Musique : Sexion d’Assaut, les (Wati) boss du rap français
Depuis quatre ans, de Paris à Kinshasa, leurs fans s’impatientaient. C’est confirmé : l’un des groupes de rap les plus populaires de sa génération va revenir avec un nouvel album. Retour sur une success-story française aux accents africains.
La date tant attendue par des milliers de fans en France, mais aussi sur le continent, d’Alger à Kinshasa en passant par Conakry, Abidjan, Bamako… se rapproche. C’est en août que sortira le nouvel album de Sexion d’Assaut, ainsi que l’avait annoncé en janvier sur un site spécialisé le producteur franco-malien Dadia Diakité, alias Dawala (1). L’occasion de revenir sur l’histoire du groupe, dont certains membres, Black M ou Maître Gims, sont devenus des icônes de la culture urbaine française.
À la fin des années 1990, alors que les héros du rap français du Secteur Ä – Passi, Stomy Bugsy ou encore Doc Gyneco – laissent peu à peu la place à une nouvelle génération qui porte un rap plus dur, hérité du gangsta américain, à l’image de Booba, la relève se prépare rue Milton, dans le 9e arrondissement de Paris. Ils ont la vingtaine, improvisent des freestyles, font preuve de virtuosité, de musicalité.
Bande d’amis lancés par Dawala
Leur flow est riche et leurs rimes décomplexées. Quitte à dire parfois « des conneries », reconnaîtra Lefa dans une interview aux Inrocks, en 2010. Ils sont ce qu’on appelle des « kickeurs ». À l’instar des rappeurs de Philadelphie, ils n’ont pas de projets discographiques, mais postent des vidéos sur YouTube. Leurs noms ? Lefa, Maître Gims, Barack Adama, Maska, Doomams, JR O Chrome, L.I.O Petrodollars. Ils sont la Sexion d’Assaut. Black M arrivera un peu plus tard.
À cette époque, H Magnum (2), rappeur d’origine ivoirienne, ami de Lefa, croise leur route. « Je faisais des freestyles à gauche, à droite, se rappelle-t-il. La Sexion, c’était avant tout des potes. Ils me disaient qu’ils rappaient mais je ne savais pas ce qu’ils faisaient. Quand je les ai entendus, je me suis dit « C’est du lourd ! »» .
Quand je les ai entendus, je me suis dit « C’est du lourd !
C’est Dry, rappeur du groupe Intouchable et proche de H Magnum, qui va présenter Sexion d’Assaut à un certain Dawala, un jeune homme producteur d’origine malienne qui s’est faire connaître avec ses compilation Pur Son Ghetto (PSG). Pour ce faire, ils lui organisent un petit guet-apens dans une cave à Châtelet. « Je suivais Dry un peu partout, se souvient Dawala, boss du label Wati B. Il allait un peu partout faire des feat. Un jour je l’ai accompagné à Paris, et on est arrivé dans une cave. Là je vois plein de petits jeunes qui me disent : « c’est toi Dawala de Pur Son Ghetto ?” Ils me connaissaient parce que la compilation avait fait parler d’elle. Ils m’ont demandé de les produire. Moi je leur ai dit que je n’y étais pas opposé mais que ça allait être compliqué. À cette époque jamais je me serais dit que ces jeunes là que j’ai vus auraient pu contrôler la musique aujourd’hui en France, en Europe. » H Magnum, présent ce jour là, se souvient : « Ils ont kické, kické, kické, raconte H Magnum. Dawala a lancé : « Je ne les lâche plus. » » Le tour est joué, le collectif est lancé.
Issus de la rue parisienne, abordant de larges thématiques, les membres de Sexion d’Assaut sont prolixes et multiplient les freestyles et les collaborations. En 2005, sous le nom de 3e Prototype, ils sortent une mixtape intitulée La Terre du milieu (Wati B). En 2007, ils enchaînent avec Le Renouveau, une mixtape diffusée uniquement sur internet. Ils font un premier buzz avec le clip du titre « Anti-Tecktonik », brûlot un peu idiot contre la danse alors à la mode. Maître Gims fait déjà la démonstration de la puissance de sa voix.
https://www.youtube.com/watch?v=WZLtmXuQb8M
Une succession de succès !
