Angola : la fille du président
Il arrive à l’actualité d’imposer ses exigences. Elle me conduit cette semaine à vous parler de deux personnes très différentes, sans lien aucun entre elles.
La première est une personne morale, le vénérable et prestigieux Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies. Il joue un rôle de plus en plus important, mais sa composition n’a pas évolué alors que le monde, lui, a changé.
Il faut donc adapter la composition du Conseil de sécurité au monde d’aujourd’hui.
De plus en plus de voix s’élèvent en faveur de cette nécessaire réforme. Mais elle tarde à voir le jour parce qu’elle se heurte à des résistances.
L’Afrique pourrait faire en sorte que le blocage soit levé. La possibilité de s’engager dans cette voie s’offre à elle au sommet de l’Union africaine (UA), qui se tient dans un mois à Kigali.
La deuxième est une personne physique. C’est une femme africaine née en 1973, il y a donc quarante-trois ans, à Bakou, capitale de l’Azerbaïdjan, qui faisait alors partie de l’Union soviétique.
Elle a pour nom Isabel dos Santos. Sa mère est slave, mais son père est un président africain : José Eduardo dos Santos.
Il a succédé à Agostinho Neto, premier président de la République d’Angola, décédé à Moscou le 10 septembre 1979, et assume cette haute fonction depuis trente-sept ans.
Nul ne sait s’il se croit inamovible ou s’il songe à passer la main.
Isabel est sa fille aînée, née d’un premier mariage qui s’est défait au bout de quelques années.*
Son cas intriguait déjà parce qu’elle est devenue, en moins de vingt ans, l’une des premières fortunes africaines et « pèse », disent les analystes, près de 3 milliards de dollars. Il nous interpelle encore plus aujourd’hui, car son président de père l’a nommée, ce 6 juin, présidente de Sonangol, la compagnie pétrolière nationale du pays.
L’enrichissement accéléré de cette fille de président africain et sa nomination par son père, cette semaine, au poste le plus convoité du pays méritent d’être commentés.
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1) À tout seigneur tout honneur, parlons d’abord du Conseil de sécurité de l’ONU.
Il s’est arrogé le droit de diriger le monde ou, à tout le moins, d’y prétendre.
En son sein, cinq membres permanents, les États-Unis, la Chine, la Russie, le Royaume-Uni et la France, vainqueurs réels ou supposés de la guerre de 1939-1945, se sont déclarés puissances nucléaires de droit et se sont octroyé, il y a soixante-dix ans, un droit de veto.
Ils sont donc « plus égaux » que les dix autres membres du Conseil, et, dans un monde qui a évolué et où de nouvelles puissances ont pris place, on ne le supporte plus.
Modifier la composition du Conseil de sécurité, augmenter le nombre de ses membres permanents pour que chaque continent s’y sente mieux représenté apparaît de plus en plus comme une « ardente obligation ».
L’Europe occidentale y déléguerait, comme troisième membre permanent, l’Allemagne, sa première puissance économique. L’Asie compterait, outre la Chine, deux autres membres permanents : l’Inde et le Japon. Quant à l’Amérique du Sud, elle disposerait d’un membre permanent : le Brésil.
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Mais quid de l’Afrique ? Elle revendique deux places de membre permanent mais ne dit pas et ne sait pas à quels pays les attribuer.
Le Nigeria s’impose, car c’est le pays le plus peuplé du continent et sa première économie. Mais qui serait le second ?
L’Afrique du Sud ? L’Égypte ? L’Éthiopie ? Chacune d’elles a ses mérites. Mais aucune ne prévaut sur ses concurrents.
Qui représenterait les pays francophones ? Le Nord-Sahara, qui ne rassemble que le quart de la population du continent, aura-t-il un membre permanent, alors que le Sud-Sahara, soit les trois-quarts des Africains, n’en aurait qu’un ?
Tant qu’ils n’auront pas résolu ce problème et fait leur choix, les Africains favoriseront le statu quo.
Le successeur de Nkosazana Dlamini-Zuma à la tête de la Commission de l’UA, qui devrait être désigné dans un mois par le prochain sommet de l’Union, devrait avoir pour mission, expressément formulée, de rechercher un consensus africain sur le deuxième membre permanent au Conseil de sécurité.
Lorsque ce sera fait, chacun des continents aura ses candidats, et les adversaires de la réforme perdront tout prétexte pour la retarder.
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2) À ceux qui lui font observer qu’elle est devenue milliardaire en dollars en moins de vingt ans parce qu’elle est la fille de son père, Isabel dos Santos répond : « Beaucoup de personnes bien nées et disposant de relations n’en ont rien fait et ne sont arrivées à rien. Pour s’enrichir, il faut travailler beaucoup, faire preuve d’une détermination sans faille et d’un grand savoir-faire. »
Elle n’a pas tort, car, avec le même père, ses frères et sœurs ne se sont pas enrichis comme elle.
Mais aurait-elle amassé une telle fortune si elle était partie avec sa mère alors qu’elle était encore adolescente et si son père n’avait plus été, selon sa propre expression, « au-dessus d’elle, comme un nuage qui protège des brûlures du soleil » ?
C’est lui, en tout cas, qui vient de lui confier la présidence de Sonangol et de lui mettre ainsi, selon l’expression d’un observateur, « la main dans le pot de confiture ».
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Ex-marxiste, José Eduardo dos Santos est donc président de son pays, l’Angola, depuis près de quarante ans. Sous ce si long règne, lui-même, sa fille et ses proches se sont attribué la meilleure part de l’argent que le pétrole, le gaz et le diamant, dont l’Angola est un grand exportateur, ont fait rentrer dans les caisses de l’État.
On aurait pu fermer les yeux sur une telle appropriation indue si l’Angola s’était développé et si le sort des Angolais s’était sensiblement amélioré.
Ce n’est malheureusement pas le cas.
Certes, l’Angola a connu plusieurs années d’une guerre civile dont les effets négatifs ont été importants. Mais bien qu’en paix depuis près de vingt ans, son bilan économique est affligeant.
Les énormes revenus tirés depuis le début du siècle de l’exportation du pétrole, du gaz et du diamant ont été gaspillés, volés ou mal utilisés.
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Le revenu par habitant ? Faible pour un pays gros exportateur d’or noir. L’espérance de vie à la naissance ? Pas énorme. Le pourcentage de très pauvres ? Trop élevé. L’endettement du pays ? Anormal.
Consultez les classements du FMI, du Pnud, de la Banque mondiale et de la BAD, et vous trouverez l’Angola en bas de tableau, que ce soit pour le développement humain, pour l’alphabétisation ou pour toute autre marque de progrès.
À se demander si la pauvreté de la majorité des Angolais n’est pas l’une des conséquences de l’enrichissement d’une petite minorité.
Mais la fille du président est l’Africaine la plus riche. « Je ne fais pas de politique, dit-elle en guise de justification. Je suis dans les affaires. »
* José Eduardo dos Santos en est à son quatrième mariage. Il a eu plusieurs enfants de ses trois autres unions.
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