« Bienvenue à Marly-Gomont » : Aïssa Maïga, à part entière
Jamais là où on l’attend, l’actrice se façonne une carrière solide dans un milieu où il est difficile de percer quand on est noir en France. Pour autant, pas question pour elle de s’apitoyer sur son sort.
Rendez-vous est pris dans un café du 18e arrondissement de Paris. Après une demi-heure d’attente, toujours pas d’Aïssa Maïga, et on apprend que – à la suite d’un malentendu – l’interview n’a pas été confirmée auprès de l’actrice. Qu’à cela ne tienne, Aïssa Maïga est prête à nous accueillir tout de go dans son appartement, situé dans le quartier. Une spontanéité qui en dit long sur le tempérament de la comédienne. C’est avec une simplicité désarmante qu’elle nous reçoit chez elle – toute confuse de nous avoir fait attendre – puis nous invite à nous asseoir sur le divan du salon.
La collection de livres, les plantes qui jonchent le sol et les ronronnements du chat créent d’emblée une ambiance sereine. Un intérieur à l’image de sa propriétaire. Depuis les prémices de sa carrière – il y a tout juste vingt ans -, Aïssa Maïga oscille entre films d’auteur et comédies sentimentales grand public. Un parcours également jalonné de rôles pour les planches et le petit écran.
Rôle sur-mesure pour une femme debout
Aujourd’hui, elle revient pour la promotion de Bienvenue à Marly-Gomont, un film inspiré de l’histoire du rappeur Kamini. Ou plutôt de celle du père de l’artiste : Seyolo Zantoko, un médecin fraîchement diplômé, originaire de Kinshasa, qui embarque toute sa petite famille dans l’espoir d’ouvrir son cabinet. Destination un petit village du nord de la France.
Dans cette comédie douce-amère réalisée par Julien Rambaldi, Aïssa Maïga campe le personnage de l’épouse. Un rôle taillé pour elle, tout en nuances : entre fraîcheur et ardeur. « Cette femme aime sa famille, sa culture, l’aventure, défend la comédienne. Elle a de l’élan, de la fierté. » Une fierté qu’Aïssa Maïga partage avec son personnage.
Le déficit de crédibilité dont souffre Seyolo est quelque chose que l’on connaît encore maintenant. Et qu’on appelle le plafond de verre.
« On m’a souvent refusé des films sous prétexte qu’une actrice noire allait apporter une charge trop symbolique et détourner le sens du scénario, raconte-t-elle. Mais, pour autant, je ne veux pas tomber dans le piège du repli sur soi. L’essentiel pour moi, c’est de savoir comment je vais améliorer mon interprétation, aiguiser mon œil dans la lecture des scénarios, travailler mon anglais pour bosser ailleurs. Et pas de savoir si je suis discriminée ou non, ce n’est pas nourrissant. » Un trait de caractère qu’elle a hérité de sa famille, « où les femmes sont debout » ! Et qu’elle a pu aisément retranscrire devant la caméra.
Les correspondances entre cette adaptation et sa propre histoire familiale sont manifestes. « L’époque m’a rappelé mon père [Mohamed Maïga, journaliste malien ayant officié à Jeune Afrique], mes oncles et mes tantes : des intellectuels qui pouvaient prétendre à une bourse pour étudier et travailler en France. Mais qui, une fois dans l’Hexagone, étaient un peu regardés comme des sauvages », confie la jeune femme.
Dans Bienvenue à Marly-Gomont, Seyolo (interprété par Marc Zinga) a beau détenir un diplôme français, les villageois peinent à l’appeler docteur. Ils voient en lui… un marabout. « Le déficit de crédibilité dont souffre Seyolo est quelque chose que l’on connaît encore maintenant. Et qu’on appelle le plafond de verre. Mais, comme dirait Fatou Diome, cette diversité moderne est irréversible : il faut faire avec et, surtout, en faire quelque chose », clame cette lectrice invétérée.
Prendre du recul face aux émotions
Pour la mère du rappeur, Anne, l’intégration ne doit pas se faire au détriment de son identité culturelle, tandis que, pour son mari, il faut s’adapter à tout prix, au risque de tomber dans l’acculturation.
