Développement : le grand dessein d’Akinwumi Adesina pour la BAD

Lors des assemblées générales annuelles de la Banque africaine de développement (BAD) à Lusaka, le nouveau président de l’institution a affirmé son style. Et dévoilé ses cinq priorités pour le continent.

Akinwumi Ayodeji Adesina, président de la Banquer africaine de développement, à Lusaka, le 24 mai 2016. © Banque africaine de développement

Akinwumi Ayodeji Adesina, président de la Banquer africaine de développement, à Lusaka, le 24 mai 2016. © Banque africaine de développement

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© Vincent Fournier pour JA

Publié le 8 juin 2016 Lecture : 7 minutes.

Il était partout. Absolument partout. Lors des 51e assemblées générales de la Banque africaine de développement (BAD), qui se sont tenues du 23 au 27 mai à Lusaka (Zambie), Akinwumi Ayodeji Adesina a imprimé son style à cette grand-messe qui réunit une fois par an des décideurs politiques et économiques ainsi que des représentants de la société civile autour des questions de développement.

Priorité à l’électricité

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Bon orateur, le Nigérian a enchaîné tables rondes, débats et cocktails, y compris ceux où on l’attendait le moins. Saisissant à chaque fois l’occasion de glisser un discours ou une anecdote pour expliquer et mieux vendre la stratégie qu’il entend mettre en œuvre à la tête de l’institution panafricaine basée à Abidjan. « Il est plus politique que son prédécesseur Kaberuka [absent à ces réunions], qui, lui, était très porté sur les questions techniques et financières. Adesina n’hésite pas à mettre les gens en valeur pour faire passer ses idées », fait remarquer un cadre de la Banque.

Lors de la cérémonie d’ouverture, le nouveau président de la BAD a ainsi tenu à présenter Kelvin Doe, un jeune inventeur sierra-léonais, après avoir fait diffuser un clip sur ses réalisations. Le message ? On empêche les talents africains d’éclore si on ne leur donne pas accès à l’électricité, à l’énergie – le thème central de ces réunions annuelles, auxquelles ont participé les présidents Idriss Déby Itno, Paul Kagame, Uhuru Kenyatta et Edgar Lungu.

Celui dont ses proches collaborateurs disent qu’il se couche tôt le soir pour être d’attaque aux premières heures du matin, aura été de toutes les discussions. Avec, à chaque fois, un objectif clair : promouvoir son « High 5 pour transformer l’Afrique ». Entendez : les cinq principaux chantiers auxquels il promet de s’attaquer durant les cinq prochaines années pour développer le continent et qui consistent à l’électrifier, le nourrir, l’industrialiser, accélérer son intégration régionale et améliorer la qualité de vie de ses habitants.

Première étape d’un quinquénat à la tête de la BAD

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À Lusaka, Adesina s’est attelé à lever les derniers doutes de tous ceux qui ne sont toujours pas convaincus par son profil d’agroéconomiste et qui auraient préféré voir un financier pur jus à la tête de l’institution. Il devait les persuader du bien-fondé de sa stratégie de relance, alors que le continent a affiché une croissance de PIB de 3,5 % en 2015, soit le taux le plus bas depuis quinze ans. Parce que c’est finalement ici – dans la capitale du deuxième producteur africain de cuivre, où il préside pour la première fois les réunions annuelles de la BAD – que le Nigérian, en poste depuis septembre 2015, commence véritablement son quinquennat.

Le conseil des gouverneurs de l’institution a, dans sa majorité, réaffirmé son adhésion à la vision d’Adesina.

A-t-il réussi son pari ? Ses communicants assurent qu’il a, avec son « High 5 », redonné un élan au discours sur le développement. « Nous allons continuer à aider nos pays pour leur éviter de se retrouver en salle d’urgence [dans l’obligation de solliciter l’aide du FMI] », a expliqué le patron de la BAD à Jeune Afrique.

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À Lusaka, l’éternel nœud papillon du président a fait de nouveaux émules parmi les participants. Mais c’est surtout l’enthousiasme de celui qui avait été élu par 58,1 % des voix de l’ensemble des actionnaires de la Banque (60,5 % des suffrages africains), devant le Tchadien Kordjé Bedoumra et la Cap-Verdienne Cristina Duarte, qui a été contagieux.

Lors d’une réunion de dialogue, fermée aux médias mais à laquelle Jeune Afrique a pu assister, le conseil des gouverneurs de l’institution a certes rappelé que tout était prioritaire et qu’il ne fallait pas oublier les secteurs transversaux, comme l’éducation ou la sécurité, mais il a, dans sa majorité, réaffirmé son adhésion à la vision d’Adesina.

Alors que le continent traverse de fortes turbulences provoquées par l’effondrement des prix des matières premières et que plusieurs de ses économies, dont celle de la Zambie, pays hôte, pénalisées par cette situation, cherchent désespérément des ressources pour parer au plus urgent, l’ancien ministre nigérian de l’Agriculture assure qu’il faut rester concentrés sur les défis structurels auxquels l’Afrique est confrontée.

