Côte d’Ivoire : le travail à (toute) petite dose
Abidjan veut lutter contre l’exploitation des plus jeunes tout en redéfinissant le concept. Et si, finalement, tout était une question de nuances ?
Au siège du Bureau international du travail (BIT), on se gratte la tête pour savoir comment donner satisfaction à la Côte d’Ivoire et qualifier le plus équitablement possible le travail des enfants. Pas question d’être favorable à une activité qui risque d’empêcher les jeunes d’aller à l’école, voire de mettre leur santé et leur vie en danger.
Or, selon une étude du ministère ivoirien du Plan et du Développement publiée en 2014, près de deux millions de jeunes sont « économiquement occupés », et 71,4 % d’entre eux « sont astreints à un travail susceptible de nuire à leur intégrité physique ou psychique ». Pis, poursuit la même étude, « 539 177 de ces enfants âgés de 5 à 17 ans sont réellement exposés à un travail dangereux, en raison notamment des longues heures durant lesquelles ils sont mobilisés, du fait qu’ils travaillent de nuit ».
Mais la Côte d’Ivoire, premier producteur mondial de cacao et plutôt bon élève en matière de lutte contre le travail des enfants, n’est pas contente. Selon elle, des études internationales comme celle menée en 2013-2014 par la Tulane University (États-Unis) grossissent le phénomène et méconnaissent les efforts du gouvernement ivoirien pour le faire régresser.
Fin avril, à Genève, Dominique Ouattara, la première dame de Côte d’Ivoire et présidente du Comité national de surveillance (CNS), a donc plaidé auprès du directeur général du BIT en faveur d’une révision des normes qui fixent les limites à ne pas dépasser, notamment la convention no 138 de l’OIT sur l’âge minimum d’admission des enfants à l’emploi et au travail, et la convention no 182 sur les pires formes de travail des enfants.
Assouplir les règles
« Les spécialistes répertorient les enfants qui accompagnent leurs parents dans les travaux champêtres comme enfants travailleurs au même titre que les enfants qui sont réellement victimes d’exploitation, a-t-elle argumenté. Même si un enfant reste une heure par semaine au champ, il est considéré comme un « enfant victime », ce qui est difficilement acceptable pour les populations. »
Les études s’entendent pour dire que les « travaux légers », comme le séchage ou le tri du cacao, sont acceptables entre 12 et 16 ans. « Mais si les enfants doivent faire cinq kilomètres à pied pour cela, il y a débat », explique Alexandre Soho, expert international au BIT.
Les enfants font partie des stratégies de survie des parents…
« Interdire aux moins de 16 ans l’utilisation de la machette, outil dangereux, n’entre pas dans la logique africaine, poursuit-il. Les discussions portent sur la meilleure façon de concilier les pratiques culturelles dans le monde agricole et les besoins des enfants, mais pas sur la possibilité d’assouplir les règles qui interdisent leur travail dans les mines. Il s’agit d’un travail de longue haleine que le BIT va mener avec la Côte d’Ivoire, qui a lancé ce débat. Elle va réviser la liste des travaux dangereux interdits avec le concours du BIT. Nous souhaitons que les enquêtes mesurant le phénomène du travail des enfants soient incontestables. »
On va donc toiletter statistiques et règlements, ce qui est une mesure de bon sens et qui profitera à toute l’Afrique, continent où le problème se pose avec le plus d’acuité. Toutefois, les gouvernements seraient bien inspirés de ne pas s’en contenter et de se soucier de l’amélioration du sort des agriculteurs. Comme on l’a vu en Côte d’Ivoire au cours des années de crise, le travail des enfants explose quand les recettes agricoles s’effondrent, car les enfants font partie des stratégies de survie des parents… Or leurs revenus conditionnent directement la scolarisation de leur progéniture.
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