L’année suivante, le collectif écrase tout sur son passage. En janvier, il sort une mixtape intitulée Les Chroniques du 75, suivie quatre mois après de L’Écrasement de tête, qui se vend à 45 000 exemplaires et l’envoie – devenu un groupe resserré – sur les scènes de France.
En effet, le groupe, évoluant désormais sous le nom de Sexion d’Assaut, sort deux albums studio, L’École des points vitaux (en 2010 chez Wati B/Sony avec un premier vrai tube, « Désolé ») et En attendant l’apogée (2012), qui se sont vendus respectivement à 360 000 (physique et digital) et 500 000 exemplaires. De quoi fonder un petit empire au sein du label Wati B, dont les poulains vont pouvoir lancer des carrières solo d’envergure. La plus impressionnante est celle de Maître Gims.
Le Parisien, né à Kinshasa en 1986, s’est affirmé comme l’une des voix les plus populaires de l’Hexagone, touchant un large public par-delà les tranches d’âge et les origines. À l’instar des rappeurs américains, il s’affranchit des frontières entre les genres musicaux et produit une musique pop qui plaît au plus grand nombre. En 2013 il sort Subliminal, un premier disque solo, chez Wati B, qui franchit la barre du million de ventes après une réédition.
En 2015, il confirme sa place dans l’industrie du disque avec Mon cœur avait raison. Le succès est immédiat : le disque d’or est atteint en une semaine, et l’album s’est écoulé à ce jour à plus de 500 000 exemplaires. « Sapés comme jamais » – dont le refrain est en lingala -, le sixième single qui en est issu, fait atteindre des sommets à la pop africaine en France (près de 14 millions de vues sur YouTube).
« L’influence de l’Afrique dans notre musique est palpable, elle s’est faite naturellement, explique Lefa, Karim Fall de son vrai nom, l’un des fondateurs du groupe. Cela a été renforcé peut-être par le fait que Gims et moi avons des parents musiciens, on a peut-être aussi eu plus de facilités. » En effet, Lefa est le fils du jazzman sénégalais Cheikh Tidiane Fall, tandis que Maître Gims est celui du grand chanteur congolais Djanana Djuna. Lui aussi appartenait à un collectif historique : celui de Viva La Musica de Papa Wemba.
Un succès qui permet à Wati B d’être omniprésent. C’est l’ambition initiale du label, dont le nom vient du bambara warati be, qui signifie « à tout moment ». Aujourd’hui, l’ex-petit label parisien est devenu le leader (ventes additionnées) du hip-hop français et du merchandising qui va avec. Depuis 2012, 30 % de son capital pour les activités musicales est détenu par son distributeur, Sony, avec qui il partage des locaux dans le 9e arrondissement (non loin de là où est né Sexion d’Assaut). Mais la musique n’est plus qu’une activité parmi d’autres.
Celui que les rappeurs appellent dans leurs textes le Wati Boss, Dawala, a su développer ses affaires en bon businessman : textile, boutiques de vêtements, tourneur d’artistes (Wati Tour), distribution de boissons pétillantes sans alcool (Wati Bulles), production cinématographique avec Wati Film et un premier long-métrage, La Pièce, annoncé pour octobre prochain ou encore le coaching sportif.
Depuis trois ans, Wati Sport conseille, entre autres, les boxeurs Mohamed Diaby et Rafo Hasoyan, et est partenaire sponsor des équipes de foot du Montpellier Hérault Sport Club et du Stade Malherbe, à Caen, ou encore de l’équipe de basket du JSF Nanterre.
Idem pour Maître Gims, qui, à l’image du boss, s’en sort en affaires aussi. Il aurait vendu en 2014 à Universal la moitié des parts de son label Monstre Marin Corporation SAS pour 500 000 euros. Tout en restant sous contrat chez Sony pour sa carrière personnelle. Pas de doute, les ramifications du Wati business sont tentaculaires.
(1) Cet article a été mis à jour avec les propos de Dawala, qui n’avait pas reçu avant la parution de l’article nos demandes d’interview.
(2) H Magnum a sorti son album Gotham City le 22 janvier.
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