Focus : les banques tunisiennes manquent toujours de souffle

Incapable de soutenir l’économie, durement touchée par la crise, le secteur a plus que jamais besoin d’être réformé.

La part des prêts non performants des établissements privés a atteint 10,4 % en décembre 2015, contre 24,9 % pour les acteurs publics. © Nacer Talel/www.imagesdetunisie.com

La part des prêts non performants des établissements privés a atteint 10,4 % en décembre 2015, contre 24,9 % pour les acteurs publics. © Nacer Talel/www.imagesdetunisie.com

Publié le 9 juin 2016 Lecture : 5 minutes.

Le grand vainqueur du palmarès est le groupe marocain Attijariwafa Bank, qui profite de la dévaluation de la livre égyptienne pour se hisser au premier rang en Afrique du Nord. © Hassan Ouazzani pour Jeune Afrique
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État des lieux de la finance africaine

Dans ce dossier réalisé par « Jeune Afrique », Mohamed El Kettani, PDG du groupe bancaire marocain Attijariwafa Bank, défend ses choix stratégiques et dresse un état des lieux de la finance africaine. À découvrir aussi : un focus sur les banques tunisiennes, un portrait de Felix Adahi Bikpo, patron du Fonds africain de garantie, et de Miguel Azevedo, responsable de la banque d’investissement de Citigroup, et une analyse de la stratégie du spécialiste marocain de la microfinance Amifa en Afrique de l’Ouest…

Sommaire

Depuis la révolution de 2011, l’économie tunisienne peine à se relever, avec une croissance moyenne de seulement 1,5 % au cours des cinq dernières années. Ce contexte de morosité affecte le financement de l’économie par le secteur bancaire. En témoignent les derniers chiffres publiés par la Banque centrale de Tunisie (BCT) : les concours à l’économie ont progressé de 0,6 % seulement durant les deux premiers mois de l’année, contre une hausse de 0,9 % un an plutôt.

« Les banques ne financent pas efficacement l’économie tunisienne. Elles ne s’engagent pas suffisamment et ont une vision à court terme. Il y a une sorte de divorce entre elles et les entreprises », déplore Dhafer Saïdane, spécialiste du secteur bancaire et professeur des universités. Pour sa part, le FMI estimait en octobre 2015 que « la croissance du crédit au secteur privé restait modeste et que son niveau était largement inférieur au potentiel ».

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Les secteurs porteurs en disgrace

Au-delà de ce constat particulièrement pénalisant pour l’économie réelle, la problématique liée à la solidité des banques locales reste entière : « Le ratio des fonds propres pour l’ensemble du système s’établit au-dessous des exigences réglementaires. Les prêts improductifs [que les débiteurs peinent à rembourser] du secteur bancaire restent élevés, à 15,8 % », selon le FMI.

Et l’année 2016 ne devrait pas inverser cette mauvaise tendance : l’immobilier, qui était l’un des secteurs les plus résistants depuis la révolution, montre des signes de faiblesse, ce qui risque d’augmenter les dépréciations de créances dans les bilans des banques, estime le cabinet indépendant AlphaMena.

Idem pour le secteur touristique, qui s’enfonce dans la crise avec une chute des recettes de 50 % entre janvier et fin avril par rapport à la même période en 2015. Certes, l’an dernier, la BCT a demandé aux banques de décaler les remboursements et d’octroyer des crédits supplémentaires aux opérateurs touristiques, mais encore faut-il que le secteur tout entier se redresse pour faire face aux futures échéances de remboursement. « Le taux de créances douteuses s’accroît sensiblement, mais le taux de couverture est faible, car les banques ne les provisionnent pas assez.

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« Selon nos estimations, les besoins de recapitalisation du secteur sont compris entre 2 et 2,5 milliards de dinars [entre 870 millions et 1 milliard d’euros environ] », estime Hela Romdhani, analyste du secteur bancaire chez AlphaMena. Pour sa part, la BCT reconnaît que la capitalisation du secteur était inférieure aux exigences réglementaires de 10 % en 2013 et en 2014, mais qu’en 2015 les ratios de fonds propres ont atteint 12,2 %.

