Casimir Oyé Mba : « Je demande aux Gabonais de me pardonner »

Il a déçu, il le sait, en renonçant in extremis à être candidat à la dernière présidentielle. Mais l’ex-Premier ministre espère se racheter à l’occasion du scrutin du 27 août. Il portera les couleurs de l’UN et promet que, cette fois, il ne faillira pas.

Début mai, au siège de J.A.                                                             « Pour rendre hommage à André Mba Obame, nous devons poursuivre le combat. » © VINCENT FOURNIER/J.A.

Début mai, au siège de J.A. « Pour rendre hommage à André Mba Obame, nous devons poursuivre le combat. » © VINCENT FOURNIER/J.A.

GEORGES-DOUGUELI_2024

Publié le 15 juin 2016 Lecture : 8 minutes.

On l’avait dit fini. Carbonisé. Bon pour les oubliettes de la politique. Mais le revoilà, à 74 ans, candidat à l’élection présidentielle du 28 août prochain sous la bannière de l’Union nationale (UN), le parti d’opposition sans doute le mieux placé pour défier Ali Bongo Ondimba dans les urnes.

Qui d’autre que Casimir Oyé Mba pouvait survivre au psychodrame de 2009 et se représenter après s’être retiré de la course à la présidentielle le jour précédant le scrutin ? « En politique, rien n’est impossible », affirme-t-il. L’ancien Premier ministre est un incorrigible optimiste. Fils d’un modeste commerçant, il a grandi dans les quartiers populaires de Libreville et a gravi un à un les barreaux de l’échelle sociale, sans jamais oublier cet épisode qui date de la fin des années 1960 et qu’il aime à raconter.

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À l’époque, il étudiait le droit à Rennes, en France. Un jour, au hasard d’une promenade lors de vacances à Libreville, il pousse la porte de l’agence de la Banque des États de l’Afrique centrale (Beac) et demande un stage. La suite est connue. En 1977, le siège de la Beac n’est plus installé à Paris, mais à Yaoundé, au Cameroun, et Casimir Oyé Mba devient le premier Africain à en occuper le poste de gouverneur. De 1990 à 1994, il est à la tête du gouvernement et sera par la suite ministre, sans discontinuer, jusqu’en 2009.

Sept ans après son forfait à la présidentielle, cet amateur de football a prouvé sa capacité de résilience. Il a enduré une pluie de critiques, mais pas une seconde il n’a songé à jeter l’éponge. L’homme a le cuir épais, et rien ne paraît l’ébranler. Pas même le décès de son fils, Gérard, avocat au barreau de Libreville, terrassé par une crise cardiaque en plein prétoire en décembre 2014, ni celui de son unique sœur, survenu en mai dernier.

Pas question d’abandonner, pas cette fois, alors qu’il bénéficie d’un exceptionnel alignement des astres – réhabilitation de l’UN après quatre ans de dissolution et décès du candidat « naturel » André Mba Obame, le tout sur fond de grogne sociale au Gabon… Oyé Mba est prêt pour la mère des batailles. Il va labourer les chemins de campagne. Tester le charme de sa voix caverneuse d’amateur de cigares cubains et son allure de grand bourgeois soucieux des apparences. Il en est persuadé : le 28 août, il ira à l’élection pour gagner.

Jeune Afrique : Pourquoi l’Union nationale a-t-elle tardé à annoncer que vous seriez son candidat ?

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Casimir Oyé Mba : L’Union nationale [UN] devait organiser une primaire lors du congrès de la fin mars, mais le vote a finalement été reporté au 5 juin. Le parti a estimé qu’il valait mieux différer légèrement la désignation de son candidat pour que nous puissions jeter toutes nos forces dans la bataille et parce que nous avons, au sein de l’opposition, un objectif commun : la disqualification de la candidature d’Ali Bongo Ondimba à la prochaine élection présidentielle. Mais ce léger report ne change rien : je suis candidat, et j’espère que le Front uni de l’opposition pour l’alternance, dont fait partie l’UN, me fera à son tour confiance.

Pourquoi demander la disqualification pure et simple du président sortant ?

