Marchica : le rêve que le Maroc exporte à Abidjan
Lors de son lancement il y a dix ans, le projet écotouristique semblait irréalisable. Mais la dépollution et le réaménagement de la lagune de Marchica sont devenus réalité. Reportage dans le nord du royaume, au cœur d’un grand chantier qui transforme le littoral de Nador et dont le modèle sera bientôt reproduit en Côte d’Ivoire.
Du haut de ses 900 m, le mont Gourougou surplombe le grand Nador : une plaine urbaine nichée entre la chaîne du Rif et la mer Méditerranée, encerclant une lagune naturelle s’étendant sur 25 km de long et 7 km de large. Bienvenue à Marchica (littéralement « petite mer »), l’une des plus belles cartes postales du royaume. Un décor naturel que les habitants de Nador croyaient, il y a une dizaine d’années à peine, perdu à jamais. Mais aujourd’hui, tous l’admettent : leur ville a changé, et la lagune a retrouvé de sa splendeur.
« L’objectif in fine est de faire de Nador l’une des principales destinations touristiques du Maroc, avec sept cités atypiques qui cohabitent en harmonie avec l’écosystème de la lagune », projette Saïd Zarrou, à la tête de la société publique Marchica Med et de l’Agence pour l’aménagement du site de la lagune de Marchica, qui pilotent le projet.
Ce chantier pharaonique est encore loin d’être achevé, mais il séduit déjà en dehors des frontières du royaume. Aujourd’hui, les Ivoiriens collaborent avec les Marocains pour transformer la baie de Cocody.
Un écosystème restauré
La résurrection de Marchica est un processus qui a démarré en 2006 avec des instructions royales visant la dépollution du site, qui vivait à l’époque un désastre écologique. L’évacuation, directement dans la lagune, des eaux usées en provenance de Nador et de ses environs faisait des ravages sur la faune et la flore.
Aujourd’hui, la nature reprend progressivement ses droits. À l’extrémité de la ville, sur l’une des berges, les poissons frétillent et les oiseaux nichent, signe d’un écosystème qui retrouve ses repères. « C’est le futur parc aux oiseaux. Afin de dépolluer cette zone, nous avons opté pour l’enfouissement des déchets. Nous comptons préserver son côté sauvage, avec uniquement des postes d’observation pour les ornithologues », nous explique Khalid Belouchi, directeur du pôle aménagement et environnement de l’agence Marchica, lors d’une visite guidée des chantiers en cours ou réalisés sur 20 000 ha.
Quelques kilomètres plus loin, en direction de la ville, une plage de sable est sortie de mer, à l’endroit même où les égouts d’assainissement étaient reliés à la lagune. « Avec la mise en service d’une nouvelle station de l’Office national de l’eau, nous avons pu dépolluer ce site et créer de toutes pièces cette plage de 1,5 km de long, au cœur même de la ville », indique notre guide.
Aujourd’hui, le site est devenu paradisiaque et la vie est revenue dans la baie.
En face de lui, une mère surveille son enfant qui barbote dans l’eau turquoise de la Méditerranée. « Ici, auparavant, la mer était noire, l’odeur, nauséabonde. On n’osait même pas s’approcher de cet endroit. Alors s’y baigner… », nous confie-t-elle. Même son de cloche sur l’autre rive de la lagune, à 7 km de là. Abdessadek – qui surveille sa canne à pêche sur le quai longeant la nouvelle passe, ouverte pour permettre une meilleure régénération de l’eau – a assisté à la métamorphose de Marchica : « Je viens pêcher ici depuis 1994, raconte-t-il.
Sur l’ancien canal aujourd’hui condamné, les sacs en plastique flottaient, le poisson disparaissait petit à petit. Mais, aujourd’hui, le site est devenu paradisiaque et la vie est revenue dans la baie. »
Outre l’ouverture de ce nouveau canal de 300 m de largeur, la dépollution de Marchica a consisté à repêcher 4 500 tonnes de déchets en tout genre. L’opération a mobilisé 700 ouvriers, travaillant manuellement ou à l’aide d’engins mécaniques, a coûté 1,5 milliard de dirhams (environ 133 millions d’euros) et a duré près de huit ans. La fin de cette phase de travaux, en juin 2014, avait été célébrée par la visite de PlanetSolar, le plus grand navire solaire du monde.
Tout un symbole pour souligner l’esprit écologique de l’aménagement touristique de la zone de Marchica. « Notre devise pour ce projet est de transformer la nuisance en plaisance », répètent en chœur les responsables de l’agence.
Un des exemples les plus éloquents se trouve sur la presqu’île d’Atalayoune, une des sept cités du projet, où les travaux sont déjà bien avancés. L’ancien site de lavage de minerai de fer (extrait d’une ancienne mine exploitée par les colons espagnols) a été enfoui grâce à la terre extraite des différents travaux de terrassement.
Aujourd’hui se trouve à cet endroit un parcours de golf, adossé à une académie dotée des derniers joujoux technologiques pour parfaire son swing. « Nous attendons juste l’inauguration officielle pour commencer à accueillir des champions internationaux ainsi que des sélections nationales, explique Marwane Chamsseddine, ancien entraîneur de la sélection marocaine de golf, débauché pour diriger ce nouvel établissement. Ils ont été séduits par nos équipements et par le cadre féerique qu’offre Marchica. »
En effet, ce green faisant face à un port de plaisance de 150 anneaux se trouve au cœur d’un complexe résidentiel comprenant des appartements et où seront aussi construites des villas de luxe.
