Gabon : Philippe Mory, tout noir, tout blanc

L’acteur gabonais est décédé le 7 juin. Il avait été notamment l’un des membres fondateurs du Fespaco.

L’acteur et réalisateur Philippe Mory, décédé le 7 juin 2016. © Capture d’écran / Facebook

L’acteur et réalisateur Philippe Mory, décédé le 7 juin 2016. © Capture d’écran / Facebook

ProfilAuteur_LaurentDeSaintPerier

Publié le 16 juin 2016 Lecture : 3 minutes.

Ses vociférations hilares ne feront plus trembler les contreplaqués du maquis où « Tonton Fifi » aimait dévorer des paquets de machoirons arrosés de cataractes de « nectar de Bordeaux ». Philippe Mory, l’une des figures du cinéma africain, a tenu à écrire et à réaliser le scénario de sa propre mort en se suicidant le 7 juin, à l’âge de 86 ans – ou peut-être seulement 81 -, dans ce quartier populaire de Nzeng-Ayong qui était son élément le plus naturel.

Ce mythe gabonais avait vu le jour quelque part dans les années 1930, entre les lacs et la forêt profonde de Lambaréné, d’une jeune nymphe galoa sacrifiée au plaisir d’un forestier français de passage. « Je suis blanc et je suis noir, disait-il, j’ai emmagasiné un certain nombre de choses bizarres ! »

Tentation de la modernité européenne et regret des traditions qui s’étiolent, thèmes majeurs de ses oeuvres

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Métissée et multiforme, sa carrière cinématographique démarre à Paris, où il joue en 1954 dans le court-métrage Afrique en Seine, l’une des premières œuvres du septième art continental, et il devient, avec On n’enterre pas le dimanche (prix Louis-Delluc 1959), le premier Noir à tenir le rôle principal dans un film français. Écrite et jouée par lui dans le décor de son pays, La Cage, mise en scène par Robert Darène en 1963 et sélectionnée à Cannes, raconte le parcours d’un jeune médecin africain formé à Paris qui, de retour sur sa terre natale, voit sa docte autorité contestée par les connaissances de guérisseur traditionnel d’un vieux forestier blanc.

Ce dernier, expliquait Mory, « est devenu noir et n’a plus une âme de Blanc, seule sa peau est encore blanche. Alors que le jeune médecin noir ne connaît rien de tout ça. Il ignore que ce qu’il est allé apprendre en France pouvait être comparé à ce que le Blanc est venu lui ravir en Afrique ». Huit ans plus tard, en 1971, il réalise son seul long-métrage, Les tam-tams se sont tus, se développe à nouveau l’antinomie entre ville et brousse, tentation de la modernité européenne et regret des traditions qui s’étiolent.

Jeune et insoumis

Si la star du cinéma gabonais, dix-huit fois père, savait apprécier sans modération les plaisirs de ce monde, ses biens ne l’intéressaient pas : « Je connais un président d’ici qui disait « la chèvre broute là où elle est attachée » ; j’ai été attaché au cinéma toute ma vie, mais je n’ai rien brouté ! » L’engagement politique de cet insoumis, autre passion amère, lui a coûté cher. Au lendemain de son triomphe sur la Croisette, il est le seul civil à ourdir la tentative de coup d’État de 1964 contre le président Léon Mba, le père de l’indépendance gabonaise, dont la dérive autoritaire inquiétait les militants de la démocratie.

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Le putsch réussit, et Mory devient ministre de la Culture. Pour vingt-quatre heures, le temps que l’armée française intervienne et rétablisse Mba après avoir tué dix-huit insurgés. Mory est condamné à six ans de travaux forcés mais obtient la grâce d’Omar Bongo, qui le libère lors de son accession au pouvoir en 1967. En 1990, l’ère des conférences démocratiques ravive en lui la fibre politique, et il crée un éphémère parti politique pour parvenir à la même désillusion.

Des années 1970 au crépuscule de sa vie, Tonton Fifi n’a plus joué que dans une dizaine de films. Le patriarche, créateur du Centre national du cinéma gabonais (Cenaci, devenu en 2010 l’Institut gabonais de l’image et du son, Igis) et cofondateur du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco), n’était en effet pas tendre avec ses confrères des jeunes générations « qui ne croient qu’au dieu profit ».

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Ses dernières apparitions à l’écran, il les réservait à ses amis réalisateurs, ses « fils », comme Imumga Ivanga et Henry-Joseph Koumba Bididi. Ce dernier nous confiait en 2013, trois ans avant que le maître se décrète trop vieux : « Il est comme un père pour moi, et d’une telle fraîcheur d’esprit que j’ai souvent le sentiment que c’est lui le plus jeune du plateau. »

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