Enquête : comment va (vraiment) la RD Congo

Après des années de progrès, le pays voit la conjoncture se retourner. Un nouveau problème qui s’ajoute au déficit de gouvernance, au manque d’infrastructures et à l’absence de vraie vision économique.

Sur la place de la gare centrale de Lubumbashi, dans la province minière du Katanga, trône une vieille locomotive. © GWENN DUBOURTHOUMIEU POUR J.A.

Sur la place de la gare centrale de Lubumbashi, dans la province minière du Katanga, trône une vieille locomotive. © GWENN DUBOURTHOUMIEU POUR J.A.

ProfilAuteur_FredMaury

Publié le 21 juin 2016 Lecture : 7 minutes.

Il y a quelque chose de paradoxal à Kinshasa, capitale d’un pays tout entier centré sur l’actualité politique. Après des années de très forte croissance (entre 7 % et 9 % par an de 2010 à 2014), la plupart des indicateurs ont basculé dans le rouge. Le 1er juin, les députés ont adopté un projet de loi de finances rectifiée entérinant une baisse de 22 % des dépenses par rapport aux prévisions précédentes.

Le gouvernement ne table plus que sur 6,6 % de croissance cette année. Et l’arrêt, en 2015, de plusieurs mines de cuivre au Katanga a fait perdre au pays plusieurs milliers d’emplois. Pourtant, les 10 millions de Kinois semblent se moquer de ces chiffres.

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De la commune aisée de la Gombe, où l’électricité et l’eau ne manquent jamais, aux rues animées de Bandal, tout ou presque semble glisser sur la peau tannée d’une population qui en a vu d’autres. Les seuls points qui semblent réellement importer : la date de l’élection présidentielle et le sort du chef de l’État, Joseph Kabila. « Le Congolais est résilient. La guerre, l’effondrement économique, l’absence d’électricité, il a appris à gérer tout cela », explique Joseph, un jeune travailleur.

Ne cherchez pas dans la chaotique mégalopole congolaise un signe de crise : les rues restent bondées, de voitures comme de commerçants. « Vous savez, ici, l’économie est informelle à 90 % », rappelle unh omme d’affaires.

Des points encourageants, malgré tout

Chef d’orchestre du récent développement économique du pays, Matata Ponyo Mapon, le Premier ministre, ressemble de plus en plus à un professeur d’école au pouvoir limité, maniant avec force et maîtrise ses tableaux, ses chiffres ou ses places gagnées dans le « Doing Business », le classement de la Banque mondiale sur le climat des affaires.

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Énergique face aux journalistes comme aux politiciens, il ne baisse pas les bras après plus de quatre ans à la tête du gouvernement. Mais concède, hors micro, son effarement devant l’hostilité du monde politique à son égard, y compris dans son propre camp, mais aussi de certains acteurs institutionnels.

Sur le papier, c’est sûr, la RD Congo a connu de véritables progrès. Il y a la croissance, soutenue et bien supérieure à la moyenne subsaharienne, la réduction de la dette et la maîtrise de l’inflation. L’économie, à l’agonie il y a quinze ans, a repris des couleurs. Le secteur minier s’est rapidement (re)développé, avec une production de cuivre passée de moins de 200 000 tonnes en 2002 à environ 1 million de tonnes avant la crise actuelle. Le secteur bancaire s’est envolé, avec un total d’actifs cumulés passé de moins de 100 millions de dollars avant 2002 à environ 4,6 milliards aujourd’hui.

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Mieux, le pays s’est même mis à plaire : entre 2007 et 2014, ce sont en moyenne 2,06 milliards de dollars (environ 1,7 milliard d’euros) qui ont été investis chaque année par des étrangers dans l’économie. Mi-avril, Orange, déjà leader dans la téléphonie dans le pays, remettait 160 millions de dollars au pot en rachetant son concurrent Tigo RDC.

Dans une économie toujours tenue par une vingtaine d’acteurs et marquée par l’absence de firmes de taille intermédiaire, les petites entreprises semblent émerger rapidement : « Je perçois un véritable dynamisme entrepreneurial », confirme Alain Buhendwa, dirigeant de King Kuba Capital et conseiller d’un fonds, Central Africa SME Fund, qui a investi en cinq ans dans une trentaine de PME congolaises actives dans divers secteurs.

N’oublions pas que ce pays est dans une situation post-conflit

Le pays s’est en grande partie réconcilié avec les bailleurs de fonds : il dialogue régulièrement avec le FMI ou la Banque mondiale, laquelle dispose dans le pays d’un peu plus de 3 milliards de dollars d’engagements via 25 projets.

« Quand on regarde la RD Congo, il ne faut pas se limiter à l’image instantanée, mais plutôt voir la vidéo de son évolution pour constater les progrès réalisés et les défis que le pays est en train de relever, prévient Ahmadou Moustapha Ndiaye, directeur des opérations de la Banque mondiale en RD Congo. N’oublions pas que ce pays est dans une situation post-conflit. Selon le rapport sur le développement de la Banque mondiale de 2011, cela prend entre vingt et vingt-cinq ans pour reconstruire des institutions solides dans des pays qui sortent de conflits. »

Inégalités sociales persistantes

« De fortes performances macroéconomiques, mais des indicateurs sociaux faibles et une grande inégalité. » Ce constat du FMI fait l’unanimité : la croissance, principalement alimentée par un secteur minier largement exonéré d’impôts, n’a guère été inclusive dans un pays grand comme toute l’Europe de l’Ouest et au budget inférieur à celui de la seule ville de Paris.

