Livres : quand Hervé Bourges travaillait pour Ben Bella

Qui le savait ? En 1963, le président algérien confie une mission secrète à celui qui dirigera RFI, TF1 et France Télévisions. Un épisode que l’ancien journaliste révèle cinquante ans plus tard.

À l’indépendance, l’ex-fonctionnaire français (à g.) conseille l’ancienne colonie. © DR

À l’indépendance, l’ex-fonctionnaire français (à g.) conseille l’ancienne colonie. © DR

Christophe Boisbouvier

Publié le 6 juin 2016 Lecture : 3 minutes.

Hervé Bourges est un cachottier. Pendant plus de cinquante ans, il a tenu secrète cette mission que le président algérien Ahmed Ben Bella lui a confiée, un jour de 1963, auprès du chef rebelle Hocine Aït Ahmed, caché dans les montagnes de Kabylie. Aujourd’hui, il la raconte dans un « abécédaire intime ». Pourquoi ? Le titre de son livre, J’ai trop peu de temps à vivre pour perdre ce peu – une citation de Chateaubriand -, dit beaucoup. Bourges pense qu’il est temps de tout dire.

« À près de 83 ans, la tête et les jambes continuent de bien fonctionner, la voix de porter », écrit-il. Jusqu’au bout, l’ancien conseiller de Ben Bella veut vivre à fond.

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En 1960, la chance du jeune Hervé Bourges, 27 ans, c’est d’être au cabinet d’Edmond Michelet, le garde des Sceaux du général de Gaulle, et d’être chargé de rendre visite régulièrement aux chefs du FLN algérien emprisonnés au château de Turquant, dans la vallée de la Loire. Bourges est un chrétien de gauche qui, quatre ans plus tôt, à la fin de ses études de journalisme, a préféré Témoignage chrétien au Figaro. Très vite, au château de Turquant, il noue des liens de confiance avec Ben Bella et les quatre autres prisonniers algériens. Et après l’indépendance de 1962, quand Ben Bella l’appelle à ses côtés, il accepte.

Un ex-fonctionnaire français au cœur du nouveau pouvoir à Alger… Chez les militaires algériens, on voit cela d’un mauvais œil. En 1965, après la chute de Ben Bella, Bourges choisit de rester en Algérie, comme conseiller du ministre de l’Information Bachir Boumaza. Mal lui en prend. Un an plus tard, quand Boumaza fuit en Tunisie, Bourges est arrêté par la sécurité militaire… qui l’interrogera « sans ménagement pendant une quarantaine d’heures », précise-t-il.

J’étais simplement quelqu’un qui essayait de rendre service à l’Algérie et de donner une image de la France qui soit convenable

Heureusement, le jeune Bourges a déjà un joli carnet d’adresses. Plusieurs personnalités interviennent pour le faire libérer. À Alger, le cardinal Duval. À Paris, Edmond Michelet, bien sûr, mais aussi un certain Jacques Chirac, jeune conseiller du Premier ministre Georges Pompidou, qui appelle personnellement le président Houari Boumédiène.

Dès cette époque, Hervé Bourges est donc un personnage inclassable qui intrigue tout le monde. Pour les nostalgiques de l’Algérie française, c’est un traître à sa patrie. Pour la sécurité militaire algérienne, c’est tout le contraire : une barbouze au service de la France.

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« Je n’étais ni l’un ni l’autre, affirme-t-il aujourd’hui. J’étais simplement quelqu’un qui essayait de rendre service à l’Algérie et de donner une image de la France qui soit convenable. » Sans doute le jeune Bourges était-il utopiste. Et cinquante ans après, le chroniqueur tient encore rigueur à celui qui l’a « malmené ». Ben Bella, Boudiaf et Aït Ahmed ont chacun une entrée dans son abécédaire. Boumédiène, non.

Ami des puissants

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Après son départ forcé d’Algérie, Hervé Bourges rebondit avec talent. Il crée l’école de journalisme de Yaoundé, au Cameroun, puis prend successivement la direction de trois grands médias français (RFI, TF1 et France Télévisions). Au fil des pages de ce livre qui fourmille d’anecdotes, on comprend ce qui fait sa force. Comme Jacques Chirac, il est chaleureux, possède un bon coup de fourchette et s’entoure d’une équipe de fidèles.

Certes, il est marqué à gauche, mais, un jour, Édouard Balladur lui propose l’ambassade de France à Dakar. Et un autre jour, Jacques Chirac l’invite à prendre la tête du ministère de la Coopération. Droite ou gauche, Hervé Bourges est l’ami des puissants. Comme chez Bernard Kouchner, il y a chez lui un côté « tiers-mondain ». Mais l’homme a des convictions : contre la soumission aux États-Unis, pour une vraie amitié franco-algérienne et pour la francophonie.

Évoquant Mitterrand, Bourges écrit : « La qualité de la langue était à ses yeux un signe sûr de l’élégance et de la clarté de la pensée. » Dans ce livre courageux, le disciple veut s’approcher du maître.

J'ai trop peu de temps à vivre pour perdre ce peu. Abécédaire intime, d'Hervé Bourges. © DR

J'ai trop peu de temps à vivre pour perdre ce peu. Abécédaire intime, d'Hervé Bourges. © DR

J’ai trop peu de temps à vivre pour perdre ce peu. Abécédaire intime, d’Hervé Bourges, Le Passeur Éditeur, 272 pages, 19,90 euros.

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