Littérature : Mektouba, saga algérienne de Karima Berger

Avec Mektouba, son quatrième roman, Karima Berger brosse le portrait d’une famille déchirée, parabole sur la destinée tumultueuse de son pays natal.

Illustration Mektouba © SAAD

Illustration Mektouba © SAAD

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Publié le 13 juillet 2016 Lecture : 3 minutes.

Depuis son premier roman, L’enfant des  deux mondes (éd. de l’Aube, 1998), Karima Berger explore régulièrement sa double culture franco-algérienne et questionne le rapport entre foi et expression religieuse. Mektouba, son huitième livre, ne déroge pas à la règle et creuse le sillon de cette quête identitaire et spirituelle.

« La dimension spirituelle fait partie de ma vie intime, explique celle qui est née en 1952 à Ténès, en Algérie, et s’est installée en France en 1975. Elle est une joie. Une douleur aussi, quand elle est défigurée en diktat religieux. Pourtant, c’est un instrument merveilleux qui nous permet d’ouvrir les yeux et de “décoller”, au sens poétique du terme, c’est-à-dire de nous relier à un monde autre que celui de cette réalité matérielle qui nous éteint, comme si nous étions morts avant même de mourir. »

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Destins liés d’un homme et d’une bâtisse

C’est justement du conflit entre spirituel et matériel que naît la trame de Mektouba. Le narrateur, le vieux El Hadj Yahia Ben Amar, reçoit une lettre de ses trois enfants, Souad, Louisa et Amine. Ils convoitent la Mektouba, maison achetée à un couple de Français au temps du bonheur avec sa femme, Dalila, morte peu après la venue au monde du fils tant attendu. Construite l’année de la naissance du patriarche, la Mektouba n’est pas qu’un lieu d’habitation, c’est le prolongement même du père. Son nom, « la destinée », renvoie à l’inextricable lien entre l’homme et la bâtisse qu’il a façonnée à son image.

Les murs sont les pages muettes de ses espoirs, de son deuil, de ses déconvenues… Bref, de sa vie. S’ouvre alors une faille intérieure : « Yahia est furieux : ses enfants, exilés, lui demandent ses dernières volontés ! Comment cela se peut-il ? Il a presque honte pour eux d’oser cette demande qui transgresse l’ordre des générations et celui du respect des anciens. »

Saga familiale sublimée par un souffle lyrique, Mektouba se prête à de multiples grilles de lecture. Empreint de symbolisme, ce roman brosse en filigrane un portrait doux-amer de l’Algérie.

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Une métaphore de l’Algérie 

Karima Berger le confirme : « La Mektouba est une métaphore de cette maison Algérie, ancienne possession française, trompée, désertée, trahie et dont chacun des enfants se demande de quel héritage il est le bénéficiaire et peut-être surtout, de quel héritage il pourra faire bénéficier les siens. L’épouse, cette belle femme très aimée par le héros, était la promesse d’un destin, d’un mektoub libre et algérien. Mais très vite elle disparaît sous le poids d’une emprise patriarcale et rétrograde. L’avenir est coupé ! »

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Rien n’échappe au fiel de Ben Amar, même pas le sacré. « Il est en colère de voir sa religion défigurée, explique l’auteure, il ne reconnaît plus rien de sa foi intime, il ne voit que tromperie, hypocrisie, lui aime se tenir tout près de son Seigneur. C’est sa seule protection, loin des calculs ou des comptes savamment alimentés pour “gagner” demain son paradis. »

Une instrumentalisation du religieux qui secoue personnellement Karima Berger : « Ma culture, ma religion que je ne reconnais plus sont l’objet de toutes les vindictes publiques. On entend parler d’“horreur musulmane” ou d’un “islam structurellement violent”. C’est terrible de se dire que je suis perçue comme l’enfant d’une culture qui a engendré des monstres. »

Prise en étau entre le marteau de la barbarie et l’enclume de la représentation caricaturale de l’islam, Karima Berger déclame sa profession de foi littéraire : « Vais-je défendre l’islam car on attaque les miens ? Je préfère décliner l’appartenance communautaire, il me semble que l’écriture c’est aussi ce chemin fait de solitude, individuel, singulier… et libre ! »

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