Burkina – Rosine Coulibaly : « Notre premier défi est de renouer avec une croissance soutenue »
Orienter les investissements vers des projets structurants, rationaliser les dépenses, améliorer les rentrées fiscales… Pas facile de relancer une machine grippée. La ministre des Finances s’y attelle.
Burkina Faso : changement d’ère
Près de six mois se sont écoulés depuis l’investiture de Roch Marc Christian Kaboré à la tête du Burkina Faso. Le pays a-t-il su tourner la page Blaise Compaoré, déchu par la rue en octobre 2014 ?
Renouer avec une croissance de plus de 5 % dès cette année : c’est l’objectif que s’est fixé le Burkina postinsurrectionnel. Pour y parvenir, le gouvernement compte doper ses dépenses d’investissement en augmentant ses recettes, qui, selon les projections du ministère de l’Économie et des Finances, devraient atteindre plus de 21,5 % du PIB, contre 19 % en 2015. Principal artisan de cette stratégie, Hadizatou Rosine Sori-Coulibaly.
Titulaire d’une maîtrise en économie de l’université Cheikh-Anta-Diop de Dakar (Ucad) et d’un diplôme de troisième cycle de l’Institut des Nations unies pour le développement économique et la planification, Rosine Coulibaly, 58 ans, a fait une grande partie de sa carrière à l’ONU, pour laquelle elle a été en poste en Mauritanie, au Burundi, au Togo et au Bénin, où elle a été représentante du Pnud et coordinatrice résidente du Système des Nations unies d’août 2014 jusqu’à sa nomination à la tête du ministère de l’Économie, des Finances et du Développement, le 13 janvier dernier.
Poignée de main chaleureuse, à l’aise sur ses dossiers, la ministre n’occulte pas les problèmes auxquels le Burkina est confronté depuis la crise politique de 2014, les quatorze mois de transition qui ont suivi, sans oublier les attaques terroristes de janvier dernier.
Elle sait que, pour relancer l’économie et la transformer en profondeur, le cap sera difficile à tenir. Pourtant, les réformes qu’elle a engagées – « sans pression politique », précise-t-elle – semblent porter leurs fruits.
Jeune Afrique : comment va l’économie burkinabè ?
Rosine Coulibaly : Elle pourrait aller mieux. Nous avons hérité d’une situation délicate, marquée par un contexte international morose. Un temps porté par des vents favorables, notre taux de croissance, qui s’établissait à 6,4 % en moyenne entre 2009 et 2013, s’est malheureusement affaissé à 4 % à la fin des années 2014 et 2015. Nous avons donc un gigantesque défi à relever, d’autant que la population, elle, croît de plus de 3 % par an, ce qui réduit encore les marges.
Il faudrait que nous engagions des réformes audacieuses pour atteindre les objectifs fixés
Quelles sont vos priorités ?
Je dois m’assurer, d’une part, que notre stratégie de développement est bien conçue et que nous prenons les mesures nécessaires pour qu’elle ait un impact durable sur la vie des populations. Je dois veiller d’autre part à la cohérence de nos politiques fiscale et budgétaire, et à ce que nous engagions des réformes audacieuses pour atteindre les objectifs fixés.
Le premier d’entre eux est de renouer avec une croissance assez soutenue afin d’infléchir la courbe de la pauvreté [dont le taux est estimé à environ 40 %] et de diversifier l’économie.
Nous tablons sur une prévision de croissance de l’ordre de 5,2 % en 2016, soit une hausse de 1,2 point. Pour cela, nous voulons dynamiser les investissements structurants, comme ceux réalisés pour le Bagrépôle et pour les autres projets de pôles de croissance, pour le nouvel aéroport de Donsin, le réseau routier, etc.
Outre le Programme de développement intégré de la vallée de Samandéni [Ouest], sur lequel nous travaillons, nous voulons réaliser des aménagements hydroagricoles sur 20 000 ha d’ici à la fin de l’année.
Qu’entendez-vous par « diversifier l’économie » ?
