Infrastructures : un vent de changement dans l’énergie africaine

L’objectif de production d’énergie verte en Afrique pour 2030, 300 GW, est ambitieux. L’arrivée de nouveaux financements ainsi que le potentiel solaire, éolien et hydraulique du continent rendent ce défi possible. Il y a urgence : 600 millions d’habitants sont toujours privés d’électricité.

Bon élève, le Maroc vise les 52 % d’énergies renouvelables, en partie grâce à l’éolien (ici le parc de Haouma, d’une capacité de 50 MW). © Paul Langrock/Zenit-Laif-REA

Bon élève, le Maroc vise les 52 % d’énergies renouvelables, en partie grâce à l’éolien (ici le parc de Haouma, d’une capacité de 50 MW). © Paul Langrock/Zenit-Laif-REA

Rémy Darras © Francois Grivelet pour JA

Publié le 23 juin 2016 Lecture : 7 minutes.

Bon élève, le Maroc vise 52% d’énergies renouvelables en partie grâce à l’éolien. © Paul Langrock / Zenit Laif Rea
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Un vent de changement dans l’énergie en Afrique

L’objectif de production d’énergie verte en Afrique pour 2030, 300 GW, est ambitieux. L’arrivée de nouveaux financements ainsi que le potentiel solaire, éolien et hydraulique du continent rendent ce défi possible. Il y a urgence : 600 millions d’habitants sont toujours privés d’électricité. Découvrez le dossier de « Jeune Afrique » consacré à ce sujet crucial pour le développement du continent.

Sommaire

«Dans l’absolu, ce n’est rien du tout, mais dans le contexte africain, c’est un objectif ambitieux », confie Youba Sokona, vice-président du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), qui dirige l’Initiative africaine pour les énergies renouvelables (AREI). Portée par l’Union africaine, l’AREI vise à doter le continent de 10 GW supplémentaires de capacité de production d’ici à 2020, en combinant les technologies solaire, éolienne, hydraulique et géothermique.

En décembre 2015, à Paris, à l’occasion de la COP21, les pays développés se sont engagés à mobiliser 10 milliards de dollars (plus de 9 milliards d’euros) pour y parvenir. Une première étape pour un défi immense : bâtir en Afrique un système de production d’énergie respectueux de l’environnement, en limitant les énergies fossiles.

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Une solution à la chute des prix du pétrole 

Chargée d’attirer davantage de ressources publiques et privées (notamment du côté de l’Inde, de la Chine et des pays du Golfe), l’AREI a déjà recensé suffisamment de projets, à différents stades de maturité, pour produire 20 GW. Plus de 60 porteurs de projets ont répondu à son appel, rapporte l’ambassadeur malien Seyni Nafo, le « Monsieur Afrique » de la COP21.

Mais si l’engouement pour les énergies renouvelables est réel, le chemin est encore long avant d’atteindre l’objectif fixé pour 2030 : porter la production d’énergie verte à 300 GW.

Selon les projections de l’Agence internationale des énergies renouvelables (Irena), ces dernières représenteraient alors 22 % de la consommation du continent, contre 5 % actuellement. Aujourd’hui, l’Afrique ne dispose guère que de 150 GW de capacité totale de production d’électricité, reposant en grande partie sur des centrales alimentées par des combustibles fossiles. Plus de 600 millions de personnes n’ont pas accès à l’électricité, et il faudrait investir 50 milliards de dollars par an sur dix ans pour remédier totalement à ce déficit.

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Le potentiel énergétique du continent est heureusement plein de promesses : 334 GW par an, répartis, d’après l’Irena, entre l’éolien (100 GW), particulièrement dans le Nord, l’Est et le Sud, le solaire (100 GW), l’hydraulique (100 GW), la biomasse (30 GW), surtout en Afrique centrale, et la géothermie (3 à 5 GW), en grande partie dans la vallée du Grand Rift.

La baisse globale du coût des technologies joue également en faveur des énergies renouvelables. Le prix des panneaux photovoltaïques a ainsi été divisé par trois ces dernières années, notamment en raison de l’arrivée sur ce marché de nombreux acteurs chinois en Afrique. « Une aubaine pour les pays enclavés du Sahel, dépourvus de potentiel hydroélectrique et très dépendants d’un fuel qui leur revient très cher », estime Bertrand Heysch de la Borde, directeur infrastructures de la Société financière internationale (IFC, filiale de la Banque mondiale consacrée au secteur privé).

