Festival gnaoua : à cultiver !
Depuis une dizaine d’années, l’ancienne Mogador a misé sur les arts et la musique pour développer le tourisme et profiter de ses retombées économiques.
Essaouira « se vit, elle ne se raconte pas », assène dans un sourire Ahmed. Pour la troisième année consécutive, lui et ses amis ont fait le trajet depuis Agadir pour assister au Festival gnaoua et musiques du monde, qui s’y est tenu du 12 au 15 mai. De carrefour commercial à carrefour culturel, la petite ville côtière est devenue un bastion irréductible du métissage et de la création artistique au Maroc.
Derrière ses remparts ocre règne une ambiance unique où les accents du monde résonnent au son de musiques en tout genre (rock, gnaoua, hip-hop, raï…), où le calme des patios tranche avec le fourmillement des ruelles de la médina. Après une période de déclin, la ville a su raviver la flamme en puisant dans cette identité si particulière qui fait sa force et son charme.
Une fois franchies les grandes portes de cette cité à la fois hors du temps et à l’avant-garde des arts modernes, les cris des mouettes et des pêcheurs portés par le souffle des alizés laissent place aux notes de musique, aux couleurs chatoyantes et aux odeurs d’épices et de bois de thuya, la spécialité de la région. Et, à chaque coin de rue, une histoire, parfois gravée à même la pierre.
« Si vous regardez bien le fronton de la porte Bab el-Marsa, qui donne sur le port, vous verrez trois motifs : la coquille Saint-Jacques, symbole de la religion chrétienne, le croissant, représentant l’islam, et des inscriptions en hébreu pour la religion juive », indique Abderrahim El Bertai, délégué provincial du ministère de la Culture à Essaouira. « Et plusieurs rues et quartiers portent encore le nom des tribus qui s’étaient installées dans la ville lors de sa fondation. » Car Essaouira, ex-Mogador, tire principalement son caractère de ce passé multiculturel et de cette ouverture au monde, restés intacts.
Fondée en 1764 par le sultan Sidi Mohammed ben Abdallah et peuplée de marchands, d’artisans et d’artistes de toutes nationalités et de toutes confessions, elle devint le plus important port commercial du Maroc ainsi que sa capitale diplomatique entre le XVIIIe et le XIXe siècle.
Les influences amazighs, arabes, africaines, européennes, musulmanes, chrétiennes et juives confluèrent en un mélange riche et unique qui fait aujourd’hui la fierté de ses habitants, les Souiris. Les Gnaouas (nom donné aux descendants d’esclaves subsahariens déportés au Maghreb entre le VIIIe et le XIXe siècle) ont particulièrement imprégné la ville de leur culture musicale et de leurs rituels mystiques. Longtemps marginalisés, ils sont aujourd’hui considérés comme des artistes à part entière, respectés et adulés grâce au festival qui leur est consacré depuis dix-neuf ans.
Consécration mondiale
La musique gnaoua s’est également internationalisée avec des musiciens de renom, comme le jazzman américain Randy Weston, qui a enregistré en 1992 l’album The Splendid Master Gnawa Musicians of Morocco.
Opus qui sera nommé dans la catégorie meilleur album de musique du monde aux Grammy Awards 1996. L’on assiste alors à une « transe-mission » à la fois internationale et intergénérationnelle, portée par les maâlem (« maîtres ») qui s’évertuent à partager et à protéger leur patrimoine des affres du temps et de la mondialisation.
Après une période de déclin sous le protectorat français, la ville renaît, revit et accueille une autre catégorie de voyageurs, parmi lesquels un certain Jimi Hendrix. Bref passage ou séjour prolongé ? Le mythe reste entier et attire des hippies du monde entier, venus se libérer corps et âme au rythme enivrant des crotales, du guembri et des tambours.
Dans les années 1980, les peintures, sculptures et calligraphies locales connurent également un nouvel essor avec l’ouverture de la première galerie d’art de la ville par Frédéric Damgaard, un Danois tombé sous le charme des lieux, puis la création de l’association Tilal des arts plastiques, présidée par le caricaturiste Hamid Bouhali. Au fond de sa galerie paisible, entouré de tableaux et pinceaux à la main, ce dernier s’arrête volontiers pour vanter les atouts artistiques de sa ville.
La ville connaîtra un intérêt artistique, culturel et touristique croissant à partir de 2001 avec l’inscription de la médina au patrimoine mondial de l’Unesco
« Il y a environ 500 peintres à Essaouira, sans exagération ! Tout le monde peint ici, femmes, hommes, enfants… » Et d’ajouter, un sourire en coin, que, « après tout, l’art, c’est la liberté d’expression ».
D’autres poètes, savants, créateurs, écrivains et musiciens firent d’Essaouira leur muse ou leur havre de paix, à l’instar de Maria Callas, de Brian Jones, leader des Rolling Stones à l’époque, et des Rita Mitsouko. C’est aussi ce décor qui apparaît dans les films Othello, d’Orson Welles, et Kingdom of Heaven, de Ridley Scott, ou plus récemment dans la série Game of Thrones.
« Il n’y a qu’un certain château que je connais, où il fait bon d’être enfermé. Il faut plutôt mourir que d’en rendre les clefs. C’est Mogador, en Afrique », écrit quant à lui Paul Claudel dans Le Soulier de satin. La ville connaîtra un intérêt artistique, culturel et touristique croissant à partir de 2001 avec l’inscription de la médina au patrimoine mondial de l’Unesco.
Près d’une dizaine de festivals, principalement de musique, animent désormais la ville et attirent entre 500 000 et 600 000 touristes chaque année. Autant de retombées économiques qui ne doivent pas pour autant la dénaturer.
Hausse des prix de l’immobilier
« J’aime bien tous ces événements, ils font bouger la ville », souffle Zeinab, de sa petite boutique de produits à l’huile d’argan. « Mais comme beaucoup d’étrangers veulent s’installer ici, les prix des maisons ont augmenté. C’est dommage pour nous… » Un point qu’Abderrahim El Bertai ne réfute pas, tout en précisant que ces prix redeviennent plus accessibles depuis quelques années et que « des règles strictes s’appliquent pour préserver la richesse et l’harmonie architecturales ».
Un travail également mené par l’association Essaouira-Mogador, fondée en 1992 par André Azoulay, conseiller du roi et natif de la ville : « On voulait que notre démarche ne doive rien à personne, qu’elle vienne de la ville même, pour s’inscrire dans la durée. »
En vingt ans, le nombre d’hôtels est passé de 6 à 327, indique-t-il, les deux tiers étant des riads et des maisons d’hôte, qui se fondent avec harmonie dans les dédales de la médina. Le développement culturel et durable est également prôné par Neila Tazi, productrice du Festival gnaoua et musiques du monde.
Elle milite pour inscrire la culture gnaoua au patrimoine oral et immatériel de l’humanité. « La demande sera examinée en 2017, précise-t-elle. Nous espérons un beau cadeau pour les 20 ans du festival. »
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