Daesh : éradication, phase finale

De la Mésopotamie à l’Afrique du Nord, les ennemis du pseudo-califat semblent décidés à passer à la vitesse supérieure, attaquant presque simultanément les principaux bastions jihadistes.

Combattants chiites prenant un selfie pendant le siège de Fallouja, en Irak, le 29 mai. © ALAA AL-MARJANI/REUTERS

Combattants chiites prenant un selfie pendant le siège de Fallouja, en Irak, le 29 mai. © ALAA AL-MARJANI/REUTERS

ProfilAuteur_LaurentDeSaintPerier

Publié le 20 juin 2016 Lecture : 6 minutes.

Au slogan de Daesh, « demeurer et s’étendre », le président américain, Barack Obama, avait opposé en septembre 2014 sa volonté « d’affaiblir et de détruire » le pseudo-califat. Cinq mois plus tard, la reconquête de Kobané, en Syrie, par les forces kurdes, soutenues par les frappes aériennes de la coalition formée par Washington, marque la fin des conquêtes jihadistes fulgurantes.

Fin mars 2015, Bagdad annonce la reconquête de Tikrit, suivie de celles de Ramadi, en février 2016, et de Palmyre, en mars, par le régime de Damas, avec l’appui russe. Ses revenus se tarissent, les routes du jihad international ont été fermées et une douzaine de ses hauts responsables ont été éliminés, le calife lui-même se remettant difficilement de graves blessures : Daesh est indéniablement affaibli.

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De la Mésopotamie à l’Afrique, ses ennemis semblent soudain décidés à passer à la phase de destruction finale, attaquant presque simultanément Fallouja, en Irak, Raqqa, en Syrie, et Syrte, en Libye.

Cauchemar des marines en 2004 et première ville prise le 4 janvier 2014 par les jihadistes du pseudo-califat à venir, Fallouja vit à nouveau au son du canon. Le 23 mai, le bombardement de la ville par les milices chiites progouvernement a donné le premier signal de l’assaut contre la cité sunnite. L’initiative a surpris l’allié américain, qui visait prioritairement la chute de Mossoul.

Reprises en chaine

« Elle est pilotée par les Iraniens, pour conforter le régime de Bagdad et parce que la ville, à 65 km de la capitale, est la base de préparation des attentats qui la frappent. Côté assaillants, on trouve l’armée irakienne, essentiellement chiite, la milice chiite Badr et les troupes d’élite des unités antiterroristes formées par les Américains et a priori disciplinées et moins confessionnalisées », décrypte le géopoliticien Gérard Chaliand. Comme lors de la reprise de Tikrit, les Américains ont conditionné l’appui aérien de la coalition au maintien des milices chiites hors de la ville. Le premier assaut a été donné le 30 mai par la Division d’or des unités antiterroristes.

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Secondées par l’armée et par la police locale, et avec l’appui de milices sunnites loyalistes, les troupes d’élite progressent sur trois fronts. « Leurs chances de vaincre sont assez fortes : l’ennemi est encerclé et privé d’approvisionnement et de renforts », poursuit Chaliand. Si Bagdad évalue la défense de Fallouja à 2 000 jihadistes, ils ne seraient en réalité que 500 à 700, selon les Américains. Mais le terrain est miné, et la progression des assiégeants est compliquée par les embuscades des snipers, difficiles à traquer dans les labyrinthes d’une ville en guerre.

A Fallouja, Bagdad se veut rassurant, mais la population assiégée retient surtout les cris de guerre à ses portes

La reconquête de Ramadi, à 60 km à l’est, avait duré deux mois, du 7 décembre 2015 au 9 février 2016. Mais les 50 000 civils emprisonnés dans Fallouja n’attendent pas une libération dans la reprise annoncée de la ville par le régime.

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Ils exècrent le joug des jihadistes qui, sous le déluge de balles et d’obus, vont jusqu’à tirer à vue sur ceux qui tentent de fuir et accaparent les dernières réserves alimentaires. Mais la crainte de représailles aveugles de la part des milices chiites domine. Bagdad se veut rassurant, mais la population assiégée retient surtout les cris de guerre à ses portes. « Voilà l’opportunité de nettoyer l’Irak en éradiquant cette tumeur qu’est Fallouja », déclarait le chef de l’une de ces milices, la brigade Abou al-Fadl al-Abbas.

Le 6 juin, le gouverneur de la province de Ninive, dans le Nord, envisageait « la libération de Mossoul très bientôt », mais un massacre sectaire à Fallouja pourrait conduire les Mossoulis, également sunnites, à se ranger derrière les jihadistes pour leur survie, compliquant davantage la destruction annoncée du pseudo-califat.

À 600 km au nord-ouest en remontant l’Euphrate, Raqqa, capitale de facto de Daesh, est aussi aux abois, prise en tenailles. Le 24 mai, les Forces démocratiques syriennes (FDS), coalition milicienne soutenue par Washington et rassemblant des Kurdes, très majoritaires, des Arabes sunnites et des chrétiens, marchaient depuis le Nord sur le bastion jihadiste avec le soutien aérien américain.