Personne n’avait prévu l’effondrement du brut

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Cela s’est traduit en cinq ans par une baisse de 50 % à 70 % des prix en Afrique du Sud, en Ouganda ou au Maroc, avec un kilowattheure approchant les 0,10-0,15 dollar. Au Mali, le kilowattheure produit grâce aux panneaux photovoltaïques revient à 90-100 F CFA (environ 0,15 euro), contre 160 F CFA avec du diesel. Même la baisse du cours du baril n’inverse pas la tendance.

« Le coût du transport compense la chute du pétrole lourd dans les pays producteurs ; elle n’est même pas répercutée à la pompe », assure Charlotte Aubin-Kalaidjian, présidente de GreenWish Partners, société d’investissement dans les énergies renouvelables en Afrique. « Personne n’avait prévu l’effondrement du brut. Compte tenu de la volatilité extrême des produits énergétiques, il vaut mieux miser à long terme sur le renouvelable », veut croire Seyni Nafo.

C’est sur cette voie que s’inscrit notamment l’IFC, qui a participé au financement de 18 projets de production d’énergie renouvelable dans 11 pays. Son investissement total de 700 millions de dollars, dont 62 % dans le solaire, permettra d’obtenir une capacité de 700 MW.

Grâce à son programme Scaling Solar, lancé début 2015, l’IFC entend ajouter 600 MW de capacité solaire par des projets de gré à gré avec des entrepreneurs plutôt que par de grands appels d’offres. Par ailleurs, l’institution est en passe de financer une vingtaine d’autres projets dans le secteur des énergies renouvelables dans une douzaine de pays. Elle a notamment signé avec la Zambie, le Sénégal et Madagascar, et vise également le Mali et le Burkina Faso.

Contribuant à hauteur de 2 milliards de dollars à l’AREI, l’Agence française de développement (AFD) a porté à 400 millions d’euros ses investissements dans le développement durable en Afrique en 2015 (contre 300 millions d’euros en 2014). La coopération française ne privilégie aucune filière en particulier. Elle a financé les centrales solaires Noor au Maroc et de Zagtouli au Burkina Faso, mais aussi la ferme éolienne d’Ashegoda en Éthiopie, la centrale géothermique Olkaria au Kenya, ou encore le barrage de Lom Pangar au Cameroun.

Le barrage hydroélectrique de Lom Pangar, au Cameroun (ici en août 2015, un mois avant sa mise en eau partielle), garantir une puissance de 70 MW. © Jean-Pierre Kepseu / Panapress/Max PPP

Le barrage hydroélectrique de Lom Pangar, au Cameroun (ici en août 2015, un mois avant sa mise en eau partielle), garantir une puissance de 70 MW. © Jean-Pierre Kepseu / Panapress/Max PPP

« Des perspectives prometteuses »

Disponible partout sur le continent, l’énergie solaire offre les perspectives les plus prometteuses, juge Rima Le Coguic, responsable de la division transports et énergies durables de l’AFD : « Le photo-voltaïque va se développer dans les prochaines années de manière décentralisée grâce à des kits solaires disponibles dans les zones rurales qui n’ont pas accès à l’électricité. » Cela pourrait s’inscrire dans un développement accru de miniréseaux permettant d’améliorer l’accès à l’énergie. Une solution qui ne passait, il y a dix ans encore, que par l’extension des réseaux nationaux centralisés…

À côté de prêts bonifiés sur de grands projets d’infrastructures, l’AFD a débloqué des lignes de crédit à destination des banques locales, qui fourniront à leur tour des prêts aux entrepreneurs privés. « Cela permettra de démultiplier l’impact de petits projets de 200 000 à 300 000 euros en monnaie locale », poursuit l’experte de l’AFD.

Moins de 10 % du potentiel hydraulique du continent est exploité

Proparco, sa filiale consacrée au secteur privé, a annoncé le 12 mai avoir accordé un prêt de 34,5 millions d’euros pour la construction et l’exploitation de la centrale solaire photovoltaïque Senergy à Méouane (Sénégal). Développée avec la société d’investissement Meridiam, Solairedirect (Engie, ex-GDF Suez) et Schneider Electric, Senergy, d’une capacité de 30 MW, fournira l’équivalent de la consommation annuelle de 226 500 habitants, à un coût plus compétitif (65 F CFA le kilowattheure) que les centrales thermiques du pays, qui totalisent 90 % du bouquet énergétique. « Peu risqué en matière de développement, de construction et d’exploitation, un projet solaire se développe très rapidement », témoigne une spécialiste.

