Paul Bulcke : « Non, Nestlé ne veut pas se désengager de l’Afrique »

On a cru que le géant de l’agroalimentaire faisait marche arrière en Afrique subsaharienne. Mais six mois avant de passer la main, le patron de Nestlé rassure quant aux intentions et aux ambitions du groupe sur le continent.

Le dirigeant belge est à la tête du groupe depuis 2008. © CHRIS GOODNEY/BLOOMBERG VIA GETTY IMAGES

Le dirigeant belge est à la tête du groupe depuis 2008. © CHRIS GOODNEY/BLOOMBERG VIA GETTY IMAGES

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Publié le 13 juillet 2016 Lecture : 5 minutes.

Il y a un an, la presse économique faisait ses choux gras de la déclaration de Cornel Krummenacher, patron Afrique équatoriale de Nestlé, qui faisait part dans le Financial Times de sa déception concernant le faible rythme de croissance de la classe moyenne en Afrique. Une lenteur qui affecterait les prévisions de revenus du groupe. En 2015, son chiffre d’affaires en Afrique subsaharienne était en baisse de -8,9 % sur un an, à 1,89 milliard de francs suisses (plus de 1,75 milliard d’euros). Néanmoins, selon son dernier rapport d’activité, la région connaît toujours une « solide croissance ».

Alors que certains avaient lu dans cette sortie d’un des dirigeants du géant mondial de l’agroalimentaire une volonté de réduire la voilure sur le continent – qui représente près de 13,2 % de son chiffre d’affaires -, son directeur général, Paul Bulcke, assure que le groupe entend rester sur le continent en dépit d’une conjoncture atone.

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Pour preuve, il a décidé d’y étendre son Initiative mondiale en faveur des jeunes, après l’avoir expérimentée en Europe et en Amérique latine. Il a ainsi annoncé la formation de 300 000 jeunes Africains sur trois ans lors de son Forum mondial sur la création de valeur partagée, le 21 juin à Abidjan. Quelques mois avant de céder son fauteuil à Ulf Mark Schneider, et probablement de prendre la présidence du groupe, Paul Bulcke s’en explique.

Jeune Afrique : La croissance de l’Afrique recule depuis le retournement des cours des matières premières. Cela vous inquiète-t-il ?

Paul Bulcke : Non. C’est dommage, mais si l’on exclut les pays qui ont le plus souffert de la chute des prix de ces matières premières, comme le Nigeria et l’Afrique du Sud, qui sont par ailleurs des économies importantes, le continent conserve une belle croissance de 5 %. Ce contraste entre les pays est aussi le reflet du processus de développement. Cela fait cent ans que nous sommes présents sur le continent, il y a des périodes favorables et d’autres moins.

Notre atout réside dans notre capacité à lire les lignes de force de ces économies. Certains pays ont connu des difficultés par le passé, comme la Côte d’Ivoire. Mais nous y sommes restés et nous nous sommes montrés créatifs pour gérer la situation. Notre entreprise est engagée auprès des pays où nous sommes installés.

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Même si votre chiffre d’affaires a reculé en Afrique subsaharienne en 2015, votre rapport d’activité conclut que cette région connaît une « solide croissance » malgré la pression due à la baisse du prix du pétrole. La classe moyenne africaine se développe donc bel et bien ?

Ces dernières années, elle s’est bien développée en Afrique de manière générale. Cependant, ce n’est pas une ligne continue. C’est pour cette raison que nous proposons des produits à la fois pour cette catégorie de consommateurs et pour toutes les autres classes de la société. C’est notre force.

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Il y a tout juste un an, pourtant, le responsable Afrique équatoriale de votre groupe s’est dit déçu par le rythme de croissance de la classe moyenne africaine. Il avait même annoncé des licenciements et des fermetures de sites. Avez-vous été mal compris ?

