Alain Karsenty : « Pour vendre du bois en Europe du Nord, la certification est obligatoire »
Après avoir gagné en popularité, les labels de bonne gestion forestière ont du mal à passer un nouveau cap. Avantages, inconvénients, alternatives : décryptage avec le spécialiste du Cirad.
Résponsabilité sociale des entreprises : panorama des pratiques et des défis en Afrique
« Jeune Afrique » propose un dossier détaillé sur les pratiques et les défis du secteur privé africain en matière de responsabilité sociétale des entreprises (RSE), de l’industrie minière aux hydrocarbures, de la microfinance à l’exploitation forestière. Tour d’horizon.
Ces dix dernières années, les surfaces forestières gérées de manière durable ont augmenté, notamment pour répondre à la demande des marchés du nord de l’Europe, qui exigent des garanties environnementales et sociales. Mais beaucoup d’acteurs, y compris de grandes entreprises transnationales, continuent d’exploiter leurs concessions sans prendre en compte ces enjeux.
Attentes des industriels, attitude de la Chine, concurrence des labels… Alain Karsenty, économiste au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), décrypte pour J.A. la montée en puissance de la certification en Afrique.
Jeune Afrique : La certification du bois progresse-t-elle sur le continent ?
Alain Karsenty : Aujourd’hui, le bois certifié FSC [Forest Stewardship Council] représente 4,5 à 4,8 millions d’hectares et de 30 % à 40 % des exportations. Ce label de « bonne gestion forestière » dominant en Afrique s’est donc beaucoup développé, mais il semble avoir atteint un cap difficile à passer alors même que certaines compagnies pourraient l’obtenir sans effort.
Si les grandes entreprises écoulant leur bois vers le nord de l’Europe le détiennent, d’autres – italiennes ou portugaises – n’ont pas sauté le pas. Par ailleurs, les certifications concernant uniquement la légalité de l’exploitation, et non la durabilité [règlement de l’Union européenne qui pénalise l’importation de bois illégal] sont souvent préférées à la FSC, car elles sont moins contraignantes.
Enfin, un cas de « décertification » a même été enregistré cette année : le belge Decolvenaere n’a pas demandé de renouvellement en raison de la présence d’une exploitation minière sur sa concession.
L’exploitation minière entre-t-elle régulièrement en conflit avec l’industrie du bois certifié ?
Cela arrive souvent, notamment en RD Congo et au Cameroun. Le problème se pose d’ailleurs aussi avec des permis agricoles. On observe régulièrement de nombreuses superpositions de permis sur des concessions forestières ou des aires protégées. C’est à la fois une question de coordination des décisions entre les services des ministères et un problème de cadastre.
Le cadastre minier a pratiquement partout priorité sur les autres utilisations des terres. Créer légalement un domaine forestier permanent, reconnaître des droits réels aux populations usagères, instituer des règles contraignantes de compensation écologique devraient pourtant prévaloir.
Quel est l’impact de la certification FSC sur les revenus des industriels ?
Il est difficile de connaître les primes sur le bois vendu, car les entreprises, confrontées à un environnement concurrentiel, ne font preuve d’aucune transparence. Certains vont dire que la prime est ridicule, voire qu’il n’y en a pas. On estime cependant qu’elle tourne autour de 15 % à 25 % en moyenne, bien qu’il y ait des variations importantes, notamment en période de crise, où les prix sont rabotés. Les sociétés ne veulent pas pour autant sortir de la certification FSC, sauf exception.
Celle-ci leur ouvre en effet les marchés les plus « écologiquement sensibles », tels les pays scandinaves, l’Allemagne, les Pays-Bas ou la Suisse, qui la demandent quasi systématiquement et paient bien. Se retirer du système FSC équivaut à s’exclure de ces zones. Le label est donc un moyen de se distinguer de ses concurrents. Et, avec la certification, les compagnies cotées en Bourse peuvent attirer des investisseurs sensibles à la dimension environnementale des placements.
Une certification panafricaine est envisagée depuis les années 1990. Les choses pourraient-elles enfin bouger ?
