Liban : un mal pour un bien

Hier à l’origine de la guerre civile, le système politique confessionnel est aujourd’hui le garant d’une relative paix intérieure. Explication.

Militants du parti citoyen Beirut Madinati, le 8 mai, à Beyrouth. © HASSAN AMMAR/AP/SIPA

Militants du parti citoyen Beirut Madinati, le 8 mai, à Beyrouth. © HASSAN AMMAR/AP/SIPA

ProfilAuteur_LaurentDeSaintPerier

Publié le 17 juin 2016 Lecture : 3 minutes.

Comme un roseau dans la tourmente moyen-orientale, le pays du Cèdre plie, mais ne rompt pas. Depuis cinq ans, la guerre sans pitié que se livrent le régime de fer de Damas et ses opposants mord sur son territoire, allume des feux dans les faubourgs de Tripoli, Saïda et Beyrouth, et a dispersé plus de 1 million de réfugiés dans le pays, mais la « poudrière libanaise » reste stable.

Comme en Syrie, les mosaïques sociales, ethniques et confessionnelles, cimentées par des régimes devenus aussi oppressifs qu’illégitimes, ont éclaté en Irak, à Bahreïn, au Yémen et en Libye, et les extrémistes d’Al-Qaïda et de Daesh prennent racine dans leurs brèches.

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Mais la discorde armée continue d’épargner le petit Liban, dont les plaies de la guerre civile multiforme de 1975-1990 restent vives. Et, tandis que les régimes israélien, turc, saoudien et égyptien se raidissent sous la menace, l’État libanais, régi par une délicate alchimie confessionnelle entre chrétiens, sunnites et chiites, a trouvé la parade singulière mais jusqu’à présent efficace de la paralysie institutionnelle : faute d’entente durable entre les deux camps ennemis, celui du « 8 mars », dominé par le Hezbollah (parti et milice chiite, engagé aux côtés d’Assad en Syrie)et favorable à l’alliance avec Damas et Téhéran, et celui du « 14 mars », conduit par les sunnites du Moustaqbal et hostile au Syrien Assad, la République libanaise est privée de président depuis deux ans, les députés autoprorogeant leurs mandats et le gouvernement se contentant de parer aux urgences.

Paradoxe : le système politique confessionnel qui avait fait le lit de la guerre civile est aujourd’hui le garant d’une certaine paix

La résilience libanaise détonne et étonne. « Malgré les tensions et les frustrations, la mémoire de la guerre civile reste douloureuse, le Hezbollah n’a pas de rival à sa hauteur et les rapports de force ne sont pas propices à un nouveau conflit. En outre, les puissances internationales veulent préserver la stabilité du pays, y compris ses deux parrains ennemis iranien et saoudien, déjà aux prises sur les fronts syrien et yéménite et dont les alliés en Syrie ont besoin, les uns comme les autres, de leurs bases arrière dans le pays », explique le politologue libanais Ziad Majed.

Paradoxe : le système politique confessionnel qui avait fait le lit de la guerre civile et provoqué l’ingérence des puissances régionales et internationales est aujourd’hui le garant d’une certaine paix. Devenus chefs de parti, les anciens seigneurs de la guerre savent qu’ils auraient tout à perdre en cas de nouvelle crise et, tout en s’invectivant sur l’agora, concluent au coup par coup des arrangements officieux pour désamorcer les plus graves tensions.

Agacement collectif

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Mais ces solutions à la petite semaine entretiennent une gabegie et une corruption dont l’illustration nauséabonde est, depuis onze mois, l’incapacité des autorités à résoudre la question du traitement des déchets qui s’amoncellent dans tout le pays.

« You stink! » (« Vous puez ! »), avait lancé un collectif citoyen à l’intention des dirigeants, drainant des milliers de Libanais dans les rues de Beyrouth en août 2015. Homme politique très indépendant bien que rattaché au « 14 mars », Samir Frangié voit dans l’émergence de cette société civile le signe que les Libanais veulent dépasser leur coexistence instable pour un vivre-ensemble durable. Seule échéance électorale à avoir été respectée, les municipales, qui se sont achevées le 30 mai, ont vu l’émergence inédite des voix citoyennes contre les vieux réflexes partisans.

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À Beyrouth, la formation Beirut Madinati (« Beyrouth ma ville ») a raflé près de 38 % des suffrages contre une liste rassemblant une coalition de tous bords. À Tripoli, l’outsider Ashraf Rifi s’est imposé face à un autre front hétéroclite de grands notables.

« Tous les partis ont été contraints de céder du terrain face à ces jeunes apolitiques, se félicite Frangié. Une vraie surprise qui exprime le ras-le-bol des Libanais et ressuscite, sous une forme différente, l’élan de mars 2005 qui avait chassé le régime syrien du pays. À l’heure où les pays des Printemps arabes redécouvrent dans la douleur leur propre complexité, c’est la démonstration que le modèle consensuel libanais permet, malgré ses défauts, l’expression d’une citoyenneté et d’un pluralisme dans la diversité qui pourrait inspirer leurs propres transitions politiques. »

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