« Les prix sont très compétitifs : nous proposons des villas de 1 000 m2 à 8 millions de dirhams, avec piscine à débordement et pont d’eau privé pour hors-bord. C’est à peine plus cher que le prix moyen dans le centre-ville de Nador, affirme Sami Bouhamidi, responsable des marchés à Marchica Med. C’est l’avantage d’être une société d’État, qui peut se contenter de marges bénéficiaires raisonnables. »
Mais l’agence Marchica ne compte pas développer seule l’ensemble du projet. Des conventions ont déjà été signées pour la construction de deux hôtels. L’ouverture du premier, que réalise l’Office national des chemins de fer (ONCF), propriétaire de La Mamounia à Marrakech, est prévue pour l’été 2017. « Et nous lancerons un appel à manifestation d’intérêt international pour les projets prévus sur la Cité des deux mers », ajoute Saïd Zarrou.
Car, si le projet Marchica prévoit des investissements dépassant les 40 milliards de dirhams, l’agence n’est dotée que d’un budget annuel de 300 millions de dirhams. « Étant donné l’état des finances publiques, il fallait faire un effort budgétaire et temporiser, admet-il. Mais nous avons signé une convention avec l’État qui nous permet d’avoir une rallonge de 900 millions de dirhams pour saisir les opportunités qui se présentent dans le foncier ou pour des prises de participations. »
Une bonne partie des investissements consentis par l’agence Marchica a été consacrée aux infrastructures et à la requalification urbaine de la ville de Nador. Aujourd’hui d’ailleurs, les engins travaillent à plein régime sur une route qui constituera la nouvelle entrée de la ville. Idem sur la corniche, où des travaux d’aménagement sont réalisés. Deux tranches sur cinq sont déjà achevées. Dans les quartiers périphériques aussi, un travail titanesque a été mené.
Un projet qui n’a pas d’abord séduit
« Il n’y avait rien ici, ni électricité ni eau potable et encore moins de réseau d’assainissement, explique le directeur de l’aménagement de Marchica, en faisant un crochet par le quartier Tirkâa. Même cette route n’existait pas, il fallait convaincre les habitants un par un de laisser exproprier une partie de leurs terrains pour aligner les constructions et construire cette voie, par laquelle une ambulance peut aujourd’hui passer. »
Cette requalification urbaine, qui devrait s’achever en 2020, a été une des priorités de l’agence depuis sa création. « On ne pouvait pas concevoir un site touristique en laissant des quartiers à l’abandon ou en négligeant les infrastructures », affirme Saïd Zarrou. Cette priorité est devenue quasi une urgence, avec le vent de contestation qui a soufflé sur le royaume en 2011, dans le sillage du Printemps arabe, alors que l’agence Marchica en était encore à ses balbutiements.
Certaines mesures, comme le gel du développement immobilier pendant dix-huit mois – le temps d’avoir une vue d’ensemble sur le territoire -, ou encore des décisions d’expropriation pour utilité publique, ont été souvent mal perçues par la population. Mais, petit à petit, le projet a su fédérer les habitants.
« On constate que les choses sont en train d’évoluer à Marchica. Et bien sûr que nous sommes prêts à déménager si nous sommes convenablement dédommagés », témoigne Tarek, la trentaine, qui a déjà eu vent du futur « village des pêcheurs » – une des autres cités du projet – qui remplacera Douar Imrane, où il tient une échoppe.
On nous a promis de faire de Marchica la future Dubaï mais on n’a encore rien vu
Pour mettre ce projet sur les rails, la mise en place d’un statut d’agence de développement a été salvatrice. Avec son conseil d’administration composé des présidents de conseils locaux élus et des représentants de treize ministères (dont l’Intérieur, l’Urbanisme, l’Écologie et les Finances), l’agence Marchica a pu échapper à certaines lourdeurs bureaucratiques.
Mais en raison de ses pouvoirs élargis et de son rôle de moteur de développement pour la région à travers sa filiale Marchica Med, les attentes de la population sont encore plus grandes. « On nous a promis de faire de Marchica la future Dubaï. Mais on n’a encore rien vu », s’insurge Ahmed Soultana, qui préside une association dans la petite commune d’Arekmane.
S’il reconnaît que des quartiers ont été requalifiés, que des emplois ont été créés, il reste selon lui tant à faire. Mais le projet Marchica est loin d’être achevé. Il ne sera pas finalisé avant 2025… voire 2030.
LES CLÉS DU MONTAGE FINANCIER
Apurer le foncier, réaliser les plans d’urbanisme, édifier les infrastructures… L’Agence pour l’aménagement du site de la lagune de Marchica a de nombreuses prérogatives. La structure publique tire son financement du budget de l’État. Une convention avec le gouvernement a été signée pour lui allouer 3 milliards de dirhams (270 millions d’euros) sur les sept prochaines années.
Il s’agit donc d’investissements dans des projets structurants. Mais, pour la valorisation, l’agence s’appuie sur une société publique, Marchica Med, dont le capital, de 850 millions de dirhams, est détenu à parts égales entre l’État et le Fonds Hassan-II pour le développement économique et social. Cette entreprise publique a réalisé en propre une partie de la première des sept cités de la lagune, Atalayoune, avec sa marina et son académie de golf au cœur d’un complexe résidentiel.
D’autres partenaires publics comme l’ONCF ou encore Atlas Hospitality (filiale de la Royal Air Maroc) sont impliqués au travers des projets hôteliers, en cours de réalisation sous la supervision de l’agence. Un type de convention que l’agence dirigée par Saïd Zarrou a l’ambition de signer également avec des investisseurs nationaux et internationaux.
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