En effet. Au-delà des questions de prix, les industriels, au début très réticents, se sont convertis aux certifications, mais ils continuent de penser que le poids des ONG dans le FSC, initialement créé par WWF, est trop grand. Un label panafricain, dont le siège est installé au Gabon, a été mis en place, mais il n’a aucun client pour le moment, deux de ses principaux sponsors, les groupes Tropical Timber et Ganzer, l’ayant abandonné en 2003. Cependant, le débat est relancé.
Un nouveau critère de certification FSC est à l’étude qui entend refuser le label aux concessions comprenant des blocs de forêts non dégradées [Intact Forest Landscapes, des surfaces de forêts non fragmentées de 50km2]. Greenpeace soutient son adoption. La question doit être tranchée l’année prochaine. Si ce critère est retenu, il est probable que de nombreux concessionnaires, tel Rougier, seront obligés d’abandonner le label FSC. Ils relanceront alors probablement la certification PAFC [Pan africaine de certification forestière].
Si l’Europe est le marché historique de l’Afrique forestière, la Chine et surtout l’Inde et le Vietnam ont pris beaucoup d’importance ces dernières années.
La Chine est devenue un marché d’exportation important. Va-t-elle se convertir au bois certifié ?
C’est la grande inconnue. Pour l’instant, ce n’est pas le cas, en dehors de volumes limités qui sont achetés pour être réexportés vers l’Europe ou les États-Unis sous forme de contreplaqué ou de meubles. Mais on ne sait pas encore dans quelle mesure la Chine va adopter les certificats de légalité pour le bois qu’elle importe, ce qui changerait radicalement la donne. Pour le FSC cela prendra sans doute plus de temps.
Comment se porte le marché du bois africain ?
L’Europe est le marché historique de l’Afrique forestière. Mais la Chine et surtout l’Inde et le Vietnam ont pris beaucoup d’importance ces dernières années. Cette tendance de fond s’est toutefois inversée en 2015. Une baisse spectaculaire de la demande due au ralentissement de la construction chinoise a eu notamment un impact sur l’okoumé du Gabon, dont les surstocks ont fait dégringoler les cours des grumes et du bois scié.
Quel bilan tirez-vous de la politique gabonaise d’interdire l’exportation de grumes ?
C’est un échec. Il est regrettable qu’une mesure aussi lourde de conséquences n’ait pas été évaluée avant d’être adoptée. La production a diminué d’au moins 1 million de mètres cubes, soit 35 % à 40 % des volumes.
Les grumes gabonaises étaient compétitives car rares et relativement chères. La raison en est simple : il y a moins de grumes de belle qualité sur le marché parce que les ressources s’épuisent et que de plus en plus de pays veulent transformer. Les Chinois ou les Japonais se battaient donc pour en acquérir, quitte à payer cher.
Le Gabon s’est privé d’une ressource profitable pour produire quelque chose de très banal, des bois sciés et du contreplaqué. Et il est entré en concurrence avec tous ceux qui en faisaient déjà autant, à commencer par les Camerounais, dont les coûts de production sont de 20 % à 30 % inférieurs [en raison de salaires plus faibles]. Et surtout avec les Chinois, qui bouleversent le marché du contreplaqué depuis des années. Au Gabon, l’emploi n’a donc pas progressé et les revenus fiscaux se sont effondrés, car les produits transformés ne sont pas taxés à l’export.
Beaucoup de pays ont cette volonté – légitime – de transformer localement leurs matières premières…
En effet, et normalement la valeur ajoutée s’obtient par la transformation – à condition que ce soit efficace. Transformer n’induit pas nécessairement de valeur ajoutée, au contraire, la valeur peut diminuer. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas réguler l’exportation de produits bruts, mais il existe pour cela des instruments de politique économique meilleurs que d’autres.
Qu’en est-il du Cameroun ?
Il se porte un peu mieux sur le plan de l’économie forestière. Il a augmenté ses exportations de grumes pour combler le vide laissé par le Gabon. Mais il reste confronté à l’« informalisation » grandissante de l’exploitation du bois.
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