Afrique centrale : la Beac à la rescousse

Alors que le cours du baril stagne au plus bas, la Banque centrale de la Cemac multiplie les mesures exceptionnelles pour venir en aide aux États membres, très dépendants du pétrole. « Jeune Afrique » fait le bilan.

La Beac. © Renaud VAN DER MEEREN /Les Editons du Jaguar

La Beac. © Renaud VAN DER MEEREN /Les Editons du Jaguar

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© Vincent Fournier pour JA OMER-MBADI2_2024

Publié le 14 juin 2016 Lecture : 5 minutes.

Pas plus de 2 % de croissance en 2016, contre une moyenne d’environ 3,5 % au niveau continental et même quelque 7 % dans l’UEMOA, la zone monétaire jumelle d’Afrique de l’Ouest ! Les dernières prévisions du FMI, début mai, sont tombées comme un coup de massue sur la Cemac. La situation économique de la zone, qui avait enregistré en 2014 un taux de croissance de 4,9 % et dont cinq des six membres sont des producteurs de pétrole, se dégrade « fortement », selon le FMI, qui a estimé la progression de son PIB à exactement 1,7 % en 2015.

L’inquiétude est d’autant plus grande que le cours du pétrole reste durablement bas et que, d’après le Fonds, la quasi-totalité des gouvernements d’Afrique centrale « n’ont plus d’épargne budgétaire significative et disposent désormais d’une marge de manœuvre limitée ». Dans certains pays comme le Tchad, les recettes fiscales parviennent à peine à couvrir les salaires des fonctionnaires, selon nos informations.

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Des actions fortes pour soutenir les économies

Dans cette tempête conjoncturelle, les pays de la Cemac ont plus que jamais le regard tourné vers la Banque des États de l’Afrique centrale (Beac), leur institution émettrice commune. Contrairement à sa consœur nigériane, qui vient d’opter pour un taux flottant pour le naira, la Beac ne peut pas s’appuyer sur une politique de change, en raison de la parité fixe entre le franc CFA et l’euro. Mais son gouverneur, l’Équato-Guinéen Lucas Abaga Nchama, interrogé récemment à Paris par Jeune Afrique, assure que son équipe et lui-même ont multiplié les mesures pour maintenir les économies de la zone à flot.

Face à la pression des États en quête de ressources pour financer l’émergence de leurs économies respectives, la Beac affirme par exemple avoir dû remettre à plus tard sa décision de supprimer les avances statutaires qu’elle leur accorde. Cette mesure, qui permet aux États membres d’obtenir sous forme d’avance environ 20 % de leurs recettes budgétaires, avait notamment permis à la Guinée équatoriale de bénéficier de plus de 400 milliards de F CFA (plus de 610 millions d’euros) auprès de l’institution émettrice en 2015.

« Du fait du retournement brutal du marché du pétrole, nous avons même dû prendre une mesure que l’on peut qualifier de non conventionnelle : nous avons institué une autre avance exceptionnelle dont le montant est limité à 50 % des plafonds des avances directes. Mais seuls les États qui mettent en place un programme d’ajustement cohérent, axé sur une consolidation budgétaire avec le FMI, peuvent en bénéficier », explique Lucas Abaga Nchama.

Nous avons pris du retard par rapport à l’Afrique de l’Ouest

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Parmi les autres actions fortes menées par l’institution commune au Cameroun, au Congo, au Gabon, en Guinée équatoriale, au Tchad et en Centrafrique : l’élargissement de la gamme des actifs permettant aux banques commerciales de se refinancer auprès d’elle, qui inclut désormais, par exemple, les accords de placement des titres publics. Une mesure qui a permis aux États de lever plus de 1 400 milliards de F CFA depuis 2012.

« Certes, nous avons pris du retard par rapport à l’Afrique de l’Ouest, mais il s’agit là d’une bonne nouvelle. Cela donne la possibilité aux États et aux entreprises de disposer de ressources », commente Henri-Claude Oyima, patron du groupe financier gabonais BGFI.

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Tout autre est l’efficacité de la politique monétaire accommodante mise en place par l’institution. « À cause des politiques monétaires non conventionnelles mises en œuvre dans la zone euro comme réponse à la crise et qui se sont traduites par des taux directeurs proches de zéro, la Beac se devait de réagir pour réduire le différentiel de taux avec la zone d’ancrage et créer les conditions de relance de l’investissement », rappelle l’économiste Désiré Avom.

En six ans, le taux d’intérêt des appels d’offres, son principal taux directeur, a été revu cinq fois à la baisse, passant de 4,25 % à 2,45 %. Mais les banques commerciales, assises sur un matelas important, tardent à suivre le mouvement. « Ces baisses ne se reflètent pas au niveau de la clientèle pour une raison simple : les banques ne se refinancent pas auprès de la Banque centrale », tranche Henri-Claude Oyima.

Une lecture que ne partage pas Lucas Abaga Nchama : « L’analyse comparée de l’évolution de notre taux directeur et des crédits à l’économie montre que la baisse du premier a pu contribuer à une expansion des seconds dans la Cemac. Entre décembre 2007 et décembre 2015, leur encours a plus que triplé, passant de 2 268,6 milliards à 7 542,1 milliards de F CFA, soit un taux de croissance moyen d’environ 16 % par an. »

Le 6 avril, le comité de politique monétaire de la Beac est allé plus loin, soutient l’Équato-Guinéen, en abaissant de 50 % le coefficient des réserves obligatoires appliqué aux banques, mettant au passage plus de 500 milliards de F CFA à leur disposition. « Sur ce point comme pour le taux directeur, la Beac n’a pas à rougir. Ces décisions sont en phase avec sa mission de soutien à l’activité, sans compromettre la réalisation de sa mission statutaire, à savoir le maintien de la stabilité des prix », analyse Désiré Avom.

Il y a deux mois environ, à Yaoundé, Lucas Abaga Nchama – qui rappelle que la Beac a renforcé sa présence dans la BDEAC, sa petite sœur dévolue au développement, et mis à la disposition de celle-ci plus de 400 milliards de F CFA pour l’aider à financer des projets publics – arborait la fière allure de l’élève qui vient d’accomplir un exploit.

Au quinzième étage du siège de la Banque centrale, le gouverneur justifiait le bénéfice exceptionnel de 160,8 milliards de F CFA que l’institution a réalisé en 2015, en hausse de plus de 540 % par rapport à l’exercice précédent : « Ce résultat est le fruit de la stratégie de gestion des réserves de change [hors compte d’opérations] adopté en 2010. »

Le changement de cap dans cette gestion, qui a conduit à l’abandon du trading au profit du portefeuille d’investissement (doté aujourd’hui de 3,6 milliards d’euros) portant sur des actifs de longue maturité comme les obligations souveraines, avait été dicté par la nécessité. Car en 2009, la Beac avait été ébranlée par le scandale du détournement de 30 millions d’euros au bureau parisien de l’institution et par la perte de 23 millions d’euros dans un placement spéculatif auprès du groupe Société générale.

Désormais mieux gérées, ce sont ces réserves qui permettent à la Banque centrale de faire face aux difficultés de la zone. Mais jusqu’à quand ? Le cours du pétrole, dont l’exportation a essentiellement permis de les constituer, demeure désespérément bas, plombant les revenus des États membres de la Cemac. Alors que Lucas Abaga Nchama devrait rendre son tablier début 2017, autant dire que son successeur, qui devrait être désigné à l’occasion du prochain sommet des chefs d’État de la zone (lire ci-contre), aura du pain sur la planche.

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