismes internationaux !
En tout cas, Kinshasa ne se privera pas de jouer sur le sentiment nationaliste pour tenter de désamorcer les critiques occidentales. Le 17 mai, le secrétaire général du Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD, au pouvoir) a donné le ton dans un discours particulièrement offensif : « Nous disons non à l’intrusion extérieure, non aux laquais de l’impérialisme », a lancé Henri Mova Sakanyi concluant, à l’adresse de « ceux qui donnent des ordres à partir de l’extérieur pour éventuellement organiser une insurrection » : « Il y a ici un peuple debout ! »
L’a-t-il fait sur instruction du président ? Ce n’est pas exclu. L’indécision apparente du chef ne signifie pas son absence de sens tactique. Dans l’adversité, il est même un as de la survie politique et il l’a montré plusieurs fois ces dernières années. Que l’on pense à la manière dont il a su faire intervenir ses alliés sud-africains et tanzaniens pour défaire les rebelles du Mouvement du 23-Mars en 2013, le tout sous le parapluie onusien.
Ll n’y aura pas de troisième mandat pour Joseph Kabila, la Constitution est claire à ce sujet, explique Léonard She Okitundu, membre de la Majorité présidentielle. Mais le président restera en fonction en attendant que la présidentielle ait lieu et jusqu’à ce que le nouveau chef de l’État soit connu pour lui passer le flambeau
Et cette idée du dialogue avec l’opposition ne lui a-t-elle pas permis de la diviser, tout en se posant en conciliateur raisonnable et pragmatique ? Qui peut se déclarer contre le principe du dialogue ? L’ONU, l’UE et l’OIF, qui ne craignent rien tant que le chaos, n’ont pas osé. Elles ont même adoubé la médiation menée par le Togolais Edem Kodjo au nom d’une Union africaine (UA) bien plus conciliante. Quant à la récente décision de la Cour constitutionnelle, elle ouvre la voie au maintien de Kabila au pouvoir sans qu’il ait à l’annoncer lui-même.
Cet homme, rompu à l’art très politique de la diversion, évite ainsi de réveiller l’eau qui dort. Car, après tout, la rue – et singulièrement celle de Kinshasa – est la seule force véritablement capable de le faire dévier de sa trajectoire. Elle l’a déjà montré : en janvier 2015, des émeutes dans la capitale ont conduit au retrait d’un projet de loi qui, en posant un recensement général comme préalable à toute élection, ouvrait la voie à un report. Pour de nombreux observateurs, ce fut un avertissement que le pouvoir devait entendre.
« Avec l’annonce de la Cour constitutionnelle, le pouvoir a fait la même erreur, assure Floribert Anzuluni, le coordonnateur du Front citoyen 2016. Il a dévoilé ses intentions. Or l’exaspération des Congolais a encore augmenté depuis l’année dernière. » « La mobilisation des Congolais, surtout à Kinshasa, est imprévisible, nuance un vieux routier de l’opposition. Elle dépend de très nombreux facteurs difficilement maîtrisables. »
Le premier test aura lieu le 26 mai, date à laquelle plusieurs organisations de l’opposition ont appelé à des manifestations. L’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), d’Étienne Tshisekedi, parti le plus structuré à Kinshasa, ne s’est en revanche pas ralliée au mouvement, et c’est une petite victoire pour le camp présidentiel, qui parie sur l’incapacité de l’opposition à mobiliser suffisamment la rue. « Depuis l’indépendance, combien de fois le gouvernement congolais a-t-il été renversé par une insurrection populaire ? interroge, narquois, un diplomate congolais. Zéro ! Nous sommes un peuple pacifiste, c’est comme ça. »
Le peuple Congolais debout, une menace pour Kinshasa
Pacifiques, les Congolais ? L’affirmation est aussi audacieuse que risquée, tant leur patience sera mise à rude épreuve dans les prochains mois. Mais, depuis vingt ans, le pays s’est surtout habitué à un autre mode de contestation : les guerres et les rébellions. C’est comme cela que le propre père du président, Laurent-Désiré Kabila, a mis un terme au régime finissant de Mobutu, en 1997.
C’était, certes, une autre époque… Le pouvoir, en tout cas, n’y croit pas. « Une rébellion ne peut pas fonctionner sans le soutien de pays voisins, assure un ministre. Je ne vois pas qui pourrait se lancer dans pareille aventure. » On ne voit pas non plus qui, parmi ces mêmes voisins, pourrait venir à sa rescousse en cas de besoin. En 2007 pourtant, l’intervention de l’Angola avait été décisive dans le face-à-face qui opposait Joseph Kabila à son ancien vice-président, Jean-Pierre Bemba. Mais José Eduardo dos Santos ne paraît plus désireux de se mêler des affaires congolaises.
Joseph Kabila le sait et il peut encore, en fonction de la tournure des événements, changer de stratégie. Il peut accélérer ou ralentir la préparation du scrutin. Et, pourquoi pas, si les circonstances le permettent, acter son maintien au pouvoir pour un nouveau mandat. Dans le cas contraire, il pourra encore présenter un dauphin contrôlable à la présidentielle.
Les manœuvres dilatoires ayant pour projet apparemment d’hypothéquer l’organisation des élections dans les délais constitutionnels préparent un glissement extrêmement dangereux […] qui entraînerait une prolongation des souffrances du peuple congolais, en vue de mieux l’assujettir et de continuer à exploiter ses ressources sans redevabilité, affirme Denis Mukwege, médecin lauréat du prix Shakarov
Le statut de sénateur à vie, conféré aux anciens présidents par la Constitution, serait certes un maigre lot de consolation. Mais il peut lui permettre d’accéder à la présidence du Sénat et de devenir deuxième personnage de l’État, suggère l’un de ses conseillers. Des noms circulent depuis longtemps pour jouer les Medvedev congolais : ceux du Premier ministre, Augustin Matata Ponyo, et du président de l’Assemblée nationale, Aubin Minaku.
Le vice-Premier ministre, Évariste Boshab, s’y verrait bien aussi, tandis que le secrétaire général du parti, Henri Mova, est revenu dans le jeu. Mais aucun ne dispose d’une véritable assise populaire, et leur capacité à s’imposer dans les urnes face au poids lourd Moïse Katumbi est pour le moins incertaine.
Reste enfin, pour Joseph Kabila, l’hypothèse d’une sortie ordonnée, éventuellement en concluant un pacte avec l’un de ses opposants actuels. C’est encore possible, du moins si son règne ne se termine pas dans le chaos. Là encore, c’est la mobilisation des Congolais qui donnera le la.
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