« On est en France, ici on parle le français, fini le lingala », impose-t-il à sa famille. Une injonction que n’a jamais entendue l’actrice, qui est née à Dakar d’un père malien et d’une mère sénégalaise et qui a passé sa petite enfance auprès de son père à Paris, là où certains quidams pouvaient s’étonner de les entendre si bien parler le français. Elle fait alors l’expérience du racisme ordinaire, élevée dans une « famille où le fait d’être noir n’a jamais été vécu comme une honte ».
Passer son temps à critiquer risque d’avoir un effet contre-productif, même si cela peut susciter des prises de conscience, assure-t-elle
À la mort de son père, elle est confiée à son oncle et à sa tante. Elle n’a que 8 ans et doit apprendre le songhaï, même si la langue de Molière demeure. Aujourd’hui détentrice du seul passeport français, Aïssa Maïga refuse les formules toutes faites relatives à l’identité. « Mon métissage n’est ni un étendard ni une case : tout simplement ce qui me compose », affirme celle qui dit vouloir choisir ses combats.
S’attarder sur la polémique liée à l’absence du nom du seul acteur noir, Pascal Nzonzi, sur l’affiche des Visiteurs ? Un faux débat, « tout n’est qu’une histoire de contrat ».
Aïssa Maïga choisit ses mots. Elle ne parle pas d’acteurs noirs mais d’acteurs « non blancs » : « Je ne défends pas seulement ma chapelle, mais je me bats pour l’idée que je me fais d’une société multiculturelle », rétorque celle qui est pourtant souvent perçue comme l’un des porte-drapeaux de la cause noire dans le cinéma français. L’apparente distanciation d’Aïssa Maïga témoigne du recul nécessaire dont elle a besoin pour analyser ce qu’elle vit de près ou de loin. Elle n’est pas « dans l’émotion à chaud ». Elle aime se ménager un espace de réflexion : « Passer son temps à critiquer risque d’avoir un effet contre-productif, même si cela peut susciter des prises de conscience. »
Récemment, en France, le collectif Décoloniser les arts, composé de professionnels des arts vivants, s’est créé pour interroger les responsables culturels sur la discrimination envers ce qu’on appelle pudiquement les « minorités visibles », pourtant encore trop souvent invisibles sur les planches ou sur le grand écran. Ce collectif a notamment dénoncé l’absence d’acteurs noirs lors de la cérémonie des Molière, qui récompense les talents du théâtre français. « Je ne peux que louer le fait qu’il y ait des gens qui s’emparent de ces problématiques de façon collective ; cela dégage quelque chose de très sain : la multiplicité des points de vue. »
Un éveil qui s’est cristallisé dans l’action, outre-Atlantique, via le boycott des Oscars. Un mouvement qu’Aïssa Maïga soutient : « Le fait que l’Académie soit composée majoritairement d’hommes blancs et vieux reflète un manque de diversité extrême qui peut être remis en question au regard de l’évolution de la société américaine. »
Quant à l’édition 2016 de Cannes, elle aussi très blanche, le problème puise ses racines ailleurs, selon l’actrice, proche des directeurs d’une école de formation continue établie au Burkina Faso. « Dans toute l’Afrique de l’Ouest, mis à part au Nigeria, il y a une pénurie de films, de salles de cinéma, de formation et de techniciens sur place. Encore une fois, s’indigner d’un résultat ne suffit pas : demandons-nous pourquoi ! »
>> Bienvenue à Marly-Gomont, sortie le 8 juin en France.
KAMINI EN PICARDIE
L’histoire de Bienvenue à Marly-Gomont est directement inspirée de l’enfance de Kamini, rappeur à l’origine du titre « Marly-Gomont », sorti en 2006 et extrait de l’album Psychostar World, révélé l’année suivante. Kamini Zantoko, né en France de parents congolais, a grandi et a passé toute son adolescence dans cette bourgade du nord de la France où vivait une population exclusivement blanche.
« Je viens d’un village paumé dans l’Aisne, en Picardie, facilement 95 % de vaches, 5 % d’habitants, et parmi eux : une seule famille de Noirs, fallait que ce soit la mienne, putain un vrai cauchemar », scande-t-il dans le morceau, non sans ironie. Raison pour laquelle le clip, petit concentré d’humour et d’autodérision, a créé le buzz au moment de sa publication sur la Toile en atteignant plus de 1,5 million de vues.
https://www.youtube.com/watch?v=aR6_p77gmJ4
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