Burkina Faso : le CDP est-il fini ?

Affaibli par la chute de Blaise Compaoré et en délicatesse avec les autorités durant la période de transition, le Congrès pour la démocratie et le progrès se remet en ordre de bataille.

Députés du CDP (dont l’ex-ministre Juliette Bonkoungou), à l’Assemblée nationale, le 3 mai. © Sophie Garcia/Hanslucas.com / J.A.

Députés du CDP (dont l’ex-ministre Juliette Bonkoungou), à l’Assemblée nationale, le 3 mai. © Sophie Garcia/Hanslucas.com / J.A.

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Publié le 8 juin 2016 Lecture : 5 minutes.

Laure Nadine est membre de SOS/Jeunesse et défis, une association basée à Ouagadougou, au Burkina Faso © Jeff Attaway / Flickr Creative Commons
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Burkina Faso : changement d’ère

Près de six mois se sont écoulés depuis l’investiture de Roch Marc Christian Kaboré à la tête du Burkina Faso. Le pays a-t-il su tourner la page Blaise Compaoré, déchu par la rue en octobre 2014 ?

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Ils n’avaient jamais connu ça depuis la création de leur parti, en 1996. Toujours vainqueurs, toujours majoritaires, les cadres du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP) étaient habitués aux ors de la République. Mais depuis la chute de leur mentor, Blaise Compaoré, le 31 octobre 2014, les choses ont bien changé pour les barons de l’ancien régime.

Arrivé troisième aux élections législatives du 29 novembre 2015 (avec 18 députés sur 127, voir infographie), le parti se retrouve dans l’opposition pour la première fois de son histoire.

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Ce résultat honorable était pourtant loin d’être assuré. Depuis l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014, l’ex-parti présidentiel était voué aux gémonies. Plusieurs de ses responsables, dont Assimi Kouanda, son secrétaire exécutif national, avaient été arrêtés au début du régime de transition. Accusés de corruption ou de malversations, certains croupissent toujours en prison. Les militants, eux, rasaient les murs.

Alors qu’il tentait difficilement de remonter la pente, le CDP a subi un nouveau coup dur, en avril 2015, lorsque la transition a réformé le code électoral pour exclure plusieurs de ses membres des élections présidentielle et législatives à venir. Six mois plus tard, à la mi-septembre, le général Gilbert Diendéré et les putschistes du Régiment de sécurité présidentielle (RSP) ont justifié leur tentative de coup d’État par leur volonté d’empêcher cette mesure d’exclusion électorale.

Avoirs gelés et soupçons

Immédiatement, l’ancien parti majoritaire a été suspecté d’être derrière ce putsch manqué, qui a failli mettre un coup d’arrêt à la transition à seulement trois semaines des élections.

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« Sous prétexte que ce coup d’État nous était favorable, certains en ont profité pour dire que nous l’avions préparé, alors qu’aucun de nos membres n’était impliqué », se défend Achille Tapsoba, vice-président du CDP, qui ne nie cependant pas l’existence de liens étroits entre certains responsables de son parti et le RSP (Fatoumata Diendéré, l’épouse de Gilbert Diendéré, est par exemple une figure historique du CDP).

S’ils démentent toute responsabilité dans ce coup d’État, sa rapide mise en échec n’a pas arrangé les affaires des dirigeants de l’ex-formation présidentielle. Les avoirs du CDP ont été gelés et sa nouvelle hiérarchie, accusée de complicité avec les putschistes, arrêtée, à commencer par son président, Eddie Komboïgo, et l’un de ses vice-présidents, Léonce Koné.

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C’est donc un CDP très affaibli qui s’est présenté aux scrutins du 29 novembre 2015. Privé de candidat à la présidentielle, il a tout de même montré à l’occasion des législatives qu’il avait gardé un certain poids dans les campagnes. « Nous sommes toujours là. La transition n’a pas réussi à nous achever. Elle nous a porté des coups mortels, mais nous avons survécu », souligne l’un de ses cadres.

