France : Myriam El Khomri, la boss du Travail

Une partie de la gauche s’insurge contre son projet de loi, censée assouplir le marché de l’emploi et réduire le chômage. Les manifestations se succèdent, la jeune ministre Myriam El Khomri tient bon.

Se rendant à une réunion avec un syndicat étudiant, à Matignon, le 11 avril. © CHARLES PLATIAU/REUTERS

Se rendant à une réunion avec un syndicat étudiant, à Matignon, le 11 avril. © CHARLES PLATIAU/REUTERS

ProfilAuteur_AlainFaujas

Publié le 28 juin 2016 Lecture : 7 minutes.

«Loi El Khomri = vie pourrie ! », « Loi El Khomri = non merci ! », « Loi El Khomri = connerie ! » On ne peut pas dire que les manifestants qui battent le pavé depuis des semaines et lancent ces slogans fort peu amènes ménagent la ministre du Travail, de l’Emploi, de la Formation professionnelle et du Dialogue social… Et pourtant !

Conspuée par une partie de la gauche pour son projet de loi qui vise à assouplir le code du travail, moquée par de nombreux camarades du Parti socialiste qui la dépeignent comme la marionnette du Premier ministre, Myriam El Khomri reste droite dans ses bottines et aussi opiniâtre que son sourire est éclatant : « C’est ma loi et j’irai jusqu’au bout pour qu’elle soit votée. » L’ancienne karatéka ne craquera ni ne cédera, car elle en est convaincue : ce texte est « nécessaire et juste » pour lutter contre le chômage.

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Comment s’est-elle retrouvée dans ce traquenard, et d’où lui vient la force de résister à la tourmente ? Si le président François Hollande n’avait usé et abusé de cet adjectif, le curriculum vitae de la ministre du Travail pourrait être qualifié de « normal ». Seule originalité : son métissage maroco-celtique, qu’elle revendique haut et fort.

Le goût de l’effort et de l’indépendance

Elle naît à Rabat le 18 février 1978 d’un père marocain et commerçant, issu d’une famille qui pratique un islam ouvert, et d’une mère bretonne et professeure d’anglais, issue d’une famille d’éleveurs de porcs qui pratique un catholicisme non moins ouvert. « À chacun sa foi », comme dit Myriam.

Elle vit jusqu’à l’âge de 9 ans à Tanger, mais ne parle pas l’arabe. Puis suit sa famille à Thouars (Deux-Sèvres) et à Mérignac (Gironde). À 17 ans, elle obtient un bac scientifique avec la mention assez bien. Elle rêve de devenir comédienne, mais la raison et ses parents la poussent vers le droit. Direction l’université de Bordeaux-IV.

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Elle monte à Paris et s’inscrit à la Sorbonne, où elle décroche, en 2001, un DESS de sciences politiques. Elle finance ses études grâce à des bourses et à des CDD de téléprospectrice, de vendeuse de maillots de bain ou d’hôtesse d’accueil.

À 23 ans, elle a acquis le goût de l’indépendance et la passion de « bosser », elle qui « vient d’un milieu où l’on ne s’apitoie pas sur son sort ». Alors qu’elle cherche un stage dans une administration, Claude Bartolone l’accueille au ministère délégué à la Ville, et la recommande à Annick Lepetit, maire du 18e arrondissement de Paris.

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Sa carrière est lancée. En 2001, elle est chargée des questions relatives à la prévention, à la sécurité et à la toxicomanie. En 2002, après l’échec de Lionel Jospin à la présidentielle, elle prend la carte du Parti socialiste. En 2008, elle est élue au conseil de Paris, adjointe à la protection de l’enfance et à la sécurité auprès du maire, Bertrand Delanoë, qui estime qu’elle « s’en est très bien sortie ». La même année, elle entre au conseil national du PS.

Elle soutient la candidature de Martine Aubry lors de la primaire socialiste de 2011 et intègre le bureau national du parti. En 2012, elle est élue suppléante de Christophe Caresche, député socialiste du 18e arrondissement. Elle devient l’un des porte-parole d’Anne Hidalgo, successeur de Bertrand Delanoë à la mairie de Paris.

Porte parole et à l’écoute

En juillet 2014, elle reçoit un coup de pouce du destin. L’ancien ministre Daniel Vaillant a convié des « jeunes pousses » socialistes à un déjeuner à La Table d’Eugène, mais, sans les en avertir, il a aussi invité le président de la République. Myriam en profite pour lui parler de la situation périlleuse des mineurs étrangers isolés.

Myriam, on peut partir en camp scout avec elle, elle a tout ce qu’il faut dans son sac à dos et n’a pas peur de la nuit, avance Laurence Rossignol.

Un mois plus tard, François Hollande lui propose d’entrer au gouvernement comme secrétaire d’État à la Politique de la ville en remplacement de Najat Vallaud-Belkacem… à laquelle elle s’opposait au sujet de la sortie de certains quartiers parisiens du dispositif des quartiers sensibles. Elle est si peu connue que Manuel Valls, le Premier ministre, écorche son nom à la télévision en l’appelant « El Kawi ».

