Décryptage : six questions sur les effets du Brexit en Afrique

En décidant de sortir de l’Union européenne, la Grande-Bretagne a provoqué un bouleversement dont on commence à peine à prendre la mesure. Et qui aura forcément des conséquences politiques et économiques pour le continent.

Le Premier ministre David Cameron et son épouse, Samantha, regagnant 
le 10, Downing Street, le 24 juin. © BEN STANSALL/AFP

Le Premier ministre David Cameron et son épouse, Samantha, regagnant le 10, Downing Street, le 24 juin. © BEN STANSALL/AFP

ProfilAuteur_AlainFaujas

Publié le 5 juillet 2016 Lecture : 6 minutes.

Comme le reste du monde, l’Afrique a été sidérée de voir 51,9 % des Britanniques se prononcer en faveur du Brexit, autrement dit d’une sortie de l’Union européenne (UE), qu’ils avaient rejointe en 1973. Tel un tremblement de terre, le référendum du 23 juin a fait plonger la livre sterling, déstabilisé toutes les Bourses de la planète et fait surgir une montagne d’incertitudes.

Les Britanniques, qui avaient apparemment mal mesuré les conséquences de leur vote, sont plus divisés que jamais. Leurs partis sont au bord de l’explosion, et leurs dirigeants semblent tétanisés. Alors qu’ils veulent prendre leur temps pour négocier une sortie qui ne les pénalise pas trop, les autres pays européens, tout aussi perturbés, les pressent d’ouvrir des négociations pour définir les modalités du divorce.

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Alors, partiront, partiront pas ? Vite ou lentement ? Dans la douleur ou en douceur ? Aux Africains qui se demandent si ce séisme affectera leur vie quotidienne, leur sécurité, leurs institutions ou leur économie, les experts n’apportent pas vraiment d’éléments de réponse. Trop tôt, disent-ils. Pour l’heure, seuls les gouverneurs des banques centrales du Kenya et de Maurice ont manifesté une certaine inquiétude. Un tour d’horizon des effets et des dégâts potentiels peut néanmoins être esquissé.

1. Les économies africaines pâtiront-elles du Brexit ?

Pendant au moins les deux ans que dureront (au minimum) les négociations entre la Grande-Bretagne et l’UE, peu de choses devraient changer pour les Africains. En revanche, ils pourraient être affectés à court terme par un ralentissement économique de la Grande-Bretagne (deux points de croissance en moins ?), lui-même dû à l’austérité budgétaire à laquelle recourra sans doute le gouvernement britannique pour compenser la fuite des capitaux, la chute de la livre sterling et l’aggravation des déficits. Déjà pas bien vaillante, l’économie européenne en subira le contrecoup.

Les immigrés africains risquent de trouver plus difficilement un emploi en Grande-Bretagne, et donc d’envoyer moins d’argent dans leur pays d’origine. Enfin, l’Afrique tout entière pourrait être confrontée à une baisse des importations britanniques et européennes.

Soit moins de fleurs exportées par le Kenya, moins de charbon vendu par l’Afrique du Sud, moins d’automobiles produites par le Maroc… et aussi moins de coton, de café, de cacao, de cuivre et de bois tropicaux vendus au Nord. Les économies qui pourraient souffrir le plus sont celles qui commercent beaucoup avec la Grande-Bretagne, c’est-à-dire l’Afrique du Sud, le Ghana, le Kenya et le Nigeria.

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Tout n’est pas si sombre pour autant. Compte tenu du Brexit, la Réserve fédérale américaine devrait renoncer à augmenter ses taux d’intérêt dans les prochaines semaines. Ainsi, les pays africains emprunteurs, qui redoutaient une hausse de leurs remboursements, pourront respirer. À commencer par l’Afrique du Sud, dont le rand devrait moins se trouver sous pression.

Enfin, la ruée des spéculateurs sur l’or, valeur refuge en ces temps d’incertitudes, laisse espérer une remontée significative de son prix à ses pays exportateurs, de la Mauritanie à l’Afrique du Sud.

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Banque et commerce, des secteurs à surveiller

À moyen terme, les problèmes pourraient venir de deux directions. Première source de difficultés, le secteur bancaire, les établissements britanniques étant très présents en Afrique orientale et méridionale. La fragilisation de la City de Londres, inévitable en cas d’exclusion de l’UE, compliquera la vie financière et le négoce dans cette zone. Les valeurs boursières cotées à la fois sur les places de Londres, de Johannesburg et de Lagos pourraient elles aussi pâtir d’une chute de la Bourse anglaise.

Seconde source de difficultés : les Africains devront renégocier avec la Grande-Bretagne une cinquantaine d’accords commerciaux qui avaient été signés avec l’UE, ce qui créera des obstacles au commerce et aux investissements. Le départ des Britanniques très peu protectionnistes rendra l’UE plus soucieuse de protéger son marché intérieur face à la concurrence des pays du Sud.

