Algérie : l’USM Alger, le défi sportif d’Ali Haddad

L’influent patron des patrons algériens a réussi dans les affaires. Aujourd’hui, il veut faire de son club de foot, l’USM Alger, une référence dans son pays et en Afrique. Pas si simple…

Au stade Omar-Hamadi, le 31 octobre 2015, lors du match aller de la finale de la Ligue des champions de la CAF contre les Congolais du TP Mazembe. © FAROUK BATICHE/AFP

Au stade Omar-Hamadi, le 31 octobre 2015, lors du match aller de la finale de la Ligue des champions de la CAF contre les Congolais du TP Mazembe. © FAROUK BATICHE/AFP

Alexis Billebault

Publié le 2 juin 2016 Lecture : 6 minutes.

On a connu des célébrations plus festives. Le 30 avril, en dominant l’ASM Oran (3-0) dans son petit stade Omar-Hamadi, dont les tribunes lèchent la Méditerranée, à Bologhine, en banlieue nord de la capitale, l’Union sportive de la médina d’Alger (USMA) est devenue championne d’Algérie pour la septième fois de son histoire. Pourtant, à peine le coup de sifflet final donné, les Algérois ont quitté la pelouse sans saluer leurs supporters.

La faute à quelques petites brouilles entre une partie du public et les joueurs, qui avaient mal compris certaines insultes déferlant des tribunes quand le rendement de l’équipe n’était pas à la hauteur des attentes.

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Mais ces querelles ne pèsent finalement pas grand-chose comparées à la conquête d’un titre, un an après une saison 2014-2015 pleine de paradoxes : sauvée de la relégation en Ligue 2 lors de la dernière journée, l’USMA a atteint la finale de la Ligue des champions de la CAF, fin 2015, face au TP Mazembe (1-2, 0-2). « C’est un pas supplémentaire vers la réalisation de l’objectif d’Ali Haddad. Devenir le meilleur club d’Algérie, mais aussi d’Afrique », explique Bernard Simondi, nommé directeur sportif en décembre 2015.

De multiples fonctions

Patron des patrons algériens, Ali Haddad, 51 ans, est réputé proche du pouvoir. Il entretient des liens étroits avec Saïd Bouteflika, le frère du chef de l’État, et avec Abdelmalek Sellal, le Premier ministre.

Il est le propriétaire de l’USM-Alger depuis 2010. Même si le premier souhait de ce natif d’Azeffoun, petite ville côtière de la wilaya de Tizi-Ouzou, était de prendre les commandes de la JSK, le club phare de Kabylie. « Avant Haddad, explique un journaliste local, le club ne fonctionnait pas si mal que ça. Saïd Allik, l’ancien président, avait obtenu plusieurs titres. Mais les moyens n’étaient pas les mêmes. » La passation de pouvoir entre les deux hommes s’est faite dans la douleur.

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En mai 2012, plus d’un an après avoir cédé 67 % des parts du club au puissant chef d’entreprise, Allik a déclaré avoir été abusé par la notaire – de connivence avec Haddad, selon lui – lors de la cession des actions du club entre les deux parties. « La transition n’a pas été facile. Mais ce qui est aujourd’hui certain, c’est que, dans le contexte actuel du football algérien, l’USMA est un modèle à suivre, souligne Rabah Saadane, ancien sélectionneur des Fennecs et entraîneur de l’USMA en 1999-2000. »

« Dans les années 1970 et 1980, les clubs étaient tous dirigés par des entreprises, et c’est à cette période que notre football a connu ses meilleurs résultats, que ce soit au niveau de la sélection ou des compétitions africaines, poursuit-il. L’arrivée d’un homme comme Ali Haddad a permis à l’USMA de se structurer, de se développer rapidement. »

Ali Haddad est très occupé par ses affaires et il délègue beaucoup. C’est son frère, Rebouh, qui gère le club au quotidien

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Dès qu’il a pris la présidence du club, le nouveau boss, qui était jusqu’alors l’un des sponsors de l’USMA, a commencé à mettre en place son programme. D’abord en recrutant Hervé Renard (qui ne restera en poste que de janvier à octobre 2011) et certains des meilleurs joueurs du pays, puis en dotant le club de structures plus solides, notamment au niveau administratif.