Avec ses principaux ténors en fuite ou sous les verrous, le CDP est désormais dirigé par d’anciens seconds couteaux montés en grade

Ironie de l’Histoire, les « cédépistes » se retrouvent aujourd’hui dans l’opposition au côté de leur ancien rival, Zéphirin Diabré, le président de l’Union pour le progrès et le changement (UPC), qui avait été à la pointe de la contestation contre le régime Compaoré. Ensemble, ils bataillent dans l’hémicycle contre leurs nouveaux ennemis communs : Roch Marc Christian Kaboré et le Mouvement du peuple pour le progrès (MPP).

Avec ses principaux ténors en fuite ou sous les verrous, le CDP est désormais dirigé par d’anciens seconds couteaux montés en grade. Loin de vouloir couper le cordon avec Blaise Compaoré – victime, selon eux, d’une campagne de dénigrement -, ils affirment que le parti s’est engagé dans « une nouvelle forme de lutte politique » et semblent regarder l’avenir avec sérénité.

« Le MPP ne s’est pas lancé dans la chasse aux sorcières que certains prédisaient, nous sommes même plus libres qu’avant, affirme Achille Tapsoba. Nos libertés d’opinion, d’expression et de réunion sont respectées, ce qui n’était pas le cas pendant la transition. »

Comme lors des dernières législatives, le CDP est arrivé en troisième position, derrière le MPP et l’UPC, aux élections municipales du 22 mai. « C’est devenu un parti de losers », ironise une figure de l’opposition. Malgré ces critiques, l’ex-parti présidentiel entend s’appuyer sur sa base électorale rurale pour remonter progressivement la pente et redevenir un jour, pourquoi pas, la première formation politique du Burkina.

« Nous sommes confiants. Nous avons renoué avec notre électorat, et le climat politique est apaisé », pronostique l’un de ses dirigeants. Autre motif d’espoir pour le CDP : il peut à nouveau compter sur des moyens financiers importants, la justice ayant annoncé, début avril, la fin du gel de ses avoirs.

Des lauriers pour le MPP

Les municipales du 22 mai ont donné clairement l’avantage au parti présidentiel. Elles confirment aussi le statut de l’UPC comme première formation de l’opposition.

Les cadres du Mouvement du peuple pour le progrès (MPP) redoutaient ce scrutin – le premier depuis leur arrivée au pouvoir. Après leur large victoire à la présidentielle et aux législatives, ils savaient que le défi des élections municipales du 22 mai serait tout autre.

Enjeux locaux, bonne implantation de leurs adversaires en milieu rural, vote sanction après cinq mois d’exercice du pouvoir… Tous ces éléments auraient pu transformer ce premier test électoral en piège pour le MPP. Il n’en a rien été. Sur 364 communes, le parti de Roch Marc Christian Kaboré en a remporté plus de 250, dont Ouagadougou et Bobo-Dioulasso, les deux premières villes du pays.

Une nette victoire, donc, qui doit toutefois être relativisée : le taux de participation n’a été que de 47,6 %, alors qu’il avait dépassé les 70 % lors des dernières municipales, en décembre 2012.

« Les Burkinabè font face à beaucoup de difficultés quotidiennes depuis des mois, qui ne trouvent pas encore de réponse concrète. Ils s’étaient mobilisés pour la présidentielle, mais, cette fois, ils ont boudé les urnes », explique un membre de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni). Cette lassitude à l’égard de la politique se double d’autres préoccupations : l’hivernage a débuté dans certaines régions rurales, où nombre de paysans étaient davantage concentrés sur leurs travaux agricoles que sur les enjeux électoraux.

De son côté, l’Union pour le progrès et le changement (UPC), de Zéphirin Diabré, a confirmé son statut de premier parti d’opposition. Le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP) a, lui, rappelé, après ses résultats honorables aux législatives du 29 novembre 2015, qu’il avait encore un certain poids dans les campagnes.

« C’est une très large victoire sur nos adversaires, jubile l’un des dirigeants du MPP. Nous allons pouvoir approfondir le processus de décentralisation et le transfert de compétences aux collectivités locales. » Après avoir conquis la présidence, l’Assemblée nationale et la majorité des communes, Kaboré et le MPP ont désormais toutes les cartes en main pour appliquer leur programme. Ce que leurs adversaires ne manqueront pas de leur rappeler s’ils échouent à redresser le pays.

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