Cela a été mal interprété : nous parlions d’une situation spécifique à une région donnée. Nous avons procédé à un ajustement par rapport à une usine en Afrique de l’Est, qui a touché en tout une soixantaine d’employés. Et nous en avons construit une autre [en Côte d’Ivoire] qui a recruté 150 personnes. Nous sommes en train de connaître une croissance en Afrique qui implique plus d’emplois. Mais parfois nous sommes obligés de procéder à des ajustements et à des affinements. Cela a été pris comme une volonté de Nestlé de se désengager. Cela fait peut-être de bons titres, mais cela ne cadre pas avec nos intentions.

Maintenez-vous l’objectif de réduire les effectifs de 15 % ?

Oui, mais sur un site précis, dans un pays. Ce n’est pas 15 % dans toute l’Afrique, comme certains le prétendent.

Nombre d’entreprises spécialisées dans les biens de consommation connaissent des croissances à deux chiffres. Les difficultés que vous rencontrez ne sont-elles pas plutôt la conséquence de votre stratégie ?

Non ! Nous avons une croissance à deux chiffres dans plusieurs pays d’Afrique subsaharienne, en dépit de la mauvaise passe des matières premières. Si l’on nous compare avec ces autres sociétés, nous avons l’une des meilleures croissances sur le long terme.

Cela fait cent ans que nous sommes là, on devrait donc déjà nous considérer comme une marque locale !

Avez-vous sous-estimé la concurrence locale, notamment par rapport à votre cube de bouillon Maggi ?

Cela signifierait que nous sommes prétentieux. Ce n’est pas notre style. Il y a toujours de la place pour d’autres concurrents, on ne peut pas dominer à 100 %. Par ailleurs, leur présence et leur succès sont une bonne chose, cela nous maintient sur le qui-vive et nous pousse à faire mieux. Parfois, ils nous prennent une petite part de marché, mais nous faisons tout pour la reprendre. Nous avons tous les atouts en main : les marques, les ressources humaines, la recherche, des solutions.

Envisagez-vous, comme Coca-Cola ou Kellogg’s l’ont fait l’année dernière avec les nigérians Chi et Multipro, d’acquérir certains de vos concurrents locaux ?

Cela fait cent ans que nous sommes là, on devrait donc déjà nous considérer comme une marque locale ! En Côte d’Ivoire ou ailleurs, les gens considèrent Maggi comme leur marque, compte tenu de son ancienneté. Je crois que le succès de Nestlé en Afrique tient au fait que nous faisons marcher ce que nous avons. Nous avons beaucoup de marques. Mais nous restons tout de même ouverts aux opportunités susceptibles d’accélérer notre développement. La concurrence nous stimule.

Vous comptez plus de 25 sites de production sur le continent. Alors que l’Afrique cherche à s’industrialiser, quels sont les freins au développement de sites de production agroalimentaire locaux ?

Il y en a plusieurs. Le marché interne est atomisé, il faudrait donc pousser vers l’intégration. Les infrastructures doivent être développées. Et la condition la plus importante en est la stabilité des réglementations et celle du climat des affaires. Dans ce domaine, on observe d’importantes avancées depuis quelques années.

Parvenez-vous à vous fournir en matières premières locales ?

Bien sûr ! En Afrique centrale et en Afrique de l’Ouest, près de 70 % de nos matières premières proviennent de la région. Notre objectif est de parvenir à 100 %. Cela fait partie intégrante de notre stratégie. D’où la promotion du concept de création de valeur partagée, qui permet la mise en place d’une chaîne de valeur à partir du producteur local, à qui nous achetons à un prix attrayant.

Vous avez injecté 1 milliard de dollars en Afrique sur ces cinq dernières années. Quelles sont vos ambitions jusqu’en 2020 ?

Nous investissons en permanence, et je crois que ce rythme de 1 milliard de dollars en cinq ans était assez élevé. De plus, cette somme ne concernait que les usines. Nous investissons beaucoup plus pour les marques et dans les ressources humaines. Nous allons continuer, puisque nous y croyons.

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