Benjamine du gouvernement, elle se veut « la VRP des quartiers » et se rend fréquemment sur le terrain. Elle visite plus de cent villes, y compris celles tenues par le Front national, pour y « vendre » le plan de rénovation urbaine du gouvernement. En empathie avec les banlieues, elle écoute. Lorsque Manuel Valls parle d’un « apartheid » qui aurait contribué à sécréter ces zones d’exclusion, elle n’est pas d’accord avec cette analyse, mais elle ravale son opinion en bon petit soldat qui « la joue collectif ».

Manifestation contre le projet de loi El Khomri, à Rennes, le 14 juin. © MATHIEU PATTIER/SIPA

Manifestation contre le projet de loi El Khomri, à Rennes, le 14 juin. © MATHIEU PATTIER/SIPA

Au coeur de la controverse

Cette loyauté sans faille sera récompensée. Le 2 septembre 2015, François Hollande lui confie le poste prestigieux de ministre du Travail, que s’apprête à quitter François Rebsamen, un notable du PS. Un poste d’autant plus à risques qu’elle sera en première ligne pour combattre un chômage qui ne cesse de grimper et qu’elle devra défendre une loi sur la réforme du marché du travail conçue par Matignon… et qui va provoquer une tempête.

Pourquoi le président l’a-til choisie ? « Pour la com », persiflent les uns. Ou plutôt parce que c’est une femme, issue de l’immigration, plus socialo-compatible que le ministre de l’Économie, Emmanuel Macron, et qui, comme Najat Vallaud-Belkacem, représente cette jeune génération que Hollande veut mettre en avant.

N’est-elle pas « normale », elle qui habite porte de Saint-Ouen avec son mari informaticien et ses deux filles, Jasmine (5 ans) et Thelma (2 ans) ? « Normale » encore, avec son franc-parler qui lui fait défendre les prostituées, « ces êtres qui souffrent quand elles font des pipes à 5 euros » ?

Pourquoi a-telle accepté ce ministère alors qu’elle doit défendre une loi qui, selon nombre de ses camarades, déséquilibre les relations entre travailleurs et patrons, au détriment des premiers ?

« Ce texte est aux antipodes de ses valeurs », attaque Pascal Julien, élu écologiste de Paris. De là à la taxer d’opportunisme, il n’y a qu’un pas… D’autres la disent influençable, et dénoncent sa passivité face à un Premier ministre qui a fait des ajouts malvenus dans « son » texte et est allé jusqu’à corriger une interview qu’elle avait donnée au journal Les Échos.

Au PS, personne ne la déteste comme un Macron ou un Valls : un fait assez rare pour être remarqué…

Ceux qui la connaissent répliquent qu’on ne refuse pas le ministère du Travail quand on est convaincu, comme elle, que « tout n’a pas été tenté pour lutter contre le chômage » et qu’il « faut proposer des idées neuves, sans tabou, quitte à bousculer ». Certains jugent qu’elle n’a pas de ligne politique ; d’autres, au contraire, se félicitent qu’elle ne suive pas « le petit livre rouge du militant socialiste ».

Celle que ses proches décrivent comme une « vraie femme de gauche » cherche des solutions, avalant quelques couleuvres sans broncher pour parvenir à faire accepter « sa » loi.

Les syndicats lui reconnaissent un certain panache : à la CFDT, on affirme que « c’est quelqu’un de bien » ; chez FO, on concède qu’elle est « une bosseuse » qui connaît ses dossiers. Au PS, personne ne la déteste comme un Macron ou un Valls : un fait assez rare pour être remarqué… À droite, on la qualifie au pire de simple « exécutante » du projet présidentiel.

Elle-même avoue ses faiblesses : « Le manque de poids politique, le manque d’expérience et le fait que je sois une spécialiste de l’emploi et pas du droit du travail » – allusion à une interview à la station de radio RMC au cours de laquelle elle avait été incapable de dire combien de fois on pouvait renouveler un contrat à durée déterminée.

A-telle un avenir politique ? Sa trajectoire fulgurante s’achèvera-telle, au contraire, avec le quinquennat de François Hollande ? À vrai dire, elle n’en a cure, du moins pour le moment. Ce qui compte, c’est de « bosser » et d’aller « jusqu’au bout ».

Ce qui plaît, ce qui ne plaît pas

Le titre du projet de loi qui a mis le feu à la France est d’un ennui absolu, puisqu’il dit vouloir « instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs ». Un fourre-tout pas très clair.

L’idée de François Hollande, Manuel Valls et Emmanuel Macron est d’assouplir le code du travail pour redonner de la compétitivité aux entreprises françaises et les pousser à embaucher, mais sans accroître la précarité de leurs salariés.

Les mesures qui ont suscité la colère des syndicats contestataires (CGT, FO, SUD) et ravivé les divisions dans une gauche déjà éclatée concernent la primauté donnée aux accords d’entreprise sur les accords de branche, les dérogations aux trente-cinq heures de travail hebdomadaire, les baisses de salaires négociées en cas de mise en danger d’une entreprise ou le plafonnement des indemnités de licenciement accordées par les prud’hommes.

Les mesures qui ont persuadé les syndicats réformistes (CFDT, Unsa) d’accepter la loi El Khomri sont la garantie jeunes, destinée à mieux accompagner les 18–25 ans en difficulté dans la recherche d’un emploi, et le compte personnel d’activité, qui permettra de suivre les besoins de formation des salariés ou de tenir compte de la pénibilité de leur emploi. Le Parlement, convoqué en session extraordinaire, devrait adopter le texte au cours du mois de juillet.

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