Football : l’African Touch de l’Euro 2016

Le championnat d’Europe de football s’ouvre ce 10 juin en France. Nombre des vingt-quatre équipes participantes comptent dans leurs rangs un fort contingent de joueurs originaires d’Afrique. Revue de détail.

L’équipe de France lors d’un match amical contre le Cameroun, le 30 mai, à Nantes. © MOUNIC ALAIN/PRESSE SPORTS

L’équipe de France lors d’un match amical contre le Cameroun, le 30 mai, à Nantes. © MOUNIC ALAIN/PRESSE SPORTS

Alexis Billebault

Publié le 10 juin 2016 Lecture : 5 minutes.

Cela faisait longtemps qu’Éric Cantona, désormais acteur, n’avait pas parlé football. Il vient de combler cette lacune. Et a perdu du même coup une occasion de se taire. Deux semaines avant le coup d’envoi de l’Euro, l’ex-star de l’équipe de France et de Manchester United a en effet lancé dans le quotidien britannique The Guardian une attaque au vitriol contre Didier Deschamps, le sélectionneur des Bleus, soupçonné de ne pas avoir retenu Karim Benzema et Hatem Ben Arfa en raison de leurs origines : algérienne pour le premier, tunisienne pour le second.

Les Bleus compteront dix joueurs d’origine africaine dans leur rang

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Cantona a toujours entretenu des rapports conflictuels avec Deschamps, qu’il qualifia naguère, à l’époque où l’un et l’autre brillaient encore sur les pelouses, de « porteur d’eau ».

Mais il aurait quand même dû se montrer plus circonspect. Car si l’absence de Ben Arfa peut se discuter sur la base de simples critères sportifs, celle de Benzema est liée à l‘affaire dite de la sex tape, pour laquelle le joueur du Real Madrid est mis en examen pour complicité de tentative de chantage à l’encontre de Mathieu Valbuena, son coéquipier des Bleus, lui aussi absent de la liste de Deschamps.

Et puis, lors de l’ouverture de la compétition, le 10 juin, la sélection française comptera quand même dans ses rangs dix joueurs d’origine africaine – un record -, même si la majorité d’entre eux sont nés en France. Il s’agit de N’Golo Kanté et Moussa Sissoko (Mali), Steve Mandanda et Eliaquim Mangala (RD Congo), Patrice Evra et Bacary Sagna (Sénégal), Adil Rami (Maroc), Samuel Umtiti (Cameroun), Blaise Matuidi (Angola) et Paul Pogba (Guinée).

De plus en plus d’Africains parmi les sélectionnés

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Jusqu’aux années 1990, les internationaux français d’origine étrangère étaient généralement fils d’immigrés italiens, espagnols, polonais ou, par exception, africains. Depuis, les choses ont bien changé.

Lors de l’Euro 1996 en Angleterre, trois Bleus avaient leurs racines en Afrique : Marcel Desailly (Ghana), Zinédine Zidane (Algérie) et Sabri Lamouchi (Tunisie). Depuis, l’inversion de tendance s’est accentuée, en Coupe du monde (3 en 1998, 5 en 2002, 6 en 2006 et 2010, 8 en 2014) comme à l’Euro (3 en 2000, 6 en 2004 et 2012 et 9 en 2008). Et personne ne s’était jusqu’ici interrogé sur les éventuelles réticences de tel ou tel sélectionneur à retenir des joueurs d’origine maghrébine ou subsaharienne.

La présence d’Africains en équipe nationale ne résulte pas toujours du passé colonial des pays

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À l’époque où le palmarès des Bleus se limitait à un titre de champion continental décroché en 1984, le seul binational se nommait Jean Tigana, un natif de Bamako. Depuis 1998, les titres se sont accumulés : un mondial, un européen (2000), et deux Coupes des confédérations (2001, 2003). Qui serait assez insensé pour contester la part prise dans ces succès par les Bleus d’origine africaine ?

Mais la France n’est pas la seule sélection de cet Euro à aligner des « Africains ». C’est aussi le cas de la Belgique, de la Suisse, du Portugal, de l’Allemagne, de l’Italie, de l’Angleterre, du pays de Galles, de la République tchèque et de l’Autriche. Dans au moins trois cas (Suisse, Autriche, République tchèque), le phénomène ne peut s’expliquer par le passé colonial du pays concerné.