« Il faut tenir la barre et continuer à mener des réformes difficiles mais indispensables à la relance de nos économies. C’est-à-dire poursuivre la diversification, apporter toujours plus de valeur ajoutée aux matières premières, accélérer le niveau d’intégration des marchés. Et aussi favoriser les flux d’investissements dans les secteurs clés pour libérer le potentiel de nos économies », résume-t-il.

Mais comment ? D’autant que les bailleurs de fonds s’inquiètent de la hausse rapide de la dette africaine et que le changement de la politique monétaire américaine renchérit le coût du crédit sur les marchés internationaux. « Il faut changer notre approche en matière de recherche des capitaux. L’accent doit être mis sur la mobilisation des ressources intérieures [en monnaies locales]. Cette mobilisation doit être massive, à la mesure des défis du développement », affirme Akinwumi Adesina, précisant qu’il est toutefois indispensable de veiller sur les équilibres macroéconomiques et de ne pas laisser filer l’endettement.

Face au défi de la dette, les réformes s’imposent

Pour le Nigérian, l’argent n’est pas un problème. « Il y en a en Afrique », assure-t-il. D’abord, celui des fonds de pension, estimés à 334 milliards de dollars, essentiellement investis hors du continent, où les taux d’intérêts réels deviennent négatifs. Ensuite, ceux des fonds souverains (162 milliards de dollars) ou des fonds de capital-investissement (20 milliards de dollars). Sans oublier les 60 milliards de dollars qui, chaque année, quittent l’Afrique de manière illicite… Reste à mettre en place des outils efficaces pour réduire le risque et drainer les capitaux vers des secteurs ciblés.

Dans le domaine de l’énergie, le nouveau président annonce un investissement de 12 milliards de dollars en fonds propres pour les cinq prochaines années. Objectif : créer « un effet levier de 45 à 50 milliards de dollars », soit le financement nécessaire à l’électrification du continent, et donner aux Africains l’accès à l’énergie. « Il est crucial de mener des réformes stratégiques dans le secteur énergétique. Si la tarification et les réglementations sont bien faites, les sommes qui pourraient être investies en Afrique sont illimitées », assure-t-il.

La rhétorique est bien rodée. Mais comment la BAD compte-t-elle concrètement aider les États à relever ces défis ? Le conseil des gouverneurs, qui a voté à près de 60 % la nécessité d’améliorer l’efficacité des interventions de la Banque, l’a clairement signifié à Adesina : son soutien dépendra des résultats obtenus sur le terrain. « Il faut mettre en place des indicateurs de résultats. Mon Parlement veut pouvoir mesurer les progrès réalisés », souligne la représentante de la Norvège.

Je veux que la BAD devienne un léopard et cesse d’être un éléphant, affirme Adesina

« Le résultat n’est pas seulement une question de volume, mais surtout de qualité », lance son homologue italien au président de l’institution panafricaine, qui dans son « New deal » pour l’énergie en Afrique, dit vouloir augmenter les capacités du continent de 160 MW dans les dix prochaines années et permettre dans le même temps à 130 millions de personnes d’accéder à l’électricité.

« Je veux que la BAD devienne un léopard et cesse d’être un éléphant », a répondu Adesina, qui mise sur une décentralisation complète des activités de l’institution. « Nous allons créer cinq bureaux régionaux. Avec, à leur tête, des directeurs qui se seront entourés des effectifs et des compétences idoines pour être au plus près des priorités régionales et plus efficaces, confirme l’intéressé. Je suis impatient d’obtenir des résultats. Je veux que mon équipe marque des buts. Pour cela il faut qu’elle soit sur le terrain, pas à Abidjan au siège. »

Frannie Léautier, la surdouée

Elle a été assez discrète lors des dernières assemblées générales annuelles de la BAD à Lusaka, mais qu’on ne s’y méprenne pas, cette Tanzanienne est l’une des personnalités clés de la garde rapprochée qu’Akinwumi Adesina est en train de constituer autour de lui. Depuis le 9 mai, elle est vice-présidente principale de l’institution panafricaine. C’est la première fois dans l’histoire de la Banque qu’une femme occupe cette fonction, comme Adesina aime à le souligner.

Mais Frannie Léautier est avant tout une « pointure » du monde du développement. Si, jusqu’à sa nomination à la BAD, elle était présidente et cofondatrice associée de Mkopa Private Equity Fund, un fonds qui investit notamment dans les PME subsahariennes, elle a d’abord fait l’essentiel de sa carrière à la Banque mondiale, où elle a été récompensée pour la conception de projets d’infrastructures au Pérou.

Diplômée en transport et en systèmes d’infrastructures du prestigieux Massachusetts Institute of Technology (MIT), elle a occupé au sein de l’institution de Bretton Woods plusieurs fonctions importantes, comme directrice de cabinet du président ou vice-présidente du groupe.

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