Raqqa dans le viseur de Moscou et Washington 

Le 31 mai, une autre colonne des FDS attaquait Minbej, au nord-ouest, coupant un axe vital de ravitaillement de Daesh entre Raqqa et la Turquie. Le 4 juin, l’aviation et les hélicoptères russes leur ouvrant la route, l’armée syrienne et les milices progouvernement se lançaient à leur tour, depuis le Sud-Ouest, prenant pied deux jours plus tard dans la province évacuée en août 2014. En fer de lance, sa propre unité d’élite formée par l’armée russe, les Aigles du désert.

Coopérant indirectement en Irak avec Téhéran, les Américains se seraient-ils concertés avec les Russes pour cette double offensive en Syrie ? « Il semble qu’il y ait une coordination non déclarée entre Washington et Moscou », indique–t-on à l’Observatoire syrien des droits de l’homme.

« La chute de Raqqa est essentielle pour briser la continuité territoriale de Daesh et son infrastructure, mais sa prise sera plus compliquée que celle de Mossoul. Elle a une portée symbolique et stratégique majeure pour Daesh, qui y a massé un plus grand nombre de défenseurs », explique le lieutenant-colonel Yoram Schweitzer, directeur de département à l’Institut israélien pour les études de la sécurité nationale (INSS).

À Raqqa la sunnite, ce sont 200 000 habitants qui, endurant l’ordre de Daesh depuis deux ans, sont eux aussi plongés dans l’effroi par l’approche de milices kurdes au nord, chiites à l’ouest, encore plus redoutées que les jihadistes. Comme à Fallouja, leurs représailles contre une partie de la population justifieraient le discours de Daesh, qui se pose en défenseur de la famille sunnite. Mais, comme à Fallouja, certaines tribus arabes sunnites restées fidèles au régime pourraient jouer les intermédiaires afin d’obtenir des garanties pour la protection de la population civile.

« Si Raqqa tombe, tant qu’aucune solution politique n’est trouvée et que le chaos dure en Syrie, Daesh y trouvera nombre d’autres enclaves pour continuer son combat », conclut Schweitzer.

Rare possession de l’empire califal à avoir prospéré après sa conquête en février 2015, le comptoir africain fondé sur les ruines de la Libye de Kadhafi est aussi sur le point de tomber. Début mai, le gouvernement d’union nationale (GNA) de Tripoli et le général Khalifa Haftar – lequel, à la tête de l’Armée nationale libyenne, conteste l’autorité de la capitale – sonnaient de concert le clairon de la mobilisation contre Daesh après un an de passivité. Les puissantes milices de Misrata, ralliées à Tripoli, ont été plus rapides que le vieux général.

Le 17 mai, elles faisaient sauter un premier verrou à 130 km à l’ouest de la ville, tenue par 2 000 à 3 000 jihadistes. Le 5 juin, Syrte était encerclée. Le Premier ministre du GNA, Fayez el-Sarraj, pouvait annoncer que « la victoire totale sur Daesh à Syrte est proche ».

Mais le passage sous contrôle de toute la ville ne se fera pas sans difficultés, car, si des forces spéciales occidentales sont sur le terrain, les assaillants ne bénéficient pas du soutien aérien que les Russes et les Américains fournissent à ceux de Fallouja et de Raqqa. Et les affidés du calife ont recours aux mêmes tactiques meurtrières de guérilla urbaine et de piégeage systématique.

Entre Misrata et Syrte, l’animosité est explosive depuis que Kadhafi a noyé la première sous un déluge de feu au début de la révolution de 2011. En retour, les milices de Misrata n’avaient pas épargné Syrte, la ville d’origine du « Guide », lorsque celui-ci s’y était réfugié après avoir fui Tripoli en août 2011. Cinq semaines avaient alors été nécessaires pour prendre la ville aux derniers résistants kadhafistes. Les civils de Syrte nourrissent du coup la même crainte d’être victimes de leurs libérateurs que les Irakiens et les Syriens sunnites, bien que le schisme entre chiites et sunnites ne fracture pas la Libye.

En apportant son renfort aux troupes de Sarraj, le général Haftar, qui compte nombre d’anciens officiers de Kadhafi dans ses rangs, aurait pu tempérer les ressentiments, tout en confirmant l’union nationale indispensable pour faire face aux défis que continueront de poser Daesh et les groupes extrémistes après la reprise de Syrte.

Haftar appelait, le 20 mai, au démantèlement des forces ralliées à Sarraj. Mais, le 4 juin, la Force des missions spéciales dans la lutte antiterroriste et une brigade des renseignements militaires, jusque-là loyales à Haftar, annonçaient leur ralliement à Sarraj, quelques semaines après que les puissants gardes des installations pétrolières eurent fait de même dans l’Est. En Libye, l’hallali contre Daesh a fini par créer l’unanimité nationale, laquelle pourrait constituer les prémices d’une reconstruction politique.

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