Mais si la question du coût du solaire et de l’éolien a été résolue, celle du stockage de l’électricité demeure en suspens. « Il faut consommer l’énergie produite dans la journée », pointe Bertrand Heysch de la Borde. La nuit, une autre énergie doit prendre le relais. Un inconvénient que ne connaissent pas les infrastructures hydrauliques, qui produisent de l’énergie en continu.

Investisseur historique dans ce type d’infra-structures via son fonds InfraVentures, l’IFC, si elle n’est pas « activement impliquée » dans les barrages d’Inga (RD Congo), a structuré le financement du projet de Bujagali (350 MW), en Ouganda, et mène deux autres projets : Nachtigal, au Cameroun (400 MW), « en phase de montage », et Kenié, au Mali (40 MW), « en phase de développement avancé ».

Alors que moins de 10 % du potentiel hydraulique du continent est exploité, « il peut être envisagé comme une solution de base face aux énergies intermittentes que sont le solaire et l’éolien, affirme Rima Le Coguic. Même s’il faut pour cela réhabiliter des centrales hydroélectriques existantes, au Mozambique et au Ghana par exemple, en remplaçant les turbines, pour allonger leur durée de vie et gagner en rendement ». L’AREI pourrait venir à son tour appuyer la construction de petits barrages sur le fleuve Sénégal, en Guinée, en RD Congo et au Cameroun.

Secteur privé

Pour développer tous ces programmes, des ressources longues, sur dix à quinze ans, sont nécessaires, demandant la garantie d’États et d’agences de développement.

En Afrique du Sud, où 20 milliards de dollars ont été mobilisés en cinq ans, un cadre réglementaire stable, avec des appels d’offres rigoureux, a permis d’attirer le secteur privé. De plus en plus de pays africains adaptent à leur tour législation et réglementation pour réussir leur transition énergétique. Dans le cadre de son plan Sénégal émergent, Dakar a mis en place un dispositif législatif pour viser les 20 % d’énergies renouvelables en 2017, facilitant la libéralisation du secteur, l’ouverture aux producteurs indépendants et les partenariats public-privé.

Le cadre légal a aussi évolué fin 2015 au Maroc, en autorisant notamment la vente d’excédent d’énergie. Et ce alors que le royaume a revu ses ambitions à la hausse en portant la part du renouvelable (principalement solaire et éolien) de 42 % à 52 % d’ici à 2030. Noor, le plan solaire marocain, est appelé à générer des investissements de plus de 9 milliards de dollars. Avec une capacité totale de 580 MW, le parc de Ouarzazate devrait être le plus grand complexe d’énergie solaire au monde.

Dans le sud du pays, le parc éolien de Tarfaya, en service depuis décembre 2014, est le plus grand d’Afrique avec 131 éoliennes (300 MW ; plus de 450 millions d’euros d’investissement). Il s’ajoute aux parcs d’Akhfennir (qui double sa capacité avec 56 nouvelles turbines, pour atteindre 200 MW), de Foum el-Oued (50 MW) et de Haouma (50 MW).

Comme le Maroc, le Sénégal et l’Afrique du Sud, de plus en plus d’États, à l’image du Gabon, opèrent un virage au profit des énergies renouvelables. Mais la nécessaire industrialisation à court terme du continent justifiera aussi l’augmentation de l’utilisation de combustibles fossiles. Reste à voir si les pays tenteront d’en limiter l’impact.

L’Afrique du Sud semble faire un pas dans cette direction. En mai, Tina Joemat-Pettersson, la ministre de l’Énergie, a annoncé la volonté de son pays de réduire sa dépendance au charbon, dont il est pourtant un grand producteur, en privilégiant à l’avenir la construction de centrales à gaz, moins polluantes.

Seyni Nafo, l’homme qui valait 10 milliards

Président pour deux ans du groupe africain à la Convention climat de l’ONU, porte-parole de l’Afrique à la COP21 (à Paris, en décembre 2015) et ancien financier, Seyni Nafo est la cheville ouvrière de l’Initiative africaine pour les énergies renouvelables, présidée par Khaled Fahmy, ministre égyptien de l’Environnement. La mission de ce Malien de 34 ans consiste, dans les prochains mois, à opérer le montage technique et financier du premier portefeuille de projets éligibles aux 10 milliards de dollars apportés par les pays développés lors de la COP21.

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