Mounir Mahjoubi, l’homme providentiel à la tête du Conseil national du numérique en France

Encarté au PS, actif dans les campagnes présidentielles de Ségolène Royal et de François Hollande, ce Franco-Marocain dirige le Conseil national du numérique.

« J’éprouve une joie absolue à aider les humains », soutient ce faux naïf ultraconnecté. © Cyrille Choupas / J.A.

« J’éprouve une joie absolue à aider les humains », soutient ce faux naïf ultraconnecté. © Cyrille Choupas / J.A.

Publié le 3 juin 2016 Lecture : 4 minutes.

Voir la presse marocaine titrer « Un Marocain à la tête du Conseil national du numérique » l’a fait sourire : il ne parle pas arabe et n’a pas mis les pieds dans « le pays de ses parents » depuis ses 16 ans. Sa binationalité, il la vit sereinement, sans qu’elle le définisse pour autant. « Nous venons du Maroc, dit-il, mais je ne passe pas mon temps à me définir comme franco-marocain. »

Mounir Mahjoubi a pourtant la tchatche des Maghrébins, « le faciès et le physique aussi », ajoute-t-il dans un éclat de rire. À 32 ans, l’ancien premier de la classe, « obèse et berbère en plus », a été nommé par François Hollande à la tête du Conseil national du numérique (CNNum), une instance qui conseille le gouvernement sur tout ce qui concerne internet.

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Stratégie en trois axes

Peu importe qu’il ait été le second choix, qu’on lui ait reproché d’avoir obtenu ce poste (bénévole) grâce à son affiliation au PS – où il est encarté « mais pas actif » – ou en raison de son nom, symbole d’une France qui a encore du mal à diversifier ses élites, Mahjoubi défend avec ferveur son programme. En trois axes : les PME-PMI – « je ne comprends pas que la France, deuxième puissance économique d’Europe, soit avant-dernière en matière d’e-commerce » -, l’enseignement supérieur, où il veut aider les universités à développer leurs stratégies numériques, et l’inclusion numérique « pour permettre aux personnes marginalisées d’apprendre à utiliser l’outil, voire mettre à leur disposition des médiateurs pour les aider dans leurs démarches ».

Grandir intra-muros, c’est sa chance

Le jeune homme naît et grandit dans la capitale française, au sein d’une famille ouvrière berbère. Ses parents sont originaires d’Afourar, dans la région de Beni-Mellal (centre du Maroc). « Très exactement sous le lac de Bine el-Ouidane, l’un des villages qui ont été déplacés quand ils ont construit le barrage », détaille-t-il. Le père, manutentionnaire dans les usines de la société Soubrier, émigre en France au début des années 1970. La mère rejoint son époux sans parler un mot de français : elle sera femme de ménage dans des palaces parisiens. Ils auront trois enfants, deux filles et un garçon au milieu.

À l’écouter raconter son enfance, rythmée par les allers-retours estivaux au bled, on aurait presque l’impression d’être dans une scène du film La Marche. « Maman disait toujours : « les Français », pas juste pour parler des « Blancs », mais pour dire ce qu’il fallait faire de bien. Ou ce qu’ils faisaient de bizarre. » Pour sa mère, la France c’est « le 12e », où ils ont vécu à cinq dans 35 m² parce que « ça valait mille fois plus qu’un très grand appartement en banlieue ». Grandir intra-muros, c’est sa chance.

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Demeure le regard des autres, stigmatisant, qu’il n’arrive pas à dépasser, jusqu’à ce que, à 20 ans, il devienne délégué syndical CFDT. « À partir de là, je n’avais plus cette petite rage, cette petite honte, ce sentiment d’être perçu différemment, comme un Arabe. » Le jeune homme n’en est pas moins resté un idéaliste un peu naïf qui s’exprime à coups de « j’avais l’impression de pouvoir être utile contre les injustices » ou de « j’éprouve une joie absolue à aider les humains ».

Plus apaisé aujourd’hui, il cherche toujours son équilibre entre les deux Mounir – celui, timide et mal à l’aise avec son image, et celui, hyperpro, qui raconte ses expériences professionnelles avec un enthousiasme contagieux.

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Un « électron libre » ultraconnecté

Le créatif bouillonnant, décrit par ses proches comme « complexe », « doté d’une énergie combattante », « ancré dans le concret », a préféré quitter le poste – qu’il occupait depuis quatre ans – de directeur général adjoint chez BETC Digital, spécialisé dans l’accompagnement des entreprises dans leur transformation numérique, pour créer sa propre structure, qu’il lance en septembre, où il aidera des entreprises à créer des start-up.

Ses premiers pas dans le monde du numérique, il les a faits très tôt en créant un site d’e-commerce en décoration, à l’âge de 22 ans. Un échec suivi de tentatives plus réussies, comme Mounir & Simon, agence de conseil en innovation créée en 2009 et qui aura Google comme client. Un an après, Mahjoubi fonde avec Guilhem Cheron et Marc-David Choukroun La Ruche qui dit oui !pour connecter consommateurs et producteurs locaux. « Mounir est un électron libre. Il faut qu’il soit sur dix projets en même temps : il est dans la créativité, pas dans la stabilité », raconte Choukroun, qui dirige La Ruche.

Il y a du Balzac dans ce jeune homme

En 2012, cet e-hyperactif avait préféré s’engager dans la campagne de François Hollande. En 2007, il avait déjà participé à celle de Ségolène Royal en créant segosphere.net, sorte de réseau social reliant les communautés de soutien à la candidate. Resté proche de Thomas, le fils, Mahjoubi se défend d’être l’obligé des Hollande. On n’exclut néanmoins pas de le voir s’impliquer plus activement dans le parti.

« Je pense qu’un jour il aura envie de revenir en politique, et pas comme conseiller numérique », confie-t-on au PS. Son ancienne patronne, Mercedes Erra, est grandiloquente. « Je lui vois un destin présidentiel. Il y a du Balzac dans ce jeune homme. » Rien que ça !

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