Les secteurs porteurs de croissance ne pourront se développer que si l’on crée des chaînes de valeur en transformant davantage nos produits et, donc, en soutenant le secteur de l’énergie, puisque ses déficits freinent encore notre compétitivité.
Par ailleurs, la baisse des cours de nos principaux produits d’exportation – l’or et le coton – prouve qu’il est indispensable de diversifier notre économie si l’on veut améliorer sa résistance aux chocs exogènes. Pour cela, nous avons besoin d’identifier les filières et produits qui peuvent se substituer à l’or et au coton. Notre stratégie de croissance « inclusive » vise aussi à encourager le secteur privé à investir dans des marchés, des services ou des produits de niche.
En revanche, c’est à nous, pouvoirs publics, qu’il incombe de bien évaluer et d’identifier les projets pour éviter les surcoûts, de repérer les secteurs porteurs, de choisir les bonnes mesures d’accompagnement, de nous assurer de la bonne gestion des finances publiques…
Bref, de tout mettre en œuvre pour que les investissements portent leurs fruits. Pour financer ces projets structurants, nous comptons à la fois mobiliser les ressources nationales et organiser des levées de fonds auprès de la diaspora, sous la forme de « diaspora bonds ».
La Stratégie de croissance accélérée et de développement durable (Scadd) est remplacée par un Plan national de développement économique et social (PNDES 2016-2020), adopté par le gouvernement le 11 mai. Pourquoi changer de cadre de développement ?
Le PNDES marque le retour à la norme du cadre des politiques économiques. Il n’y a point de vent favorable pour celui qui ignore où il va : telle une boussole, le PNDES donne le cap que nous devons tenir et trace la route que nous allons suivre ces cinq prochaines années. Il marque aussi le passage à une démarche transversale.
La restructuration de mon ministère répond d’ailleurs à cet impératif : il n’y a plus de dichotomie entre ceux qui conçoivent et ceux qui mettent en œuvre les programmes de développement. Cela permet d’identifier aisément les priorités et les stratégies à appliquer pour atteindre les objectifs.
Nous avons un potentiel d’environ 7 000 entreprises, de toutes tailles, enregistrées dans le pays. Pourtant, moins de la moitié d’entre elles font l’objet d’un suivi de la part des impôts.
Quel est le coût du PNDES et qui le financera ?
Nous l’évaluons à 12 008 milliards de F CFA [environ 18,3 milliards d’euros], ce qui représente un investissement de 2 401 milliards par an. Nous espérons que 60 % à 70 % du volume de financement attendu seront comblés par les investissements publics et privés burkinabè, le reste étant pourvu par les bailleurs et investisseurs étrangers.
Dans ce cadre, nous comptons réunir prochainement une conférence des bailleurs de fonds pour présenter nos politiques de développement à court terme et à moyen terme, ainsi que nos priorités actuelles, telles que la sécurité. Par ailleurs, nous allons organiser un dialogue avec les acteurs nationaux ainsi qu’avec les amis du Burkina, pour recueillir leur avis sur la stratégie du gouvernement et, nous l’espérons, leur adhésion.
Vous tenez à ce qu’au moins 60 % du PNDES soit financé par des investissements burkinabè. Comment comptez-vous mobiliser les ressources nécessaires ? En augmentant les impôts ?
Afin d’améliorer la fluidité de l’information, nous allons passer à un système intégré de gestion des régies de recettes. Le lancement de la plateforme Sylvie [Système de liaison virtuelle pour les opérations d’importation et d’exportation], la mise en place du scanner à Ouaga Inter [principal poste de douane de la capitale] et les attestations de vérification Cotecna sont autant de réformes qui vont optimiser nos rentrées financières.
Par ailleurs, l’introduction de la facture normalisée, pour les impôts, et du scanner fixe pour les opérations de prédédouanement des marchandises commencent à porter leurs fruits. À la fin d’avril, le montant des recettes collectées dépassait nos prévisions de 23 %.
Nous avons un potentiel d’environ 7 000 entreprises, de toutes tailles, enregistrées dans le pays. Pourtant, moins de la moitié d’entre elles font l’objet d’un suivi de la part des impôts. Nous allons donc réorganiser les services pour combler cette lacune. Il n’est pas question d’augmenter les impôts et les taxes, mais d’améliorer leur recouvrement. Et nous avons prévu des dispositifs pour dissuader les tricheurs.