En outre, si le Brexit provoquait une panique sur les marchés, une nouvelle baisse des cours des matières premières ou une guerre des monnaies au niveau mondial, les capitaux quitteraient sans nul doute l’Afrique pour gagner des places plus sûres, ce qui interromprait tout net la croissance du continent.

La Grande-Bretagne délaisserait-elle alors l’Afrique non anglophone ? Elle y est peu présente, que ce soit en matière de commerce, de finances ou d’aide au développement. Elle pourrait être tentée en revanche de redynamiser ses échanges avec les pays africains du Commonwealth, mais les changements seraient imperceptibles.

2. L’aide au développement sera-t-elle affectée ?

En principe, non. La Grande-Bretagne est l’un de donateurs les plus généreux du monde, et il faudrait que ses finances soient en grande difficulté pour que conservateurs et travaillistes abandonnent la priorité qu’ils s’accordent à donner à l’aide au développement. La contribution annuelle britannique (10 %) au budget européen de l’aide sera redirigée vers le budget national et répartie sous une forme bilatérale. Le budget européen sera réduit d’autant, mais le total alloué à l’Afrique ne changera pas.

Le plus grand risque pour l’aide au développement tient à la chute de la livre sterling, qui risque de se poursuivre si le Brexit est mal maîtrisé. En effet, le budget de l’aide britannique a déjà perdu en quelques années 10 % de sa valeur en dollars, soit 1 milliard de dollars environ, du fait de la dévalorisation de la livre.

3. Le Brexit entraînera-t-il une perte de l’influence européenne en Afrique ?

Évidemment, mais pas au point que les pays du continent se retirent de la Cour pénale internationale de La Haye ou que le franc CFA rompe toute attache avec la Banque de France, comme certains le rêvent à bon droit. Et puis, avant d’en arriver à un déclin sensible de l’influence européenne, il faudrait que l’Afrique améliore très nettement sa gouvernance, qu’elle ne sollicite plus l’intervention sur son sol de forces armées occidentales, qu’elle soit dirigée par une Union africaine politiquement forte et qu’elle pèse plus que 3 % dans le commerce mondial.

4. La lutte contre le terrorisme sera-t-elle affaiblie ?

Non, car ce ne sont ni le Royaume-Uni ni l’UE qui combattent les terroristes islamistes au Sahel, mais la France et les États-Unis. En revanche, la Grande-Bretagne, qui coordonne l’aide militaire à la Somalie, confrontée aux Shebab, pourrait être tentée d’y baisser les bras en cas de difficultés budgétaires.

5. Les diplomates européens vont-ils devoir démissionner de l’UE ?

Oui. Par exemple, le passeport britannique de l’ambassadeur de l’UE au Maroc lui interdira d’occuper ce poste réservé aux ressortissants des États membres. Toutefois, il se chuchote à Bruxelles que des solutions pourraient être trouvées pour maintenir en fonction des sujets de Sa Gracieuse Majesté qui souhaiteraient rester européens…

6. Quelle leçon pour l’Union Africaine ?

L’UA est loin du niveau d’intégration politique et économique de l’UE, et le départ du Maroc de ses instances (pour cause de différend sur le Sahara occidental) n’avait pas eu jadis la portée qu’a aujourd’hui la sortie de la Grande-Bretagne de l’UE. Toutefois, le Brexit et ses suites, qui s’annoncent douloureuses, devraient rappeler aux Africains qu’il n’y a que l’union qui fait la force et qu’un repli populiste, clanique ou tribal mène inévitablement à une impasse.

ILS TOQUENT À LA PORTE

Après le séisme du Brexit, nouveau coup de théâtre ! Boris Johnson, le bouillant ténor de la campagne en faveur de la sortie de l’UE, s’est dégonflé. Il a renoncé à briguer la succession de David Cameron, le Premier ministre démissionnaire.

Dans les prochaines semaines, un comité parlementaire issu du Parti conservateur devra choisir deux des cinq candidats déclarés. Puis, le 9 septembre, un vote de les 150 000 adhérents départagera les deux finalistes. Favoris de la compétition : Theresa May, 59 ans, ministre de l’Intérieur, favorable (mais modérément) au maintien du royaume au sein de l’UE, et Michael Gove, 48 ans, ministre de la Justice, qui a fait campagne en faveur du Brexit au côté de Boris Johnson.

Les autres candidats sont Stephen Crabb, 43 ans, ministre du Travail et des Retraites, hostile au Brexit ; Andrea Leadsom, 53 ans, ministre de l’Énergie et l’un des hérauts du Brexit ; Liam Fox, 54 ans, ancien ministre de la Défense, qui lui était lui aussi favorable.

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