RD Congo : à petits pas vers le Grand Inga
C’est une étape cruciale avant d’espérer lancer le pharaonique projet hydroélectrique sur le fleuve Congo : la réhabilitation des barrages Inga I et II, vieux de plus de 30 ans. Plongée dans les entrailles de ces monstres de ciment en pleine cure de rajeunissement.
Du haut du belvédère, Henri Makap embrasse du regard toute la boucle d’Inga du fleuve Congo, sur une vingtaine de kilomètres. Le directeur de la production Ouest de la Société nationale d’électricité (Snel), un ingénieur hydroélectricien qui cumule vingt-neuf ans d’expérience à Inga et au Katanga, est fier de montrer l’étendue de son domaine.
« Tout le monde parle des barrages d’Inga, mais peu de journalistes y viennent avant d’écrire leurs articles », regrette-t-il, soucieux de montrer en détail les installations au visiteur qui a fait le déplacement, à 420 km à l’ouest de Kinshasa.
En ce début de saison sèche, le débit du fleuve le plus puissant d’Afrique – 41 600 m3 par seconde à son embouchure – est élevé. « C’est aux chutes d’Inga que le journaliste français Philippe de Dieuleveult a perdu la vie, en 1985, en descendant le fleuve avec son embarcation », rappelle Henri Makap, en désignant au loin une série de rapides peu engageants.
Projet tant attendu
Le directeur de la Snel estime le potentiel hydroélectrique de cet endroit à quelque 46 000 MW. De quoi donner du courant à une bonne partie du continent – dont la moitié des habitants n’a pas accès à l’électricité -, surtout si la série de six barrages supplémentaires du Grand Inga était construite et reliée à un gigantesque réseau de lignes à haute tension. Le tout constituant un mégaprojet auquel pensent les ingénieurs depuis… 1969 !
Au belvédère d’Inga, le pavillon d’accueil présente les projets de développement datant de cette époque, avec notamment le plan d’un immense réseau électrique qui partirait d’Inga et étendrait ses ramifications de l’Afrique du Sud à l’Égypte.
En attendant ce jour béni de l’édification du Grand Inga – qui semble encore bien loin -, Henri Makap est déjà fort occupé à piloter la réhabilitation des turbines des deux barrages existants, Inga I et Inga II. Mis respectivement en service en 1972 et en 1982, ils en ont bien besoin. Sur les quatorze turbines des deux installations, seules sept fonctionnent encore à peu près.
« Alors que les opérations de maintenance auraient dû intervenir après 50 000 heures de fonctionnement, le sixième groupe d’Inga I n’en a toujours pas bénéficié au bout de 237 000 heures ! » s’offusque le patron local de la Snel.
Lancée en 2014, la remise à niveau devrait coûter 1,1 milliard de dollars (environ 992 millions d’euros), dont 200 millions de dollars déjà dépensés, octroyés par la Banque mondiale en 2003. En ce début du mois de juin 2016, le chantier a atteint son pic d’activité, avec près de 500 ouvriers et techniciens – dont 140 expatriés – présents sur site, issus de groupes spécialisés dans l’hydroélectricité.
Parmi eux, il y a l’américain General Electric (qui a racheté la branche énergie d’Alstom en 2015), l’italien Franco Tosi Meccanica, l’allemand Voith, le français Cegelec ou encore le belgo-congolais Congo Energy (la branche BTP du groupe Forrest), dont les équipes s’activent sur les deux barrages.
Installations adaptées
Du belvédère, on peut contempler les ouvrages d’art en contrebas, alimentés par un canal de dérivation du fleuve Congo prenant sa source au barrage de Shongo, à 15 km en amont. Il dessert Inga I, puis Inga II.
Chacune de ces usines hydroélectriques rejette l’eau dans le lit principal du fleuve. « Nous avons besoin d’un débit de 2 100 m3 par seconde pour faire tourner les turbines. Avec le niveau d’eau du fleuve – toujours au-dessus de 10 000 m3 par seconde à Inga – et le dénivelé du site – près d’une centaine de mètres sur 2 km -, il n’y a pas de risque que nous manquions de puissance. En cas de crue, on utilise des déversoirs du canal vers le lit principal, ce qui empêche toute inondation des installations », précise Henri Makap, peu inquiet des aléas liés au fleuve.
Les 331 employés de la Snel qu’il dirige sur le site d’Inga supervisent le bon fonctionnement et la maintenance des turbines des barrages, mais aussi ceux des transformateurs et des stations électriques de départ vers les lignes à haute tension, ainsi que le dragage des canaux et bassins.
Deux cents mètres plus bas, au bord du lit principal du fleuve, le gigantesque hangar de l’usine hydroélectrique d’Inga II abrite huit turbines, dont trois fonctionnent au moment de notre visite. « La verrière du hangar, décorée par un artiste brésilien, représente en bleu le cours du fleuve Congo et en rouge les zones à potentiel hydroélectrique », explique le directeur, parcourant à grandes enjambées ce bâtiment, plus long qu’un terrain de football, qu’il connaît comme sa poche.
Au fur et à mesure que l’on se rapproche des turbines en activité, le bruit devient assourdissant. Chacune d’entre elles est alimentée par une conduite venue du barrage, au-dessus du hangar. Après 56 m de chute, l’eau entraîne à pleine force une roue reliée à un rotor.
