Côte d’Ivoire : comment Ouattara voit l’après-Ouattara
Il consulte, écoute, discute, réfléchit, hésite… Le chef de l’État sait que sa réforme constitutionnelle sera cruciale pour l’avenir du pays. Enjeux : en finir avec l’ivoirité, stabiliser les institutions et préparer sa succession.
Il y pense depuis des années et la prépare depuis des mois. Comme s’il fallait en passer par cette réforme constitutionnelle pour enfin tourner la page. Ses lieutenants répètent à l’envi qu’Alassane Ouattara y voit « l’occasion de moderniser la loi fondamentale » et de la marquer de son sceau…
Mais tout se passe comme si lui, l’ancien Premier ministre de Félix Houphouët-Boigny, écarté à deux reprises de la course à la présidentielle pour « nationalité douteuse » sur la base de textes fabriqués sur mesure par ses adversaires (code électoral pour l’élection de 1995, Constitution pour celle de 2000), tenait enfin sa revanche. Alors Alassane Ouattara tâtonne. Il réfléchit, consulte et hésite, tant sur la méthode que sur le fond.
En début d’année, Ibrahim Cissé Bacongo, l’ancien ministre de la Fonction publique et de la Réforme administrative, a été nommé conseiller spécial chargé de la révision constitutionnelle. Depuis des mois, en coulisses, le chef de l’État consulte ses plus proches collaborateurs et ses alliés du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI). Un comité d’experts chargé de proposer un projet de nouvelle Constitution a été mis en place, en juin. Les partis d’opposition, les chefs religieux et les organisations de la société civile ont été sollicités.
Les limites de la stratégie
Mais c’est bien dans l’antichambre de la présidence que tout se décide, et cette stratégie qui consiste à multiplier les angles de réflexion et les consultations, si elle permet de désamorcer les points d’achoppement sans dévoiler les véritables orientations de la réforme, commence à montrer ses limites.
Le Front populaire ivoirien (FPI) tendance Aboudramane Sangaré est contre le projet, presque par principe. Il réclame une Assemblée constituante « pour que le peuple, dans toutes ses composantes, s’exprime ». La tendance Pascal Affi N’Guessan, elle, demande au président de « reconsidérer le projet, de le repositionner dans le cadre d’une démarche démocratique et transparente ».
Au PDCI, si la ligne officielle consiste à soutenir un texte « qui reprend plusieurs idées déjà proposées par le parti, comme la création d’un Sénat ou celle d’un poste de vice-président », on se prépare aussi « à négocier ardemment les points cruciaux pour préserver [ses] intérêts », explique un député du parti.
Et d’ajouter, confiant, que le PDCI « ne peut être pas être marginalisé, sauf à mettre en péril une alliance qui dure depuis la présidentielle de 2010, qui est appelée à se consolider lors des prochaines législatives et même à déboucher sur la création d’un parti unifié, si cher à Alassane Ouattara ». La menace a le mérite d’être clairement formulée.
Personne n’est en mesure de dire à quoi ressemble ce texte ni comment l’appeler
Paradoxalement, c’est au sein du Rassemblement des républicains (RDR), le parti présidentiel, que le sujet fait le plus jaser. En ligne de mire, déjà, la succession du chef en 2020. Le mouvement tout entier est à l’affût du moindre indice qui permettrait de savoir qui le président choisira comme dauphin. Avec qui élabore-til le projet, en interne ?
Quelques noms sont cités : celui d’Amadou Gon Coulibaly, le fidèle secrétaire général de la présidence, l’un des rares auxquels Alassane Ouattara fait entièrement confiance ; Henri Konan Bédié, l’indispensable allié électoral ; Guillaume Soro, l’ancien chef de la rébellion devenu président de l’Assemblée nationale et actuel numéro deux de l’État, qui, en dépit de sa rétrogradation qui se profile dans l’ordre protocolaire, a décidé de jouer le jeu ; enfin, Jeannot Ahoussou Kouadio, ministre d’État chargé du Dialogue avec les partis.
Malgré tout, les questions en suspens restent aussi nombreuses que les rumeurs. « Personne n’est en mesure de dire à quoi ressemble ce texte ni comment l’appeler : avant-projet ? avant-avant-projet ? brouillon numéro un, numéro deux ? », s’amuse un baron du RDR.
Un examen méticuleux
Sans doute une partie des réponses se trouve-telle, ces jours-ci, dans les couloirs du luxueux Sofitel Hôtel Ivoire, à Abidjan, où le comité d’experts a pris ses quartiers. C’est là que, chaque jour, l’équipe dirigée par le constitutionnaliste Ouraga Obou – qui avait déjà présidé les travaux de la révision constitutionnelle de 2000 – se réunit afin de tirer la substantifique moelle de ces consultations. Ces dix experts se connaissent pour la plupart, certains sont même des amis de longue date.
