RD Congo : la deuxième mort de Jean-Pierre Bemba

Parce que Jean-Pierre Bemba ne pouvait pas ne pas savoir, la CPI l’a condamné à dix-huit ans de prison. Une sentence qui sonne le glas des ambitions de celui qui fut, autrefois, le vice-président du pays.

Le 21 juin, quelques instants avant l’énoncé de sa peine. © POOL MICHAEL KOOREN/AFP

Le 21 juin, quelques instants avant l’énoncé de sa peine. © POOL MICHAEL KOOREN/AFP

ProfilAuteur_PierreBoisselet

Publié le 5 juillet 2016 Lecture : 6 minutes.

Les cernes sont creusés, la mine est déconfite. Sur sa chaise, dans la salle d’audience de la Cour pénale internationale (CPI), Jean-Pierre Bemba, 53 ans, est rongé par l’amertume. Son corps massif s’agite, l’ordinateur posé devant lui tremble. Meurtres, viols, pillages, crimes contre l’humanité, crimes de guerre… Chaque mot prononcé par la juge brésilienne Sylvia Steiner est un coup dans l’estomac.

Ce 21 juin, l’ancien chef de guerre écoute, impuissant, la lecture du jugement. Et puis la sentence tombe : dix-huit ans de prison. Une peine qui sanctionne en particulier les viols commis par ses troupes en Centrafrique, entre 2002 et 2003. Jamais encore la CPI n’avait eu la main aussi lourde.

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Pour Bemba, bien plus qu’une déception, c’est une injustice. Comme son entourage, il est convaincu que son procès a été le résultat d’un complot orchestré par le président congolais, Joseph Kabila, avec la complicité de certaines nations occidentales, pour contrecarrer ses ambitions présidentielles. Défait au second tour de la présidentielle de 2006, Bemba n’a cessé de vouloir prendre sa revanche.

Un retour en grande pompe compromis

Depuis son arrestation par la police belge, en 2008, il ronge son frein en préparant un retour qu’il a toujours pensé imminent. Ces derniers mois, il a encore reçu des acteurs politiques congolais, comme les opposants Vital Kamerhe, Moïse Katumbi et les meneurs du mouvement citoyen Filimbi. « J’ai été impressionné par la finesse de sa connaissance de l’actualité congolaise, témoigne l’un de ces visiteurs. Même à distance, il y a des choses qu’il comprend mieux que certains politiques restés à Kinshasa. »

Jean-Pierre Bemba a aussi continué à diriger d’une main de fer son parti, le Mouvement de libération du Congo (MLC), appelant régulièrement ses cadres et ne leur laissant que peu de marge de manœuvre. Le chairman a toujours procédé ainsi. C’était déjà le cas quand le MLC était encore une rébellion, dans le nord-ouest du pays. Et cela a sans doute aggravé son cas.

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Dans la longue liste des chefs de guerre congolais, Bemba a en effet un profil à part. Fils de Jeannot Bemba Saolana, un homme d’affaires qui a prospéré du temps de Mobutu, il a grandi dans une bulle de confort malgré le décès de sa mère, survenu lorsqu’il n’avait que 8 ans. Envoyé dans les plus prestigieuses écoles de Belgique, il est formé à la gestion des entreprises plutôt qu’à la tactique militaire. À la fin des années 1980, il termine ses études. Il n’a pas 25 ans, mais son père lui confie de nombreuses affaires.

Il se fait remarquer, gagne la confiance de Mobutu (les deux hommes sont originaires de la province de l’Équateur, dans le Nord-Ouest) et devient l’un de ses conseillers financiers. Son destin bascule quand Laurent-Désiré Kabila renverse Mobutu, en 1997. L’année suivante, Bemba prend la décision – surprenante au vu de son profil – de lancer une rébellion avec l’aide de l’Ouganda : le MLC est né.

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Bemba gère le mouvement comme ses entreprises : avec poigne et parcimonie. Dans les régions qu’il contrôle, il devient populaire. Le Mwana ya Congo (« fils du Congo », comme on l’a un temps surnommé) apparaît comme un rempart contre les « envahisseurs » venus de l’Est dans le sillage de Laurent-Désiré Kabila. Le mouvement se renforce en recrutant parmi les anciennes élites politiques, économiques et militaires du mobutisme.

Pour cet homme bien né, le verdict est tombé comme un coup de massue

Un appel pour espérer la réduction de peine

Entre 2002 et 2003, le MLC se convertit au mercenariat et se met au service du président centrafricain, Ange-Félix Patassé. Ce sont les crimes que ses troupes commettent alors qui lui ont valu d’être poursuivi par la CPI. Parce qu’il a lui-même passé une partie de cette période en Afrique du Sud, pour négocier la fin du conflit, Bemba pensait avoir un alibi de taille. Mais les juges ont retenu contre lui « son instruction et son expérience ». En somme, le MLC était trop bien organisé pour que Bemba ne puisse être tenu pour responsable.