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Parce qu’il ne satisfait pas aux dispositions de l’article 10 de la Constitution, qui précise que, pour être candidat à la présidence de la République, il ne faut pas avoir acquis la nationalité gabonaise. Il faut être gabonais de naissance. Or depuis 2009, Ali Bongo Ondimba n’a pas pu produire un acte de naissance établissant sa filiation biologique avec Albert-Bernard Bongo ou avec Joséphine Kama [un extrait d’acte de naissance qui confirme la version officielle a pourtant bien été communiqué par le service central d’état civil du ministère des Affaires étrangères, à Nantes, et authentifié].

Nous pensons que la commission électorale constatera par elle-même que le dossier de M. Bongo Ondimba ne remplit pas toutes les conditions requises et qu’il sera par conséquent invalidé

Une coalition de l’opposition va jusqu’à demander la destitution du chef de l’État. Faut-il en déduire qu’elle ne veut pas aller à l’élection ?

Nous n’avons pas l’intention de boycotter le scrutin. Je suis moi-même allé vérifier dans le bureau de vote de mon village que mon nom figurait bien sur la liste électorale. Mais nous pensons que la commission électorale, qui est notamment chargée de l’examen des candidatures, constatera par elle-même que le dossier de M. Bongo Ondimba ne remplit pas toutes les conditions requises et qu’il sera par conséquent invalidé. Le passé récent ne plaide pas en leur faveur, mais nous voulons faire confiance aux institutions de ce pays.

En 2009 justement, vous avez retiré votre candidature à la veille du scrutin. Pourquoi revenir devant les électeurs ?

À l’époque déjà, je pensais réunir une somme d’expériences dans l’exercice des responsabilités que je souhaitais mettre au service de mon pays. C’est toujours le cas : j’ai été gouverneur de la Banque centrale, ministre, Premier ministre… J’aime le Gabon et les Gabonais, je n’ai pas d’autre pays que celui-là. Je veux le relever, le sortir des difficultés économiques, sociales, et restaurer les valeurs qui ont fait du Gabon un pays respecté.

Ne craignez-vous pas que les Gabonais vous tiennent rigueur de votre désistement ?

J’ai pleinement conscience de les avoir déçus et je leur demande de me pardonner car j’ai commis là une erreur politique grave. Cela dit, j’aimerais m’en expliquer : bien avant le samedi 29 août 2009 [date à laquelle il a renoncé], des personnalités gabonaises et étrangères m’avaient demandé de soutenir Ali Bongo Ondimba. On me disait que la paix était menacée et qu’avec l’expérience qui était la mienne je pouvais lui apporter mon aide, d’autant que j’avais travaillé avec son père.

Toutes ces pressions ont fini par avoir raison de ma détermination. Par ailleurs, ce même 29 août, j’ai eu un entretien téléphonique avec une très haute personnalité africaine qui m’a tenu le même langage, mais avec un peu plus d’arguments. C’est la raison pour laquelle j’ai dû prendre rapidement ma décision, sans même pouvoir consulter mon état-major de campagne.

Partisans d'Oyé Mba, onze jours plus tard, et alors que la présidentielle avait lieu le lendemain, il choisissait de jeter l'éponge. © WILS YANICK MANIENGUI/AFP

Partisans d'Oyé Mba, onze jours plus tard, et alors que la présidentielle avait lieu le lendemain, il choisissait de jeter l'éponge. © WILS YANICK MANIENGUI/AFP

Mais cette affaire continue de nuire à votre image…

Cela fait sept ans, et nous devons passer à autre chose. La situation actuelle au Gabon nous commande de regarder vers l’avenir. Et ce qui nous attend pourrait être plus compliqué que ce que nous avons connu en 2009 puisque, outre la présidentielle, nous aurons des législatives. Moi, je travaille déjà à la construction de cet avenir. Je demande à ceux qui croient en moi de me suivre et à ceux que j’ai déçus de m’accorder leur pardon et leur confiance. Je ne faillirai pas.

 Je ne suis pas un déçu d’Ali Bongo Ondimba. Je ne lui ai rien demandé, et il ne m’a jamais rien promis

Que pensez-vous des défections en série qui frappent le Parti démocratique gabonais (PDG) ?

Je ne vous cache pas que j’observe avec une certaine malice le comportement de certains de mes compatriotes qui me demandaient de soutenir Ali Bongo Ondimba et qui, sept ans plus tard, en arrivent à la même conclusion que moi et claquent la porte du parti au pouvoir. En revanche, contrairement à eux, je n’ai aucun problème personnel avec le chef de l’État. Je ne lui ai rien demandé, et il ne m’a jamais rien promis. Je ne suis pas un déçu d’Ali Bongo Ondimba.