Inga II, chaque rotor pèse 460 tonnes et chaque roue 100 tonnes, pour 8 m de diamètre.
« C’est ce dernier, tournant au milieu d’un stator [immobile], qui transforme l’énergie mécanique en électricité, avec une capacité de production de 178 MW pour chaque turbine à Inga II, contre 58 MW à Inga I », précise Henri Makap.
Dans le hangar, trois turbines sont en train d’être réhabilitées. Le visiteur peut observer à loisir leurs composants lors du démontage, de l’entretien ou du remontage effectués par les équipes de General Electric. Leur taille et leur poids sont impressionnants : à Inga II, chaque rotor pèse 460 tonnes et chaque roue 100 tonnes, pour 8 m de diamètre. Après un tour au niveau principal, au-dessus des turbines, nous voilà dans le « ventre » d’Inga II, 20 m plus bas, au niveau de la quatrième turbine, en phase de test après une opération de maintenance.
Le rotor étant toujours à l’entretien, on peut voir tourner à pleine vitesse l’axe de la roue entraînée par l’eau. Même si les systèmes de refroidissement et de graissage des rouages fonctionnent correctement – 10 800 litres d’huile sont à disposition dans une citerne adjacente -, il y fait très chaud, à cause des frottements qui subsistent.
Optimisation du traitement des pannes
Les turbines d’Inga II génèrent une tension de 16 000 volts qui, grâce aux transformateurs, passe à 220 000 volts avant de transiter sur les lignes à haute tension en direction de Kinshasa, mais aussi vers Kolwezi, au Katanga, où les groupes miniers ont désespérément besoin d’électricité. « Nous venons d’installer une nouvelle ligne vers Kinshasa et de rénover celle qui part vers le Katanga. Un système d’information par fibre optique nous donne désormais l’alerte en cas de coupure, auquel cas nous avertissons le service de maintenance basé à Kinshasa, doté de trois hélicoptères. Ces derniers peuvent se rendre directement au bon endroit pour effectuer des réparations en plein vol », se félicite Henri Makap.
Installés dans la salle de contrôle d’Inga II, les superviseurs et les techniciens de la Snel, qui travaillent par équipes pour une durée de huit heures, veillent jour et nuit sur les installations. « La turbine numéro 3, qui vient d’être réhabilitée, génère actuellement 143 MW », annonce Henri Makap, désignant l’un des écrans digitaux de son nouveau module informatisé de contrôle, qui affiche une dizaine d’indicateurs (niveau de production, vitesse de rotation, niveau d’huile, refroidissement, etc.).
« Grâce à ce système, nous sommes capables de comprendre en temps réel ce qui se passe et de diagnostiquer les pannes. Nous pouvons aussi redémarrer plus rapidement la turbine, en quatre minutes avec ce nouveau système, contre dix-sept auparavant », détaille le directeur de la Snel, qui souhaiterait le même équipement partout.
En comparaison, il nous montre les vieux modules des turbines 5 et 6, avec leurs écrans à aiguilles. « En juillet 2016, le groupe 5 d’Inga I sera réhabilité avec le même système, suivi en novembre par le groupe 2 d’Inga II, puis en décembre 2016 par son groupe 7. Nous sommes au début de la renaissance du site ! » s’enthousiasme-t-il.
Le financement, le dernier défi du Grand Inga
Mais il cherche encore les financements pour la rénovation de deux turbines à Inga I et de quatre à Inga II : « Une équipe d’experts japonais était hier sur site, pour étudier une éventuelle participation de leur gouvernement à la réhabilitation. »
Pour la Snel, la rénovation d’Inga I et d’Inga II est la première étape cruciale avant le Grand Inga, dont les contours, notamment financiers, sont encore incertains. Si la compagnie réussit à redonner aux installations leur puissance électrique d’antan (1 772 MW), elle pourra s’assurer un rôle clé dans l’exploitation du futur Grand Inga. Et, par ricochet, garantir le sort de ses salariés et de leurs familles vivant sur sa concession d’Inga, qui représentent quelque 7 000 personnes.
« C’est un défi managérial énorme, qui implique une formation en continu de nos opérateurs aux nouvelles technologies », fait valoir Henri Makap, néanmoins persuadé de pouvoir relever ce défi. Car si la Snel échouait à mener cette réhabilitation à bien, l’exploitation du futur Grand Inga pourrait être sous-traitée à des groupes étrangers, en particulier à ceux qui construiront les installations.
Forrest, un sous-traitant local multifonction
Le groupe belgo-congolais Forrest s’est positionné avec succès depuis 2009 sur les chantiers hydroélectriques de la RD Congo.
Sa filiale Congo Energy, partenaire du belge Tractebel, a travaillé à la remise en service de turbines à Koni et à Nzilo, au Katanga. C’est elle qui s’attelle actuellement à celle de deux groupes à Inga II. Elle pilote également le chantier des convertisseurs de la ligne à très haute tension entre Inga et à Kolwezi, au Katanga.
Quant à sa filiale AEMI, elle est sous-traitante de General Electric sur ses chantiers à Inga.
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