« Les réunions sont moins passionnées qu’en 2000, mais elles sont très sérieuses car le sujet tient en haleine la nation tout entière », explique un membre du comité, qui préfère garder l’anonymat. Et si le président leur avait, au départ, fixé un délai d’un mois pour achever leur travail, il vient dans la plus grande discrétion de leur accorder un mois supplémentaire, jusqu’à août.
Une nouvelle échéance qui ne devrait pas perturber, selon les proches du pouvoir, le calendrier de la réforme : adoption en Conseil des ministres courant août ou début septembre, examen du texte à l’Assemblée nationale en septembre, référendum en octobre.
Pourtant, la partie s’annonce serrée. À l’Assemblée, des députés de la majorité – pour l’essentiel issus du PDCI – font entendre depuis quelques jours une petite musique dissonante. Ils refusent tout simplement de voter la loi organique déterminant les modalités d’organisation du référendum censé ouvrir la voie à une révision de la Constitution (loi pourtant adoptée en Conseil des ministres en avril) et exigent de voir au préalable le texte de la réforme. Tactique politicienne pour faire monter les enchères ou réelle volonté de faire entendre leur voix ?
« Quoi qu’il en soit, cela frise le ridicule, déclare un conseiller du chef de l’État. Cette loi organique doit justement permettre de lancer le processus référendaire. » Cette fronde augure en tout cas de longues heures de négociations au moment de l’adoption du projet de révision en lui-même qui, avant d’être présenté au peuple, devra être voté par l’Assemblée nationale à la majorité des deux tiers, ainsi que le prévoit l’article 125 de la Constitution.
Les points cruciaux
Mais ce texte, que contient-il au juste ? Selon nos informations, certains points sont d’ores et déjà acquis. Au premier rang de ceux-ci, le désormais célèbre article 35, relatif aux conditions d’éligibilité à la magistrature suprême. Les candidats devront « être Ivoirien[s] d’origine, né[s] de père ou de mère eux-mêmes Ivoiriens d’origine ».
« Ou », et non plus « et ». Il a été un temps envisagé de modifier l’âge requis (il faut actuellement être âgé de 40 à 75 ans pour se porter candidat). L’idée semble avoir fait long feu, certains, comme Bédié, arguant qu’il faut une certaine maturité pour diriger un pays et d’autres objectant respectueusement qu’il faut aussi savoir se retirer… Un mandat unique de six ans a par ailleurs été proposé, sans toutefois soulever l’enthousiasme, notamment auprès de la génération montante au sein du RDR.
Autre modification prévue : la création d’un poste de vice–président, à l’américaine, élu sur un ticket avec le président de la République, au suffrage universel. Il pourra remplacer le chef de l’État en cas d’absence et lors de ses déplacements. Surtout, il sera son dauphin constitutionnel.
C’est donc lui qui, en cas de vacance du pouvoir, terminerait le mandat en cours sans avoir à organiser une élection anticipée – un chamboulement dans l’histoire du pays, où le dauphin constitutionnel a toujours été le président de l’Assemblée nationale. La nouvelle Constitution comportera aussi une clause exceptionnelle et transitoire permettant à Alassane Ouattara de nommer son vice-président en attendant le scrutin de 2020.
À qui reviendrait ce poste ? Pas à Guillaume Soro, qui a certes annoncé qu’il souhaitait rester au perchoir après avoir reçu l’assurance que les décisions de l’Assemblée primeront sur celles du Sénat et qu’il présidera le Congrès lorsque les deux chambres seront réunies. Le nom d’Amadou Gon Coulibaly circule en revanche avec insistance et, au RDR, personne ne s’offusque du fait qu’il soit originaire du nord du pays, à l’instar de Ouattara.
La constitution en préparation pourrait permettre au Président de la République de cumuler les fonctions de président de la République et de dirigeant de parti, par exemple
« En cas de vacance, le pouvoir ne peut échoir au PDCI. Pas après toutes ces années de lutte menées par le RDR ! » résume un baron du parti. De quoi justifier le maintien d’un poste de Premier ministre, plus opérationnel, occupé par un membre du PDCI, comme c’est le cas aujourd’hui avec Daniel Kablan Duncan.
D’autres points sont en cours de discussion. La modification de l’article 54, qui empêche de cumuler les fonctions de président de la République et de dirigeant de parti, par exemple. Une incompatibilité qu’Alassane Ouattara souhaiterait supprimer, selon plusieurs sources, alors que d’autres y voient un acquis démocratique sur lequel il ne faut surtout pas revenir.
La création d’un Sénat est quant à elle quasi certaine, même si l’idée hérisse nombre d’Ivoiriens, qui y voient surtout une planque lucrative pour politiques en fin de carrière. Les discussions se poursuivent sur le mode de désignation de ses membres.
Enfin, certains grands principes, tels que l’égalité de droits entre hommes et femmes (avec la création d’un conseil national des femmes) devraient être mis en avant, tout comme le refus de l’ensemble des discriminations liées aux origines, religieuses ou ethniques, et le rejet du concept d’ivoirité, qui devraient être consacrés dès le préambule de la Constitution.
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