Agro-industrie : Pape Dieng, un homme fort pour Suneor

Il a la confiance du président sénégalais, mais le nouveau directeur de l’entreprise ne fait pas l’unanimité. Car l’ex-patron de la Senelec, s’il sait redresser une société en difficulté, est moins à l’aise sur le terrain social.

Au siège de l’huilier, à Dakar, le 23 mai.                                                             L’ingénieur veut « redresser cette maison ». © SYLVAIN CHERKAOUI POUR J.A.

Au siège de l’huilier, à Dakar, le 23 mai. L’ingénieur veut « redresser cette maison ». © SYLVAIN CHERKAOUI POUR J.A.

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Publié le 20 juin 2016 Lecture : 5 minutes.

Annoncé à la tête de Suneor le 4 mai, Papa Allé Dieng, dit Pape Dieng, a rapidement pris ses quartiers au siège de l’huilier sénégalais, rue Calmette, à Dakar. Et pour cause : il doit remettre sur les rails une entreprise en proie à une crise profonde. Gérée pendant plus de dix ans par l’homme d’affaires Abbas Jaber, patron du groupe Advens, avant que celui-ci prenne la décision de vendre ses parts à l’État, en octobre 2015, elle connaît une situation sans précédent.

Un plan de redressement déjà mis en place

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Son endettement s’est creusé ces trois dernières années, alimenté notamment par des problèmes d’approvisionnement contraignant les usines à tourner au ralenti : il atteint désormais 54 milliards de F CFA (82,3 millions d’euros). Et ça ne s’améliore pas : son stock d’arachides à triturer est dérisoire (7 000 tonnes, contre les 300 000 tonnes recherchées) et ses cinq unités industrielles sont à l’arrêt. Aussi, à peine a-t-il fini de recevoir Jeune Afrique que Pape Dieng file, une pile de documents sous le bras, au siège du ministère de l’Économie pour rencontrer le ministre Amadou Ba.

Quelques jours auparavant, il s’était entretenu avec le ministre de l’Agriculture avant d’être reçu en audience, pendant deux heures, par le chef de l’État, Macky Sall. Pendant ce tête-à-tête, d’importantes décisions ont été arrêtées : réaliser un audit de l’entreprise avec l’appui de la Banque mondiale, élaborer un plan de relance des usines, vendre une partie du patrimoine foncier au port de Dakar (quatre hectares évalués entre 15 milliards et 19 milliards de F CFA), triturer les 7 000 tonnes d’arachides collectées lors de la dernière campagne, reprendre les activités de raffinage, adopter un nouveau modèle d’approvisionnement en graines et changer la raison sociale de l’entreprise…

L’audit déterminera aussi les modalités de la future cession à un partenaire stratégique. Mais l’État gardera un œil sur la filière arachidière, tente de rassurer Pape Dieng.

Ce fils d’un grand commerçant du Cayor, zone de production arachidière autour de Thiès, l’affirme : « Je veux redresser cette maison. » Cela passera par la résolution d’un certain nombre de problèmes tels que l’approvisionnement en graines – qu’il faudra, juge-t-il, sécuriser grâce à la fixation de règles très précises par l’État -, la concurrence des acheteurs chinois, les importations frauduleuses d’huile de palme asiatique…

Il aime travailler dans la discipline, la rigueur et l’autorité

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Et les faiblesses intrinsèques de l’entreprise : l’obsolescence de son outil industriel et la fin, il y a plusieurs années, du monopole dont elle disposait sur l’importation d’huiles végétales et qui lui permettait d’être rentable. Pape Dieng, en tout cas, estime la situation concurrentielle actuelle défavorable à Suneor et entend demander à l’État de jouer son rôle.

Critiqué par les syndicats

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Sa nomination à la tête de l’huilerie a suscité une pluie de critiques. C’est que l’homme, diplômé en génie électrique de l’École nationale supérieure universitaire de technologie (Ensut, devenue entre-temps l’École supérieure polytechnique de Dakar) en 1976, est pour le moins contesté pour ses méthodes managériales. Ainsi, son passage à la tête de la Société nationale d’électricité (Senelec), de 2012 à 2015, a été jalonné de conflits à répétition avec le syndicat maison ou l’amicale des cadres. Il était pourtant un pur produit de l’entreprise publique, où il avait travaillé une première fois de 1977 à 1998.

Mais le natif de l’ex-communauté rurale de Pékesse – dont il a été le président – reste impassible. Même s’il reconnaît avoir eu « quelques difficultés avec certains membres des syndicats », c’est parce qu’il aime « travailler dans la discipline, la rigueur et l’autorité » : « J’essaie de trouver un consensus autour de l’essentiel et d’instaurer un dialogue direct. » La preuve ? À son arrivée à Suneor, il a rencontré le comité de direction, les syndicats, ainsi que tous les travailleurs du siège et des usines de Dakar et de Diourbel, assure-t-il.

Seuls les résultats comptent à ses yeux. « Personne n’a contesté l’amélioration des valeurs caractéristiques de la gestion de la Senelec. » Il les a listées lors de son départ, en juillet 2015 : des bénéfices de 3 milliards de F CFA (contre un déficit de 55 milliards en 2010) et une nette progression de la qualité de service, les coupures de courant passant de neuf cent vingt-huit heures en 2011 à trente-six heures sur les cinq premiers mois de l’année 2015.

« Nous avons bénéficié de facteurs exogènes favorables, notamment la baisse du prix des combustibles », relativise l’amicale des cadres. Celle-ci reconnaît à Pape Dieng des réussites en matière d’infrastructures, mais critique le net recul sur les questions des ressources humaines, des approvisionnements, des investissements…

Pour le moment, le sexagénaire concentre toutes ses forces sur son nouveau défi et fait fi des critiques et des rumeurs, notamment celle qui voudrait qu’il ait quitté la Senelec, en 1998, pour fonder la Société industrielle de matériels électriques (Simelec). Il n’en est rien. L’entreprise, qui appartenait à 34 % à la Senelec et à 66 % à des actionnaires privés, a été créée pour résoudre le problème d’approvisionnement en matériel électrique de la société nationale.

« Je ne disposais d’aucune action, clarifie Pape Dieng. Puis, lorsque j’ai réalisé d’excellents résultats, l’actionnaire majoritaire m’a offert à titre gracieux 5 % des parts. » Quelles ont été les conditions de sa nomination à la tête de cette filiale ? « Au départ, la Senelec devait m’y détacher, mais les actionnaires privés s’y sont opposés, arguant qu’il n’y aurait aucun enjeu car, si jamais ça ne marchait pas, je retournerais à la maison mère. La condition était de démissionner, ce que j’ai fait. »

Une autre rumeur le poursuit : sa nomination à la Senelec serait liée à la proximité de son épouse avec la première dame, Marième Faye Sall. Sa version est tout autre : « Elles ne se sont serré la main qu’une seule fois. » Et si le président lui a renouvelé sa confiance en le nommant à la tête de Suneor, c’est encore une fois, selon lui, parce qu’il est l’homme de la situation.

LONGUES NÉGOCIATIONS

Selon nos informations, l’annonce par le groupe Advens, en octobre 2015, de sa sortie du capital de Suneor ne s’était toujours pas concrétisée début juin malgré l’accord trouvé sur le prix à payer par l’État. C’est donc sans les représentants du groupe agro-industriel que le conseil d’administration de Suneor a entériné l’installation de Pape Dieng au poste de directeur général.

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