Angola : les dos Santos en ordre de bataille

Crise économique, contestation sociale, succession… Alors que le régime est fragilisé, le président a placé sa fille Isabel à la tête de la Sonangol. Un choix risqué – mais calculé – à un an de l’échéance présidentielle.

Isabel dos Santos. © ED CROPLEY/REUTERS

Isabel dos Santos. © ED CROPLEY/REUTERS

Christophe Boisbouvier

Publié le 17 juin 2016 Lecture : 5 minutes.

À 43 ans, Isabel dos Santos jette le masque. Jusqu’à présent, la fille aînée du président angolais prétendait ne pas se mêler de politique. « Oui, l’industrie pétrolière est menée par la politique, disait-elle au Financial Times en mars 2013, mais mes propres affaires ne le sont pas. »

Aujourd’hui, volte-face. Depuis le 2 juin, la « princesse » – comme l’appellent les Angolais – préside la Sonangol, la compagnie pétrolière publique, qui n’est autre que la machine à cash du régime. Et devient la reine du pétrole. Fini les articles dans la presse people sur la jolie métisse – sa mère est une ex-championne d’échecs russe – qui a réussi dans le business. La femme d’affaires la plus riche du continent est à présent une femme d’État et l’un des cinq piliers du régime angolais.

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Isabel a-t-elle hésité à se jeter dans le grand bain ? De bonne source, non. « Quand son père lui a proposé le job, elle s’est sentie flattée et y a vu une forme de reconnaissance, confie un proche. Depuis la chute des prix du pétrole, les réserves de change ont fondu, elle a le sentiment qu’il faut sauver l’Angola. Comme son père, c’est quelqu’un de fier. » Bref, elle assume ce revirement.

Une solution politique dans un contexte social tendu

Officiellement, elle est censée remettre de l’ordre dans les finances d’une société mal gérée. De fait, la Sonangol a fait des investissements hasardeux et doit revenir à son cœur de métier. Mais, en réalité, la mission d’Isabel est d’abord politique. L’heure n’est plus à la fête et aux « happy birthday » de Stevie Wonder, le maître du swing américain, lors du quarantième anniversaire de l’indépendance, le 11 novembre 2015 à Luanda. Depuis avril 2016, le deuxième producteur africain d’or noir (1,7 million de barils par jour) est obligé de demander l’assistance financière du FMI. C’est humiliant. Et, face à une opposition revigorée, le régime se durcit.

Le problème de l’Angola, c’est sa société ultra-inégalitaire. À côté des golden boys qui roulent en Porsche, 37 % des 24 millions d’habitants vivent avec moins de 1 dollar par jour. Comme il n’a pas su diversifier son économie, le pays est frappé de plein fouet par l’effondrement des cours du pétrole. Depuis un an, la société civile s’enhardit.

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En juin 2015, la police a raflé une vingtaine d’opposants à Luanda. Le 28 mars 2016, dix-sept d’entre eux, dont le rappeur Luaty Beirão, ont été condamnés à des peines allant de deux à huit ans de prison ferme pour « rébellion contre le président de la République ». « Avec sa fille à la Sonangol, le président angolais renforce la mainmise de son clan sur la principale ressource du pays, analyse un ministre d’un autre pays pétrolier de la sous-région. Mais cette répression trahit une certaine fébrilité du régime. »

Isabel reine du pétrole, est-ce le bon choix ? Pas sûr. Certes, la jeune femme d’affaires, qui est, selon le magazine américain Forbes, la huitième fortune du continent, a déjà vingt ans d’expérience. Mais son patrimoine fait polémique. Estimé par Forbes à 3,4 milliards de dollars (environ 3 milliards d’euros), il est essentiellement placé au Portugal. Plus de la moitié de cette somme – quelque 1,8 milliard de dollars – correspond à un portefeuille d’actions dans la compagnie pétrolière portugaise Galp. Et selon Maka Angola, l’association anticorruption du journaliste angolais Rafael Marques, ces actions appartiendraient en réalité, à travers la société offshore Esperanza Holding BV, à la… Sonangol !

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Mauvaise presse pour la Sonangol

Réplique outrée d’Isabel dos Santos dans le Wall Street Journal en février 2016 : « Je ne suis financée par aucun argent public. » Mais, chiffres à l’appui, Maka Angola maintient que l’entrepreneuse utilise la Sonangol comme banque privée d’investissement.

Comment vont réagir le FMI et les milieux financiers ? Cité par Reuters, le patron d’une grande banque de Johannesburg affirme que la promotion de la fille dos Santos produit un effet de népotisme et risque de dissuader les banques internationales de traiter avec la Sonangol : « D’un point de vue éthique, cela va rendre les choses plus difficiles. »

Pour le ministre déjà cité, Isabel dos Santos n’a pas bonne presse en Afrique centrale. « Il est étonnant qu’elle prenne la tête de la Sonangol, car elle est beaucoup plus impliquée dans des placements en Europe qu’en Afrique, juge-t-il. Chez nous, beaucoup regrettent que la puissance financière de l’Angola ne profite pas à la sous-région. »

Le régime angolais est-il en perte d’influence ? Pas si simple. Le 16 avril, José Eduardo dos Santos a assisté à l’investiture de son homologue congolais, Denis Sassou Nguesso, à Brazzaville. Ce 14 juin, à Luanda, le numéro un angolais doit accueillir un sommet de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (CIRGL). Malgré ses problèmes intérieurs, le leader suit de très près la situation de ses voisins. « Avec ces prix du pétrole impossibles, on est tous dans la même tourmente », confie un proche de Denis Sassou Nguesso.

Plus que les autres pays, c’est la RD Congo qui retient l’attention de l’Angola. « Avec 2 510 km de frontières communes, dos Santos est inquiet, confie un ex-ministre de Joseph Kabila. Il s’est fait expliquer point par point la Constitution congolaise et soutiendra ce régime aussi longtemps que la stabilité du Congo ne sera pas menacée. Donc, pour l’instant, il ne bouge pas. Mais en cas de problème, il sait qu’il peut être appelé à jouer un rôle actif. »

Le clan dos Santos a accumulé une fortune immense qu’elle se refuse à partager.

À 73 ans, José Eduardo dos Santos gouverne d’une main de fer depuis trente-sept ans. Quittera-t-il le pouvoir en 2018, comme il l’a annoncé le 11 mars ? Beaucoup en doutent. Tout d’abord, cette déclaration laisse entendre qu’il se présentera en 2017. Ensuite, avec une croissance qui plafonne à 3 %, le régime semble trop fébrile pour un tel saut dans l’inconnu. « Dos Santos ne va pas ouvrir une crise de succession en pleine crise économique », pronostique notre ministre.

Ce qui est sûr, c’est que, avec sa fille Isabel à la Sonangol et avec son fils José Filomeno à la tête d’un fonds souverain doté de 5 milliards de dollars, le patriarche verrouille sa succession. Le Mouvement populaire de libération de l’Angola, au pouvoir, renoncera-t-il à ses convictions marxistes et acceptera-t-il une solution dynastique ? Réflexion d’un observateur de l’UA : « Le clan dos Santos a accumulé une telle fortune qu’il pense que personne ne pourra sécuriser son patrimoine à sa place. Si le successeur n’est pas du clan, il sera sous pression et devra partager. Or le clan ne veut pas partager. Il reste dans une logique de guerre. Il a gagné, donc il prend tout. Il ne se rend même pas compte qu’il se met en danger. »

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