Mali : Djelimady Tounkara, un « guitar hero » très discret

Le guitariste du mythique Super Rail Band de Bamako révolutionne la musique traditionnelle. En toute modestie.

Le musicien malien et son groupe, à Bamako (2014). © sébastien rieussec/label bleu

Le musicien malien et son groupe, à Bamako (2014). © sébastien rieussec/label bleu

leo_pajon

Publié le 15 juillet 2016 Lecture : 2 minutes.

Coincé sur un côté de la scène du Studio de l’ermitage, à Paris, Djelimady Tounkara s’avance soudain sous les projecteurs. Le visage baissé sur sa guitare électrique, élégant dans son sobre boubou en bazin bleu, il se lance dans une improvisation échevelée. Sa main galope sur le manche de sa six-cordes à une vitesse effarante, imitant le « chant » du n’goni.

Quand tout à coup son jeu se tempère, on reconnaît les notes de la comptine française Frère Jacques. On a du mal à croire que le virtuose s’amuse à reprendre une rengaine pour enfants… jusqu’à ce qu’il fasse chanter les paroles au public, plutôt âgé, essentiellement constitué d’amateurs de musique savante.

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Parcours exemplaire

À 69 ans, après un parcours exemplaire, le guitariste ne se prend toujours pas au sérieux. Né à Kita, à l’ouest de Bamako, dans une famille de griots ( djeli en malinké), Djelimady est initié très jeune à la musique et apprend le djembé et le n’goni. Au grand désespoir de son père, il abandonne néanmoins ce dernier pour se focaliser sur la guitare. Précoce, doué, il rejoint l’orchestre national « A » de la République du Mali, créé le jour suivant l’indépendance du pays.

Mais c’est surtout au sein du Super Rail Band qu’il se fait connaître, accompagnant avec l’orchestre du buffet de la gare de Bamako successivement Tidiani Koné, Salif Keïta et Mory Kanté. Toutes ces pointures prendront leur envol. Djelimady, lui, reste. Il participe aux tournées africaines de la formation, qui prend le nom de Super Rail Band International, et en devient bientôt le coleader.

En 2001, le guitariste envisage néanmoins une carrière solo. Il signe l’album , puis Solon Kôno (2005) et, onze ans plus tard seulement (faute de producteur), Djely Blues un projet particulièrement ambitieux. Le Français Christian Mousset, qui a créé le Label bleu, consacré aux musiques africaines, et accompagné Djelimady parmi beaucoup d’autres artistes du continent, l’a encouragé à se passer de chanteur dans ce dernier disque.

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Virtuose

« C’était très compliqué parce qu’il ne souhaitait pas se mettre en avant, explique-t-il. Djeli a fini par accepter, mais, le jour où je suis arrivé dans le studio, je me suis rendu compte qu’il avait quand même embauché un chanteur ! Il a fallu le payer pour qu’il ne joue pas. »

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L’enregistrement des onze titres de l’album au studio Yeelen de Bamako n’a pas nécessité plus de quatre jours. « Djeli était incroyable, se souvient Christian Mousset. Il improvisait des tourneries superbes, puis suspendait la prise en disant : ‘‘Attends, je vais simplifier. Ça, c’est de la frime.’’ » Pour moi, c’est l’un des deux virtuoses africains de la guitare, avec Sékou Diabaté, mais à l’inverse de ce dernier il ne succombe jamais à la virtuosité gratuite. »

Assis près de son compagnon d’aventure, Djelimady Tounkara reste en retrait. Parfois, ses mains se mettent à danser sur un manche imaginaire pour expliquer ce phrasé si caractéristique de la musique mandingue qu’il a marié au blues, au flamenco, au mambo… révolutionnant au passage le style traditionnel. « L’important, résume-t-il laconiquement, c’est d’être original et moderne. » Après avoir collaboré avec le guitariste de jazz américain Bill Frisell, le rappeur Common ou le bluesman new-yorkais Taj Mahal, on a hâte de savoir quel nouveau sentier va aborder cet humble géant.

Djely Blues, de Djelimady Tounkara (Label bleu) © DR

Djely Blues, de Djelimady Tounkara (Label bleu) © DR

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