Toutefois, cette relative amélioration s’est effectuée à marche forcée. Certaines banques privées se sont recapitalisées, mais ce sont surtout les augmentations de capital des trois banques dont l’État détient une participation qui ont gonflé artificiellement les ratios de solvabilité. De fait, la Banque de l’habitat (BH), la Société tunisienne de banque (STB) et la Banque nationale agricole (BNA) ont augmenté leurs fonds propres de près de 1 milliard de dinars au total.

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Réformes nécessaires

Il faut dire que ces trois établissements sont dans le rouge depuis plusieurs années et que leur sauvetage a fait grincer des dents : « Nous sommes si sceptiques vis-à-vis des décisions des autorités qu’on se demanderait presque si la mise en faillite de la STB n’aurait pas été mieux », affirme Hela Romdhani.

Pour Dhafer Saïdane, « ces trois banques devraient fusionner en une seule entité. La mise en commun des compétences et des réseaux permettrait de réaliser des synergies et des économies d’échelle pour créer une nouvelle banque ». Cependant, les autorités n’ont pas choisi cette voie et ont adopté des plans de restructuration qui s’étalent jusqu’en 2020.

L’État doit mettre un coup de pied dans la fourmilière et réorganiser le système, car notre pays souffre d’une mauvaise concentration bancaire

Du côté des banques privées, la situation est moins précaire, comme l’affirme la BCT : « La santé de notre secteur se caractérise par une dichotomie entre les banques publiques et les banques privées, que les indicateurs de solidité financière attestent d’une manière claire. » De fait, la part des prêts non performants des banques privées a atteint 10,4 % en décembre, contre 24,9 % pour les trois établissements dans lesquels l’État est actionnaire. Parmi les banques privées qui se détachent figurent la Banque internationale arabe de Tunisie (Biat), Attijari Bank ou encore UBCI, la filiale locale de BNP Paribas.

En réalité, le secteur bancaire tunisien a un besoin urgent de réforme. Cet avis est partagé par la Banque mondiale, le FMI et même la BCT. Selon Dhafer Saïdane, « l’État doit mettre un coup de pied dans la fourmilière et réorganiser le système, car notre pays souffre d’une mauvaise concentration bancaire. Les réformes sont indispensables ».

La loi adoptée le 13 mai par l’Assemblée des représentants du peuple n’apportera pas un grand changement dans ce domaine, puisqu’elle fixe le capital requis à 25 millions de dinars. L’avancée majeure apportée par le texte concerne surtout les clients des établissements qui voient leur dépôt bancaire garanti en cas de faillite à concurrence de 60 000 dinars.

Auparavant, la BCT avait aussi vu ses prérogatives élargies et son indépendance confirmée, ce qui va dans la bonne direction. Mais c’est surtout la capacité des banques tunisiennes à améliorer leur gouvernance, notamment en matière de gestion des risques, qui leur permettra de participer davantage au redressement de l’économie tunisienne.

La BIAT veut séduire la diaspora tunisienne en France

La France compte plus de 720 000 Tunisiens sur son sol, soit plus de la moitié de la diaspora mondiale. Pour la Banque internationale arabe de Tunisie (Biat), se rapprocher de ces clients potentiels était devenu une priorité. En novembre 2015, sa filiale française a ouvert une agence à Paris, qui dispose du statut d’agent de paiement. Sa vocation : proposer des transferts d’argent à des tarifs compétitifs sur des comptes de la Biat en Tunisie.

Les objectifs de cette implantation visent notamment à intensifier les liens et les flux financiers vers la Tunisie, ainsi qu’à accompagner les besoins de la diaspora dans son pays natal. Pour combler son déficit de notoriété, Biat France a organisé un road show à Paris du 17 mars au 3 avril 2016. Un bus aux couleurs de la banque a ainsi sillonné Paris et ses alentours pour rencontrer la communauté tunisienne. Et « les retombées de cette opération sont positives en matière de prises de contact », affirme le groupe.

Image172920.jpg © Nacer Talel/www.imagedetunisie.com

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