La RD Congo reste à la traîne en matière d’indicateurs sociaux : le niveau d’accès à l’électricité (7 % de la population) et aux infrastructures d’assainissement améliorées (20,5 %), les taux de mortalité infantile ou maternelle, le niveau de pauvreté ont empêché le pays d’atteindre la plupart des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD), comme l’a constaté le dernier rapport du Pnud.

Malgré des progrès enregistrés jusqu’en 2014, la collecte d’impôts reste peu élevée (et concentrée sur un nombre limité d’acteurs), même pour les standards africains. « La RD Congo figure parmi les pays à faible taux de pression fiscale en Afrique [12,5 % en moyenne sur la période 2012-2015] malgré le potentiel exceptionnel de ses activités minières », estime ainsi le dernier rapport sur les « Perspectives économiques en Afrique » (BAD, Pnud, OCDE).

Réformer devient de plus en plus complexe à mesure que l’on touche à des intérêts privés

Résultat : sa capacité d’investissement dans les infrastructures est plus que limitée, reposant uniquement sur les partenaires chinois et les bailleurs de fonds. Ici, la notion de partenariat public-privé, qui permet à nombre de pays africains d’accélérer leurs projets de développement, n’existe quasiment pas.

Il faut dire qu’il reste un autre grand chantier : celui de la gouvernance et du climat des affaires. Les dernières années ont été marquées par les vives polémiques autour de Dan Gertler, un proche du président Kabila qui s’est formidablement enrichi en revendant des concessions minières. Et si le pays a progressé de trois rangs dans le « Doing Business » 2016, il reste dans les profondeurs du classement, au 184e rang, entre le Tchad et la Centrafrique.

« Prenez le cas des entreprises publiques, explique un bailleur de fonds. Réformer devient de plus en plus complexe à mesure que l’on touche à des intérêts privés. Ainsi, pendant longtemps, le rail n’a pas fonctionné et les camionneurs se sont installés. Aujourd’hui qu’on tente de faire évoluer la Société nationale des chemins de fer du Congo et de relancer des projets de construction ou de rénovation, les résistances sont vives. »

Quelques inquiétudes demeurent dans le secteur minier

Malgré cela, nombre d’institutions publiques travaillent à leur refondation, avec cette volonté de retrouver une grandeur parfois idéalisée. Seule la Générale des carrières et des mines (Gécamines) semble se complaire dans sa délicate situation : son plan de relance, annoncé en 2013, a fait pschitt, faute peut-être d’une réelle volonté.

Outre la préservation des intérêts (mal) acquis, la grande inquiétude du secteur privé tient à la compétence de l’administration. « Il y a un vrai problème de qualité et de professionnalisme », souligne un chef d’entreprise. « Beaucoup de fonctionnaires ne sont pas aptes et sont âgés. S’ils ne partent pas, c’est uniquement parce qu’on ne peut pas payer leurs retraites », renchérit un bailleur de fonds.

La diversification patine, notamment en ce qui concerne le volet agricole

« Nous travaillons actuellement sur la mise en œuvre du plan stratégique de développement, dont l’une des ambitions est de diversifier l’économie, explique un diplomate européen. Nos interlocuteurs ne sont pas au niveau. » Résultat : la diversification patine, notamment en ce qui concerne le volet agricole.

Côté économique, il n’y aura pas grand-chose à espérer de 2016. Le Premier ministre, vu comme un élément rassurant par la communauté des affaires, a largement perdu la main depuis la formation du gouvernement de cohésion nationale, fin 2014.

« Nous percevons une dégradation de la situation, mais nous ne faisons qu’entrer dans la crise », estime Yves Cuypers, président de l’Association congolaise des banques. Aux difficultés du secteur minier s’ajoute, dans le Bas-Congo, l’entrée de produits frauduleux venus d’Angola, un pays qui connaît une crise plus vive encore. Quant à la situation préélectorale, elle laisse craindre le pire en matière de corruption et de mauvaise gouvernance.

La gestion chaotique de l’affaire Biac, la troisième banque du pays, récemment placée sous administration provisoire, et son écho auprès de la population prouvent d’ailleurs l’extrême fébrilité qui règne actuellement en RD Congo, y compris dans les sphères économiques. Reste l’espoir, pour beaucoup, que de cette phase naisse un meilleur avenir pour un pays aux potentialités immenses.

TOUS CONTRE MATATA

En quelques semaines, deux grandes figures du monde économique réputées proches du président Kabila ont pris pour cible le Premier ministre, Matata Ponyo Mapon. En mai, face à l’Assemblée nationale, le gouverneur de la Banque centrale, Deogratias Mutombo Mwana Nyembo, l’a rendu responsable de l’accélération de la crise de la Banque internationale pour l’Afrique au Congo (Biac), troisième banque du pays placée sous administration provisoire.

Le patron des patrons, Albert Yuma Mulimbi, a quant à lui fustigé des projets publics budgétivores sans impact sur le développement économique. Les réponses de la primature ont été cinglantes, étrillant la supervision défaillante de la Banque centrale d’un côté et la mauvaise gouvernance de celui qui préside la Gécamines de l’autre…

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