Pour un enseignement de l’histoire de l’Afrique en Europe

La vie de nos jours dans les villes et villages d’Europe évoque de plus en plus une tour de Babel, vertigineuse pour certains, exaltante pour d’autres. « Normaliser » l’histoire de l’Afrique sur le Vieux Continent faciliterait la compréhension entre ces peuples aux destins historiquement liés.

Rue à Dakar. © Jeff Attaway/Flickr Creative commons

Rue à Dakar. © Jeff Attaway/Flickr Creative commons

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  • Henri-Michel Yéré

    Historien et poète né en 1978 à Abidjan, l’auteur est chargé de cours à l’École polytechnique fédérale de Lausanne, en Suisse. Il est l’auteur de Mil Neuf Cent Quatre-Vingt-Dix, roman paru en 2015 chez Panafrika, et d’un recueil de poèmes, La Nuit était notre seule arme, paru la même année chez L’Harmattan.

Publié le 17 juin 2016 Lecture : 3 minutes.

Regarder sous un nouvel angle le passé de peuples dont l’histoire se mêle intimement à la nôtre, au point que nos sociétés aujourd’hui se disent au pluriel et que l’autre n’est plus l’étranger mais notre voisin, est l’une des clés pour comprendre les temps que nous vivons.

L’enseignement de l’histoire de l’Afrique dans les écoles et universités en Europe peut jouer ici un rôle crucial. La discipline existe, certes, mais à un niveau de spécialisation très poussé. La « normaliser » et la populariser mettrait à la disposition du plus grand nombre une explication des liens historiques entre des pays comme la France et le Sénégal, par exemple. Le fait que les populations de Paris, de Londres ou de Bruxelles soient un tel mélange de couleurs et de senteurs perdrait en exotisme, tandis que les identités de tous se renforceraient de la vérité de leur ordinaire complexité.

Les Africains eux-mêmes pourraient s’imaginer des avenirs différents de ceux préparés pour eux par le FMI

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Une exposition de la diversité des trajectoires historiques africaines permettrait aussi une meilleure appréhension des réalités de ce continent en Europe. Prenons un exemple. Depuis quelques années, on parle beaucoup de « l’émergence de l’Afrique » : taux de croissance économique spectaculaires, élections présidentielles des sortants battus se retirent, triomphe apparent de la bonne gouvernance…

Ce discours se veut l’exact contraire de l’afropessimisme des années 1980 et 1990. Pour autant, il ne permet pas de se faire une idée précise de ce qu’est l’Afrique aujourd’hui. Pessimistes ou optimistes, ces discours ne parlent pas de l’Afrique en tant que telle, mais de la présumée capacité des Africains à se développer et à sortir massivement de la pauvreté chronique, perçue comme l’une des raisons principales de l’émigration massive vers l’Europe. En d’autres termes, ils sont hantés par l’idée qu’en dehors du développement il n’y a point de salut pour l’Afrique.

Un avenir différent de celui préparé par le FMI ou les gouvernement africains

Dire cela revient à affirmer que nous connaissons déjà demain et que l’expérience historique des Africains n’a rien à apporter à ce futur déterminé par avance. Or il n’est pas une seule et unique manière de s’avancer vers l’horizon. Ces discours ne permettent pas de voir comment les Africains eux-mêmes pourraient s’imaginer des avenirs différents de ceux préparés pour eux par le FMI, ou par leurs propres gouvernements.

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Il existe des spécificités du passé africain. Une partie de ce passé récent est liée de manière indéfectible à celui de l’Europe. En avoir conscience et l’enseigner peut être pour le Vieux Continent l’occasion d’élargir sa propre conception de son cheminement historique en dégageant la voie de sa relation avec l’Afrique du poids mort de la culpabilité et de la pitié. C’est à cette condition que pourront se rencontrer les jeunesses d’Europe et d’Afrique dans un aujourd’hui plein de la complexité d’une mondialisation dont nous n’avons pas encore vu la fin.

L’enseignement de l’histoire de l’Afrique lèverait le voile sur la réalité de l’immensité physique d’un continent aussi vaste que les États-Unis, l’Europe occidentale, la Chine, l’Inde, le Japon réunis

C’est à cette condition que pourra avoir lieu la ré-appréhension culturelle du monde. L’enseignement de l’histoire de l’Afrique lèverait le voile sur la réalité de l’immensité physique d’un continent aussi vaste que les États-Unis, l’Europe occidentale, la Chine, l’Inde, le Japon réunis. C’est à cette condition que pourront être analysées avec une plus grande finesse les raisons pour lesquelles les Africains occupent la place particulière qui est la leur dans l’imaginaire européen. Grâce à la riche littérature du continent, on découvrira des voix qui énoncent la soif d’un chemin vers le pays de demain.

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Des peuples aux destins contigus, plus proches qu’on ne le pense

Certes, les programmes scolaires sont déjà bien chargés. Mais le choix des sujets enseignés doit tenir compte, au moins en partie, de l’époque dans laquelle nous vivons. Exposons les élèves et les étudiants à des choses nouvelles pourtant très anciennes. Montrons à la jeunesse l’évidence des chemins communs parcourus par-delà les mers par des peuples aux destins contigus dont on a pu à tort penser qu’ils étaient grandement éloignés les uns des autres.

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