« Ali Haddad est très occupé par ses affaires et il délègue beaucoup. C’est son frère, Rebouh, qui gère le club au quotidien. Lui vient assez rarement, mais il suit les évolutions de près », note le Français Didier Ollé-Nicolle, qui a entraîné le club pendant quelques mois, après le départ de Renard. « À l’USMA, les salaires sont payés dans les délais, contrairement à ce qui se passe dans la plupart des clubs algériens, poursuit-il. Il y a des contrats de travail, le club cotise à la sécurité sociale… Cela peut paraître banal vu de France, mais, en Algérie, ce n’est pas si fréquent. Haddad met les moyens nécessaires à ses ambitions. »

Le président du club est ainsi capable de proposer à ses meilleurs joueurs des salaires allant jusqu’à 35 000 euros par mois (hors primes), et l’USMA, avec un budget estimé à 5 millions d’euros, ne connaît pas de fins de mois difficiles.

Modernité

Pourtant, selon plusieurs proches du club, le fonctionnement interne ne serait pas aussi clair que son président-propriétaire le souhaiterait. « On lui cache des choses. Son argent n’est pas toujours bien utilisé, même si ça s’est amélioré. Le football n’est officiellement professionnel que depuis 2011 en Algérie, et il y a encore de vieilles habitudes, explique un ancien salarié. Quand Ali Haddad débarque avec un management différent, plus moderne, cela dérange certaines personnes qui avaient l’habitude de profiter du système. Et quand on veut réaliser certaines économies de fonctionnement, ce n’est pas bien perçu par tout le monde. »

Le Français David Ducci, nommé directeur de l’administration générale après le changement de propriétaire, est resté en poste moins de six mois. « Haddad m’avait embauché, car il voulait que le club fonctionne sur un mode de management plus européen, mais ma présence ne semblait pas convenir à tout le monde, et je ne suis pas resté très longtemps, confie Ducci. Il était à l’écoute de tout ce qui pouvait aider son club à progresser, mais c’est un homme d’affaires. Chaque dinar est compté. Il est dans une logique de rentabilité. »

Et que pensent les professionnels de Rebouh Haddad ? « Il fait plutôt correctement son travail et applique la politique décidée par son frère. Diriger un club, c’est un métier qu’il découvre, mais il a appris assez vite. Et il est très présent », reconnaît Hamza Rahmouni, journaliste au quotidien Le Buteur. « Si, comme presque partout, des opportunistes gravitent autour du club, ce dernier est globalement bien géré », confirme Rabah Saadane.

Certains de ceux qui ont travaillé avec le frère du patron ne partagent pas cet avis. « Rebouh n’est pas au même niveau qu’Ali. Il est là parce que c’est son frère, mais il n’a pas les compétences nécessaires, explique un ancien de l’USMA. Il laisse faire certains courtisans, qui freinent l’évolution du club, et il a adopté un fonctionnement un peu trop paternaliste à l’égard des joueurs, avec lesquels les relations sont parfois tendues. »

En six ans, l’USMA a amélioré ses performances . Le stade Omar-Hamadi a été rénové, les locaux administratifs ont été nettement améliorés et les conditions d’entraînement, modernisées. « Il y a également une volonté de développer la formation des jeunes, un volet négligé en Algérie », insiste Rabah Saadane.

Le club a parfois tendance à acheter des joueurs certes de qualité, mais qui ne sont pas forcément faits pour jouer ensemble

« Ali Haddad veut continuer à recruter de très bons joueurs et souhaite aussi miser sur les jeunes que le club va former. J’ai d’ailleurs sillonné le pays pour observer plusieurs d’entre eux », précise Bernard Simondi.

Une instabilité qui fait défaut

Malgré des moyens supérieurs, l’USMA n’écrase pas la concurrence du MC Alger, de l’ES Sétif ou de la JS-Kabylie. « Le club a parfois tendance à acheter des joueurs certes de qualité, mais qui ne sont pas forcément faits pour jouer ensemble. Et, depuis l’arrivée d’Ali Haddad, le club a vu passer beaucoup d’entraîneurs. Cette instabilité n’est pas la meilleure façon de bâtir sur la durée », remarque un sélectionneur de Ligue 1.

Certains accusent même l’USMA d’être favorisée par les décisions arbitrales – « C’est un sentiment assez partagé dans le milieu », ajoute le technicien. « La réussite de l’USMA provoque quelques jalousies en Algérie, rétorque Saadane. Ses relations avec les autres clubs semblent cependant assez bonnes, et ce que fait Haddad devrait donner des idées à d’autres investisseurs. C’est d’ailleurs le souhait de l’État. »

En Algérie, où personne n’ignore l’attachement d’Ali Haddad à la JS-Kabylie, les rumeurs selon lesquelles l’homme d’affaires n’aurait pas renoncé à en devenir actionnaire, voire à en prendre les commandes, continuent de courir. « Son intérêt pour la JSK est une question qui se pose régulièrement », confirme Hamza Rahmouni. Une hypothèse qui, si elle devait se concrétiser, remettrait en question la présence d’Ali Haddad à la tête de l’USMA.

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