Jean-Joseph Boillot : « L’Algérie ne peut être la seule priorité de la Chine en Afrique »

Professeur agrégé en sciences sociales et docteur en économie, Jean-Joseph Boillot s’est spécialisé dans les pays émergents, notamment l’Inde, la Chine et l’Afrique, et étudie les liens qui unissent ces trois géants – actuels ou futurs – de l’économie mondiale. Il nous explique comment les relations sino-africaines, qui datent de l’indépendance algérienne, ont évolué sans jamais cesser d’exister.

Jean-Joseph Boillot, Économiste, coauteur de « Chindiafrique » et de « L’Afrique pour les nuls ». © Vincent Fournier/Jeune Afrique

Jean-Joseph Boillot, Économiste, coauteur de « Chindiafrique » et de « L’Afrique pour les nuls ». © Vincent Fournier/Jeune Afrique

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Publié le 5 juillet 2016 Lecture : 3 minutes.

Jeune Afrique : Comment définir la relation entre la Chine et l’Algérie ?

Jean-Joseph Boillot : La relation s’inscrit en trois temps. D’abord, dans les années 1950, alors que naissent les élites algérienne et chinoise. Dans le cadre de sa guerre d’influence contre le monde occidental, la République populaire de Chine est le premier pays du monde à reconnaître le gouvernement provisoire de la République algérienne, après l’avoir soutenu politiquement, diplomatiquement et militairement dans sa lutte d’indépendance contre la France.

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En 2000, lors du premier Forum sur la coopération sino-africaine (Focac), la stratégie de Pékin prend un virage essentiellement économique. L’ensemble du continent est visé : l’objectif chinois est de sécuriser à très long terme (quarante ans) ses sources d’approvisionnement énergétiques. Dans cette vision très pragmatique, l’Algérie devient un partenaire parmi d’autres. Enfin, dans les années 2010-2015, la Chine cherche surtout de nouveaux débouchés commerciaux mais aussi un statut de superpuissance.

L’Afrique, avec son milliard de consommateurs, est perçue comme un marché à fort potentiel où elle souhaite investir une partie de ses énormes réserves de change (environ 3 000 milliards de dollars). Dans ce contexte, l’Algérie redevient un partenaire important même si son marché est moins attractif que ceux de l’Éthiopie ou du Nigeria.

La corruption a-t-elle facilité l’expansion de la Chine en Algérie ?

La Chine n’a signé aucun accord particulier contre la corruption [tels que les guidelines de l’OCDE] et il est évident que deux pays qui ont ça dans les gènes sont faits pour s’entendre ! On estime que certains quartiers construits par des entreprises chinoises ont été surfacturés de 30 % à 50 %. Par ailleurs, une nouvelle clientèle algérienne prochinoise s’est formée au fur et à mesure que l’empire du Milieu est devenu le premier partenaire économique de l’Algérie.

Pékin utilise alors subtilement l’inimitié entre l’Algérie et le Maroc pour faire jouer la concurrence.

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Dans quelques années, à quoi pourraient ressembler les relations sino-algériennes ?

Ce qui a changé est que la Chine a autant besoin de l’Afrique que l’inverse, et l’Algérie figure sur cet échiquier. Pékin place ses pions comme dans un jeu de go et l’Algérie apparaît être une base privilégiée tout autant vis-à-vis de l’Afrique que de l’Europe du Sud. L’annonce, fin 2015, de la construction d’une usine de montage automobile va dans ce sens. Cela répondrait aussi à sa volonté affichée lors du dernier Focac d’industrialiser l’Afrique… au profit de ses groupes industriels.

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Sur ce point, l’Algérie n’est-elle pas en concurrence avec les autres pays de la région ?

Oui et non. Le Maroc n’a pas l’histoire de la relation sino-algérienne. Mais dans sa lutte d’influence avec l’Algérie, et dans le cadre de ses ambitions économico-diplomatiques, le royaume a fini par ouvrir ses portes à l’empire du Milieu. Pékin utilise alors subtilement l’inimitié entre les deux voisins pour faire jouer la concurrence. La Tunisie est en revanche perçue comme un petit marché, sans grandes ressources, et instable.

Avec l’Égypte enfin, la position proaméricaine de celle-ci, le risque islamiste et la crise font que Pékin ne sait plus sur quel pied danser, même si ses liens historiques avec le pays étaient aussi denses qu’avec l’Algérie. Reste bien sûr sa position stratégique avec le canal de Suez et tout le Moyen-Orient. Bref, l’Algérie reste assurément l’allié le plus sûr de la Chine dans la région.

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