Et du côté de l’État ?
Parallèlement, je travaille à rationaliser la dépense publique en ramenant la masse salariale de l’État à 35 % de ses ressources propres, au lieu de 45 % actuellement. Nous comptons aussi économiser quelque 600 millions de F CFA sur les baux administratifs, qui nous coûtent environ 5,2 milliards par an. J’ai les coudées franches pour engager ces réformes, c’est important. Je ne subis aucune pression politique.
Quel sort réservez-vous aux entreprises publiques criblées de dettes, comme la Société nationale d’électricité du Burkina (Sonabel) ou la Société nationale burkinabè des hydrocarbures (Sonabhy) ?
Nous sommes en passe d’établir une liste des sociétés à capitaux publics en difficulté susceptibles d’être privatisées. Cela étant, l’endettement de Sonabel vis-à-vis de Sonabhy, dont nous avons hérité, est si important que nous préparons une convention avec Sonabhy. Et nous sommes en discussion avec les deux entreprises pour voir comment apurer cette dette [environ 66 milliards de F CFA de créances] et ce que l’État peut récupérer.
Sylvie a tout pour plaire !
Derrière ce suave prénom se cache un guichet numérique unique pour les opérations d’import-export. Parmi ses atouts, l’allègement des formalités, la lutte contre la fraude et de meilleures rentrées fiscales.
Opérationnel depuis février, le Système de liaison virtuelle pour les opérations d’importation et d’exportation (Sylvie) est un guichet numérique unique réunissant tous les acteurs chargés de délivrer les documents requis pour le dédouanement des marchandises. Cette plateforme allège donc considérablement les formalités.
Elle est aussi l’un des meilleurs moyens pour lutter contre la fraude, qui pénalise à la fois les entreprises et l’État. Dès cette année, elle devrait permettre aux douanes de collecter entre 20 et 25 milliards de F CFA (environ 30,5 à 38 millions d’euros) supplémentaires et, selon les prévisions, de porter leurs recettes à 508 milliards de F CFA en 2016.
Inspiré du guichet électronique sénégalais Gaindé 2000, Sylvie assure l’interconnexion entre les services publics et privés délivrant les documents exigés pour les opérations d’import-export. Sont notamment reliées au système la Banque centrale, les treize banques commerciales et les sociétés d’assurances du pays, sans oublier Cotecna, l’institution chargée de l’inspection et de la certification des marchandises (l’un des leaders mondiaux du secteur).
L’accès à la plateforme est conditionné au paiement d’un abonnement annuel de 800 000 F CFA pour les banques, de 354 000 F CFA pour les opérateurs économiques et de 296 000,00 F CFA pour les transitaires.
Le système permet d’assurer la traçabilité, de réduire les lenteurs administratives en simplifiant les procédures (le nombre de documents à fournir passe à 7, contre plus de 10 auparavant pour une opération d’importation) et les coûts liés à la délivrance des actes relatifs aux formalités de dédouanement. « D’ici au début de l’année prochaine, grâce à Sylvie, l’obtention de ces documents pourra se faire sous vingt-quatre heures, contre une semaine actuellement », explique Adama Sawadogo, directeur général des douanes.
Si les industriels applaudissent, certains commerçants importateurs exigent un moratoire d’au moins trois mois avant de se plier au nouveau système. « On sent que le lancement de la plateforme présente quelques difficultés, mais le secteur formel n’en souffre pas. Au contraire, c’est un outil efficace.
Évidemment, comme Sylvie permet de rétablir la juste valeur des marchandises pour la liquidation des droits douaniers, cela ne satisfait pas ceux qui sous-évaluent leurs importations », commente Lassine Diawara, président du syndicat des importateurs et exportateurs. Autre conséquence, pour les consommateurs cette fois : les coûts de dédouanement se sont répercutés sur les prix de certains produits, qui ont donc augmenté. Une poussée inflationniste qui n’est que le résultat du recul de la concurrence déloyale.
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