Première nation au classement Fifa, la Belgique compte parmi les favoris de cet Euro. Dans les années 1980, déjà, elle faisait partie des meilleures équipes européennes grâce à une génération exceptionnelle où se mêlaient Flamands et Wallons.

« Les Diables rouges sont aujourd’hui à l’image de notre société, explique Nordin Jbari, qui fut le premier Maghrébin à porter le maillot belge, en 1996 (il est actuellement consultant à la RTBF). Il y a des Flamands, des Wallons et des joueurs d’origine africaine. Beaucoup ont leurs racines en RD Congo, une ancienne colonie. C’est le cas des frères Jordan et Romelu Lukaku, de Christian Kabasele, de Christian Benteke, de Jason Denayer et de Mishy Batshuayi. Mais d’autres viennent du Maroc (Marouane Fellaini), du Mali (Moussa Dembélé) ou du Kenya (Divock Origi). La plupart sont nés en Belgique. Il y a chez eux un fort sentiment d’appartenance à la nation. Surtout depuis les attentats du 22 mars à Bruxelles. Les joueurs sont à la fois fiers d’être belges et fiers de leurs origines. Après 2002, la Belgique a sombré au niveau international. Ces garçons lui ont apporté quelque chose sur le plan technique, pour les Nord-Africains, et athlétique, pour les Subsahariens. »

La diversité sur le gazon, reflet de la diversité sociale

Cela n’est pas toujours allé de soi. Il y a quelques années, Alain Courtois, alors secrétaire général de l’Union belge, avait estimé dans une interview accordée au journaliste et réalisateur Stephen Steker que « la Belgique devrait un peu plus se tourner vers les joueurs d’origine étrangère ». Cela démontrait qu’elle ne le faisait auparavant qu’à la marge. « Courtois ne s’était pas rendu compte de la portée de sa phrase, qui, évidemment, avait fait pas mal de bruit », se souvient Steker.

La Suisse sera quant à elle la seule sélection à s’appuyer majoritairement sur des binationaux. Il faut dire que, pendant la guerre des Balkans, au début des années 1990, elle avait largement ouvert ses frontières…

Dans la liste des vingt-trois joueurs retenus par Vladimir Petkovic, le sélectionneur bosnien de la Nati, on trouve donc des Albanais, des Macédoniens, des Kosovars et des Bosniens, mais aussi, plus curieusement, quelques Africains. La majorité est née en Suisse, certains sont arrivés très jeunes avec leurs parents. Balkaniques ou Africains, tous se sentent suisses, sans renier leurs origines.

Balkaniques et Africains apportent leurs qualités mentales, techniques et physiques

« Dans notre pays, où l’on parle plusieurs langues et où plusieurs cultures cohabitent, cela ne pose aucun problème, insiste Laurent Prince, directeur technique national de l’Association suisse de football (ASF). Il n’y a pas ici une forte immigration africaine. Le nombre de joueurs retenus pour disputer l’Euro (les « Camerounais » François Moubandje et Breel Embolo, l’ »Ivoirien » Johan Djourou, le « Congolais » de RDC Denis Zakaria) est conforme à la réalité sociologique. »

Raoul Savoy, qui a entraîné dans nombre de pays africains (Cameroun, Maroc, Éthiopie, Swaziland, Algérie, Gambie), voit plusieurs avantages à ce mélange des cultures. « Balkaniques et Africains apportent leurs qualités mentales, techniques et physiques. On dit souvent ici qu’ils ont encore plus envie de réussir dans le football parce qu’ils viennent pour la plupart de milieux modestes. Cette diversité permet à la sélection de progresser. »

Même l’Union démocratique du centre (UDC), le puissant parti conservateur, nationaliste et passablement xénophobe, ne s’aventure jamais sur ce terrain. « Cela ne pose de problème à personne », résume Laurent Prince.

Sauf, bien sûr, quand les résultats ne sont pas bons. « Une partie de la presse à sensation suisse alémanique évoque souvent l’existence de clans au sein de la Nati et la mauvaise ambiance qui y règne. Mais cela vise davantage les Balkaniques que les Africains, qui sont mieux perçus par la population », témoigne un journaliste suisse romand. Est-ce un hasard si Breel Embolo, l’attaquant de la Nati et du FC Bâle, est l’un des joueurs les plus populaires du pays ?

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