Mais vous avez quitté le PDG juste après que le parti a fait de lui son candidat…

Ce n’était pas une décision facile à prendre, mais, en 2009 déjà, la manière dont il avait obtenu l’investiture du PDG ne me convenait pas. Il me semblait que son seul atout par rapport aux autres prétendants, c’était son nom de famille.

D’autres hommes et d’autres femmes avaient des arguments d’une autre portée à faire valoir, et j’ai considéré que je n’avais pas à mettre sous cloche mon aversion pour les successions à caractère dynastique, tellement en vogue dans notre partie du monde. Il me semblait aussi que je ne pouvais pas accompagner ce monsieur, que je ne sentais pas capable d’assumer la lourde charge de diriger le Gabon, et les faits m’ont donné raison.

Une alliance avec les autres anciens piliers du PDG que sont Jean Ping ou Guy Nzouba Ndama est-elle envisageable ?

Ni l’un l’autre ne me l’ont pour l’instant demandé. M. Nzouba Ndama a organisé un grand raout à Libreville au cours duquel il a annoncé qu’il était candidat. Il ne m’a pas invité, et c’est bien ainsi. Et puis les démarches individuelles ne m’intéressent pas. En 2009, je m’étais présenté en candidat indépendant. Disons que j’ai goûté les charmes de la chose et j’en ai mesuré les limites… Depuis, j’ai participé à la création de l’UN, et c’est dans le cadre de ce parti que je construis mon projet.

Comment réagissez-vous au fait que Jean Eyeghé Ndong ainsi que d’autres cadres de l’UN aient été débauchés par Jean Ping ?

Chez nous, on dit qu’on ne lance pas de cailloux sur un manguier qui n’a pas de fruits. Les gens essaient de torpiller l’UN parce qu’ils se rendent compte que ce parti compte et va peser. Nous sommes sous le feu croisé des flèches du pouvoir et d’une partie de l’opposition. J’ajoute que je pense qu’il n’est pas élégant, de la part de Jean Ping, de débaucher les cadres d’un autre parti. La démarche normale est de constituer sa propre force politique.

Diriez-vous que vous vous inspirez de feu André Mba Obame, le fondateur de l’UN ?

Sa disparition a été un déchirement pour nous tous, et le meilleur hommage que nous puissions lui rendre est de poursuivre le combat entamé avec la fondation de l’UN aux côtés de Zacharie Myboto, Paulette Missambo et d’autres. Je dis aux fidèles de Mba Obame : ne vous sentez pas orphelins. Le parti pour lequel il s’est battu continue la lutte. Unissons-nous et poursuivons le combat.

Avez-vous les moyens, notamment médiatiques, de faire campagne ?

Dans ce domaine, le jeu n’est pas équitable. Les médias publics sont une caisse de résonance du pouvoir au lieu de laisser s’exprimer toutes les sensibilités. Je le dénonce avec force et je m’engage à changer ce modèle si je suis élu.

Si vous êtes élu, quelles seront les premières mesures que vous prendrez ?

La situation du pays appelle des changements profonds. Tout est à redresser. Je mettrai en chantier une nouvelle Constitution qui rappellera les grands principes du vivre-ensemble qui ont été rayés d’un trait de plume. Je pense également que nous devons revenir à un scrutin à deux tours et limiter à deux le nombre des mandats présidentiels.

Nous devons aussi rééquilibrer les pouvoirs parce que la révision introduite par Ali Bongo Ondimba en 2011 allait dans le sens d’un accroissement des pouvoirs du chef de l’État. Il faut enfin toiletter notre Cour constitutionnelle.

Que diriez-vous aux Gabonais pour les convaincre de voter pour vous ?

Il n’y a qu’à regarder mon parcours et les responsabilités que j’ai exercées, que ce soit dans le domaine de la banque ou dans celui de l’action gouvernementale. Je ne crois pas avoir fait honte aux Gabonais. Sans forfanterie, je peux même dire que j’ai réussi. Je leur demande de me faire confiance et je compte sur Dieu pour que, parvenu aux responsabilités, je réussisse tout autant.

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