Sénégal : la décision de Macky Sall de retirer les enfants talibés des rues sera difficile à mettre en pratique
Le président Macky Sall ne veut plus voir de talibés mendier dans les rues. Mais il n’a pas précisé comment il compte éradiquer cette pratique, profondément ancrée dans la société.
Aux principaux carrefours de Dakar, ils avaient fini par faire partie du décor. Mais, à l’occasion de l’Aïd, Macky Sall a voulu attirer l’attention sur leur sort : « Tous les enfants ont la même dignité. Ce n’est pas parce qu’ils sont issus de milieux pauvres, modestes, qu’on doit les laisser à la merci de la rue. »
Quelques jours plus tôt, via Twitter, le président sénégalais avait annoncé une mesure aussi symbolique qu’inattendue : « Pour la protection des droits des enfants et des groupes vulnérables, j’ai ordonné le retrait d’urgence des enfants des rues. » Hasard du calendrier ? Le gouvernement américain venait de publier son rapport annuel sur la traite des personnes, dans lequel le Sénégal n’est pas à l’honneur.
Une question délicate
Le sujet est d’autant plus délicat à aborder dans le pays qu’il se confond avec l’islam. Les enfants qui mendient sont en premier lieu des talibés, élèves des daaras (écoles coraniques), envoyés dans les rues par des marabouts peu scrupuleux, souvent avec l’assentiment de leur famille. « Ce n’est pas une question religieuse, puisque les vraies daaras, qui enseignent [le Coran], ne laissent pas leurs talibés traîner comme ça », a martelé Macky Sall pour couper court à ce débat sensible, dans une société où nul ne peut faire fi des pesanteurs religieuses.
Une loi réprimant l’exploitation des enfants existe, mais elle n’a jamais été appliquée. Le signal envoyé par le chef de l’État marque donc une étape importante. Mais elle se heurte à une réalité têtue : dans la seule capitale, les estimations les plus optimistes font état de 30 000 enfants livrés à la mendicité. Seuls 150 ont, pour l’heure, été placés dans des centres ou ramenés dans leur famille.
Les capacités d’accueil risquent de rapidement saturer, d’autant que la mesure, pour salutaire qu’elle soit, semble avoir été prise sans concertation préalable avec les professionnels concernés.
S’il estime la mesure pertinente, Moussa Sow, le coordinateur national du Collectif des organisations et structures d’appui aux enfants et aux jeunes en difficulté, regrette qu’elle ait été adoptée sans y associer les travailleurs sociaux.
« Il ne faudrait pas que ces enfants deviennent pour leurs parents synonymes d’une menace de sanction, estime par ailleurs cet éducateur de rue. La mendicité des enfants a des racines profondément ancrées. Son éradication fait l’objet de résistances au sein de la société que la judiciarisation, seule, ne parviendra pas à régler. »
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