Tanzanie : John Pombe Magufuli, le président bulldozer

C’est un pur produit du système, et pourtant John Pombe Magufuli ne ressemble à personne. Réputé intègre et travailleur, le nouveau président veut en finir avec la corruption et les passe-droits. Les élites le détestent, mais le peuple l’adore !

Élu fin octobre 2015, le chef de l’État est déjà surnommé le Bulldozer, tant il paraît se moquer de passer en force. © Daniel Hayduk/AFP

Élu fin octobre 2015, le chef de l’État est déjà surnommé le Bulldozer, tant il paraît se moquer de passer en force. © Daniel Hayduk/AFP

Publié le 20 juillet 2016 Lecture : 5 minutes.

C’est une rue bondée de Dar es-Salaam dans laquelle tailleurs, ferrailleurs et vendeurs de légumes jouent des coudes pour se faire une place. Une rue où des petits salons de coiffure se serrent à côté des étals de bouchers et où un nom, un seul, est sur toutes les lèvres : celui du président John Pombe Magufuli, élu en octobre 2015.

Jusqu’alors, Magufuli était un quasi-inconnu, un homme politique finalement peu glamour, dont on savait qu’il était passé à deux reprises à la tête du ministère des Travaux publics. À la surprise générale, c’est lui qui a succédé à Jakaya Kikwete après avoir remporté, face à plus d’une trentaine d’autres prétendants, les primaires organisées au sein du Parti de la révolution (le Chama Cha Mapinduzi, au pouvoir depuis l’indépendance).

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Passage en force et débuts encourageants

Huit mois plus tard, les Tanzaniens ont appris à croire en ce dirigeant d’un genre nouveau, réputé bosseur et fonceur, qui a fait de la lutte contre la corruption et de l’amélioration des conditions de vie ses priorités et qui s’est, depuis son élection, lancé dans une chasse au gaspillage. Il y a déjà gagné un surnom : le Bulldozer. Bien sûr, il n’est pas le premier dirigeant à s’être fait élire sur la base d’un programme très radical et à revendiquer de solides valeurs morales. Beaucoup avant lui ont paru prometteurs, et beaucoup ont fini en autocrates inefficaces.

Mais John Pombe Magufuli, 56 ans, suscite déjà de fortes attentes et un enthousiasme certain. À Dar es-Salaam, le peuple se prend à rêver : aurait-il fini par trouver un chef capable de réveiller le « géant endormi » qu’est la Tanzanie ? Un président capable de tirer le meilleur de ses immenses ressources gazières et minières, encore largement inexploitées ?

« Magufuli prêche par l’exemple, résume Samuel Wangwe, de la Fondation pour la recherche économique et sociale à Dar es-Salaam. Quand il dit quelque chose, il le fait. Ce n’est pas un menteur. » En Tanzanie, le chef de l’État détient des pouvoirs très étendus, et Magufuli n’a, jusqu’à présent, pas craint d’en faire usage. Il a procédé à nombre de remaniements au sein des ministères et viré sans préavis les collaborateurs qui ne lui donnaient pas satisfaction (la rumeur veut que parfois, tel un célèbre empereur chinois, il se déguise pour faire quelques visites d’inspection dans les administrations).

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Il a pesé de tout son poids pour faire aboutir un processus électoral pourtant très décrié dans le territoire semi-autonome de Zanzibar, privant l’opposition de ce qui s’annonçait comme une victoire. Il n’a pas hésité non plus à utiliser la loi sur la cybercriminalité pour faire taire les critiques les plus acerbes – en juin, un homme a été condamné à trois ans de prison pour l’avoir insulté sur Facebook.

Coup de balai (médiatique)

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Professeur de chimie et fils de paysans, Magufuli a dès le départ annoncé la couleur. Il a renoncé aux célébrations de l’indépendance – traditionnellement somptueuses et fort dispendieuses – pour aller passer le balai dans les rues (un « coup » médiatique emprunté au Premier ministre indien, Narendra Modi).

Il a considérablement réduit les déplacements à l’étranger des officiels tanzaniens, validant lui-même les missions de ses collaborateurs, alors que son prédécesseur aimait tant changer d’air que ses concitoyens l’avaient surnommé Vasco de Gama. En présentant son tout premier projet de budget, en juin, il a promis d’allouer 40 % des dépenses de l’État au développement et aux infrastructures.

Magufuli veut briser les chaînes de la pauvreté

Les mesures en faveur des plus pauvres seront financées grâce à la réduction des dépenses courantes, a-t-il ajouté. Le gouvernement dans son ensemble a été prié de renoncer à ses petites extravagances, les sociétés privées seront davantage mises à contribution, tout comme les élites les plus riches, et le président s’est dit bien décidé à faire rentrer taxes et impôts dans les caisses de l’État. « Partout dans le monde, les gens parlent de Magufuli, se réjouit Othman Gendaiki, 76 ans, assis à côté d’un égout à ciel ouvert dans le quartier de Msasani, à Dar es-Salaam. Il veut briser les chaînes de la pauvreté. »

Il faut dire que de la plupart des Tanzaniens n’ont pas vu grand-chose des 7 % de croissance annuelle vantés par les statistiques officielles depuis quinze ans. C’est particulièrement vrai dans les campagnes, où plus des deux tiers de la population vivent encore dans l’extrême pauvreté. La production agricole n’a progressé que de 3 % ou 4 % par an, à un rythme insuffisant pour faire face à la croissance démographique (la population tanzanienne près de 55 millions de personnes – devrait doubler d’ici à trente ans).

Les partisans de Magufuli affirment que sa première mission est d’en finir avec le laxisme et la corruption, afin de reconstruire des institutions solides. Mais même eux s’inquiètent de sa propension à gouverner par décrets et à trancher, disent-ils, sans prendre garde aux conséquences. N’a-t-il pas, en tentant de mettre un terme aux importations illégales de sucre, entraîné de sévères pénuries ?

Les critiques s’élèvent

D’autres ont tiqué, mi-juin, en apprenant que le gouvernement exigeait désormais que les compagnies de télécoms à capitaux étrangers soient désormais cotées à la Bourse locale – elles ont six mois pour le faire. Très remonté, un avocat fait remarquer que lorsque Magufuli autorise les policiers à enlever les pneus des véhicules mal stationnés, c’est du vol. Ni plus ni moins.

Sa présidence ne peut pas être un one-man-show.

Forcément, le chef de l’État s’est déjà fait des ennemis. Il se dit même qu’au palais de State House il ne prend que les repas préparés par sa femme. « Les gens croient sincèrement qu’il y a un nouveau shérif en ville, explique l’ancien Premier ministre Salim Ahmed Salim. Mais je suis inquiet. Un jour, il va bien falloir qu’il change de méthodes. Sa présidence ne peut pas être un one-man-show. »

Les habitants du quartier de Msasani n’ont pas les mêmes réserves. « Magufuli est comme un soldat, s’enthousiasme Paulo Shiwala, 40 ans, employé dans un hôpital. Et quand vous êtes un soldat, vous ne devez pas sourire mais choisir vos intonations. C’est quand vous souriez que les gens volent. » Lui veut croire que le nouveau président continuera à travailler en faveur des plus pauvres et rêve que sa femme se lance dans les affaires : « Je voudrais lui trouver un petit café. Si Dieu le veut, et si Magufuli peut vraiment faire des miracles, il n’y a pas de raison pour que nous n’y parvenions pas. »

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