Algérie : Nouria Benghebrit à l’épreuve du bac

Mise en difficulté par la fraude massive qui a entaché les examens du baccalauréat, la très moderniste ministre algérienne de l’Éducation pourrait avoir été victime d’un complot. Explication.

Depuis sa nomination, en 2014, cette docteure d’État est prise pour cible par les conservateurs de toutes obédiences. © AFP

Depuis sa nomination, en 2014, cette docteure d’État est prise pour cible par les conservateurs de toutes obédiences. © AFP

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Publié le 17 juin 2016 Lecture : 3 minutes.

Nouria Benghebrit a manifestement parlé trop vite. Le 28 mai, veille des épreuves du baccalauréat, la ministre algérienne de l’Éducation nationale assurait que son département – en collaboration avec le ministère de la Justice, celui de la Poste et des Technologies de l’information, et les services de sécurité – avait pris les mesures nécessaires pour éviter toute fraude aux examens.

Mais patatras ! Au fur et à mesure que se déroulaient les épreuves, les Algériens découvraient avec effarement l’ampleur de la triche qui a touché presque l’ensemble du territoire national. Résultat : certaines épreuves, notamment celles des filières scientifiques, ont été annulées. Quelque 310 000 candidats sur 800 000 repasseront le bac à l’occasion d’une nouvelle session, qui se déroulera du 19 au 23 juin.

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Que s’est-il donc passé pour que le bac version 2016 vire au scandale national ? Selon les premiers éléments de l’enquête, quatre cadres de l’Office national des examens et concours (Onec) ont dérobé des sujets d’épreuve à l’imprimerie officielle puis les ont diffusés sur Facebook quelques heures avant les examens.

Une cinquantaine de députés réclament la tête de la ministre

Inculpés notamment pour « violation de secret », ils ont été placés sous mandat de dépôt. « Le mobile du crime n’est pas financier mais politique, explique un conseiller de la ministre. Cela accrédite la thèse d’un complot. » Le Premier ministre Abdelmalek Sellal et le directeur de cabinet à la présidence Ahmed Ouyahia abondent dans le même sens. L’un estime que ces fuites constituent une « atteinte à la sécurité nationale », l’autre accuse les islamo-conservateurs de vouloir saper la mission de Benghebrit.

Ce n’est pas la première fois que la triche entache les épreuves du bac en Algérie. En 1992, des fraudes massives avaient contraint le ministre de l’Éducation à rendre son tablier.

« Prise pour cible »

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Et dans un passé récent, plusieurs cas de triche, grâce notamment aux téléphones portables, ont émaillé le déroulement des examens. Le gouvernement va-t-il céder devant ceux qui réclament la tête de la ministre, à commencer par la cinquantaine de députés qui, via une pétition adressée au président Bouteflika, demande le limogeage de celle qu’ils tiennent pour la principale responsable de ce fiasco ?

Depuis sa nomination, en mai 2014, Benghebrit est prise pour cible par des intellectuels arabistes, des cadres islamistes et même certains médias privés. Elle souhaite moderniser l’école algérienne, jugée couveuse d’« analphabètes trilingues » ? Ils la traitent de suppôt des laïcs. Elle veut introduire des écrivains algériens dans les manuels scolaires ? Ils lui reprochent de faire preuve de démagogie. L’enseignement de la darija, l’arabe dialectal ? Une atteinte intolérable à la langue sacrée du Coran.

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Certains jurent même que la ministre est à la solde du sionisme international en raison de ses origines supposées juives. Bref, Benghebrit dérange. « Ces accusations glissent sur elle comme des gouttes de pluie, avance l’un de ses proches. Ceux qui la critiquent n’affichent pas le dixième de son CV. »

Native d’Oujda, d’origine andalouse, petite-fille du fondateur de la Mosquée de Paris, Nouria Benghebrit, 64 ans, est docteure d’État en sociologie de l’éducation. Enseignante et auteure de plusieurs livres sur l’école, elle a longtemps dirigé le Centre national de recherche en anthropologie sociale et culturelle (Crasc).

Ceux qui la connaissent la décrivent comme une femme opiniâtre, travailleuse, ouverte au dialogue et au compromis et peu portée sur la politique politicienne. Nul doute que cette session de rattrapage du bac sera une épreuve encore plus difficile pour elle que pour les candidats.

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