Pour cet homme bien né, père de cinq enfants, ce fut un coup de massue. « Il est très amer, assure l’un de ses récents visiteurs. Sa seule obsession, désormais, c’est de trouver le moyen de sortir de là. » Les huit années qu’il a déjà passées en détention seront prises en compte, mais la peine qu’il lui reste à purger est encore longue. Trop pour lui permettre participer à la prochaine présidentielle. Surtout, selon la Constitution congolaise, sa condamnation même le rend inéligible.

Jean-Pierre Bemba mise donc tout sur le jugement en appel – probablement vers fin 2017. Mais rien ne dit qu’un deuxième verdict sera plus clément. Il y a même un risque que la peine soit alourdie puisque le bureau du procureur avait requis vingt-cinq ans contre lui. Mais l’espoir, si ténu soit-il, fait vivre Bemba. Il veut éviter que son parti ne soit victime d’une nouvelle hémorragie.

Pour ne rien arranger, le MLC a du mal à se maintenir dans son ancien fief

La liste de ceux qui ont quitté le MLC avec une partie de l’électorat est déjà très longue : José Endundo et Olivier Kamitatu comptent désormais parmi les soutiens de Moïse Katumbi. François Muamba et Alexis Thambwe Mwamba ont rejoint le président, tout comme Germain Kambinga ou encore Thomas Luhaka (l’ex-secrétaire général du MLC !), qui sont entrés au gouvernement. Privés d’espoir à court terme, les derniers fidèles de Bemba vont-ils leur emboîter le pas ?

Pour ne rien arranger, le MLC a du mal à se maintenir dans son ancien fief. Une seule des cinq nouvelles provinces nées l’année dernière du démantèlement de l’Équateur est restée sous sa coupe.

« Le centre du pays penche en faveur d’Étienne Tshisekedi et Moïse Katumbi tente de rassembler l’Est, analyse Franck Mwe di Malila, vice-ministre de la Coopération internationale et gendre du président du Sénat, Léon Kengo wa Dondo. Or les deux sont dans une logique d’affrontement [avec le pouvoir]. Dans ces conditions, la condamnation de Jean-Pierre Bemba a deux effets.

D’importantes conséquences

Elle est d’abord une mise en garde contre ceux qui, dans l’opposition et la majorité, seraient tentés d’utiliser la violence. Ensuite, l’ex-Équateur va naturellement se tourner vers Kengo. » Sauf que la région compte d’autres poids lourds, comme Nzanga Mobutu, le fils du défunt maréchal et beau-frère de Jean-Pierre Bemba.

Si Bemba doit exercer une influence sur le scrutin à venir, ce sera donc davantage en soutenant un autre candidat

L’autre base traditionnelle de Bemba, c’était Kinshasa, qu’il « partageait » avec Étienne Tshisekedi. Mais, en l’absence de ces deux leaders (Tshisekedi est toujours en Belgique), la capitale redevient une terre à prendre. La secrétaire générale du MLC, Eve Bazaiba, se démène pour occuper le terrain. C’est notamment elle qui a organisé la manifestation, à demi réussie, du 26 mai.

Pourrait-elle succéder à Bemba en tant que candidate à la présidentielle ? Elle reste évasive, préférant s’abriter derrière les instances du parti. « Tout le monde, y compris Jean-Pierre Bemba, devra se plier à la décision du collège des fondateurs », lâche-t-elle tout de même. Connaissant l’homme, on peut en douter. « Bemba a un côté pharaonique, résume un ancien compagnon de route. Il voudrait que ses collaborateurs soient enterrés politiquement avec lui. »

S’il doit exercer une influence sur le scrutin à venir, ce sera donc davantage en soutenant un autre candidat. Mais, là encore, rien n’est sûr. En 2014, le MLC avait participé aux concertations nationales voulues par le chef de l’État, mais avait refusé d’entrer au gouvernement. Aujourd’hui, il fait officiellement partie de la « dynamique de l’opposition », aux côtés notamment de Vital Kamerhe et de Martin Fayulu.

Mais le MLC n’est pas pressé de fondre ses forces dans un rassemblement plus large. Il n’a pas envoyé de représentant au grand raout de l’opposition qui s’est tenu à Bruxelles début juin. À n’en pas douter, le parti négociera âprement un éventuel ralliement. Reste à savoir ce que l’appui de Bemba vaudra encore, à ce moment-là.

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