Présidence de l’Union africaine : feront-ils l’affaire ?

Réunis à Kigali, les chefs d’État du continent doivent choisir le nouveau président de la Commission de l’UA parmi trois prétendants. À moins que cette décision ne soit remise à plus tard pour laisser le champ libre à d’autres compétiteurs…

Le logo de l’Union Africaine. © Evan Vucci/AP/SIPA

Le logo de l’Union Africaine. © Evan Vucci/AP/SIPA

Christophe Boisbouvier

Publié le 15 juillet 2016 Lecture : 5 minutes.

De nouveaux déchirements en perspective ? Comme en 2012, avec le combat entre le Gabonais Jean Ping et la Sud-Africaine Nkosazana Dlamini-Zuma, la bataille pour la présidence de la Commission de l’Union africaine (UA) promet du sang et des larmes.

Officiellement, trois candidats briguent la succession de Dlamini-Zuma : l’Équato-Guinéen Agapito Mba Mokuy, la Botswanaise Pelonomi Venson-Moitoi et l’Ougandaise Speciosa Wandira-Kazibwe. La liste des candidatures est close depuis le 31 mars, et, logiquement, au cours de ce 27e sommet de l’UA, qui se tient à Kigali du 10 au 18 juillet, les 54 chefs d’État et de gouvernement de l’organisation doivent choisir l’une de ces trois personnes pour tenir la grande maison Afrique jusqu’en 2020.

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Un possible report de l’élection

Le problème, c’est qu’aux yeux de beaucoup ces trois candidats manquent d’envergure. Qui les connaissait avant cette année ? « Ils ne sont pas au niveau », disent plusieurs dignitaires africains cités par le journal sud-africain The Citizen. « Ils ne pèsent pas très lourd, et un certain nombre de chefs d’État ne sont pas satisfaits par ces trois-là », confie à Jeune Afrique le ministre des Affaires étrangères d’un pays francophone.

Le 16 avril, lors d’un forum sur la sécurité en Afrique, plusieurs décideurs se sont retrouvés à Bahir Dar, sur les bords du lac Tana, en Éthiopie. Sont là, outre le Premier ministre éthiopien, Hailemariam Desalegn, le président soudanais, Omar el-Béchir, d’anciens chefs d’État, comme le Nigérian Olusegun Obasanjo et le Sud-Africain Thabo Mbeki, et d’ex-dirigeants de l’ONU, tels le Ghanéen Kofi Annan et l’Algérien Lakhdar Brahimi.

C’est là que naît l’idée de rouvrir la liste officielle des candidats et de reporter l’élection. Très vite, deux noms circulent. Ceux de l’ancien président tanzanien Jakaya Kikwete et de l’ancien ministre sénégalais Abdoulaye Bathily.

lancien président tanzanien Jakaya Kikwete, s'il obtenait le feu vert de son pays pour se porter candidat, aurais toutes ses chances. © Bertil Ericson/AFP

lancien président tanzanien Jakaya Kikwete, s'il obtenait le feu vert de son pays pour se porter candidat, aurais toutes ses chances. © Bertil Ericson/AFP

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Un mois plus tard, le 14 mai, le président nigérian, Muhammadu Buhari, réunit autour de lui une dizaine de chefs d’État lors d’un sommet anti-Boko Haram à Abuja. L’opération « réouverture + report » prend corps. Dans les apartés de cette réunion, Macky Sall glisse le nom du candidat Bathily. Puis, le 4 juin, lors d’un sommet à Dakar, le président sénégalais abat son jeu.

Le nom du Sénégalais Abdoulaye Bathily a été proposé par le président Macky Sall et fait l'unanimité en Afrique de l'Ouest... du moins en façade. © Bruno Levy/JA

Le nom du Sénégalais Abdoulaye Bathily a été proposé par le président Macky Sall et fait l'unanimité en Afrique de l'Ouest... du moins en façade. © Bruno Levy/JA

Dans le communiqué final de cette réunion de la Cedeao, il obtient de ses quatorze partenaires d’Afrique de l’Ouest l’adoption du point suivant : « La Conférence décide de proposer à l’Union africaine de reporter les élections aux postes de cette organisation à janvier 2017 afin de permettre une meilleure préparation. » L’offensive contre les candidats officiels est ouvertement lancée.

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Les candidats aux multiples soutiens

Les trois prétendants de la liste du 31 mars vont-ils se laisser dévorer tout cru sans se battre ? Certainement pas. Il est vrai que la ministre botswanaise des Affaires étrangères, Pelonomi Venson-Moitoi, part à la bataille avec deux lourds handicaps. Le président de son pays, Seretse Ian Khama, ne se rend presque jamais aux réunions de l’UA, et la position du Botswana en faveur de la CPI provoque des réactions très hostiles de la part de plusieurs chefs d’État africains, notamment du Kényan Uhuru Kenyatta.

Mais les deux autres candidats sont soutenus par des présidents qui pèsent sur la scène africaine et comptent quelques alliés. Médecin de formation, l’Ougandaise Speciosa Wandira-Kazibwe bénéficie du réseau et de la combativité de son président, Yoweri Museveni. Envoyée spéciale de l’ONU contre le sida en Afrique, elle a montré des qualités de femme de terrain. Ces derniers jours, elle a été reçue par plusieurs chefs d’État, notamment le Gabonais Ali Bongo Ondimba et l’Érythréen Issayas Afeworki.

De son côté, l’Équato-Guinéen Agapito Mba Mokuy, qui est polyglotte et a longtemps travaillé à l’Unesco, à Paris, « fait une bonne campagne avec les moyens qu’il faut », reconnaît un haut diplomate d’Afrique de l’Ouest. Son parrain, le président Teodoro Obiang Nguema Mbasogo, met à sa disposition ses pétrodollars et son carnet d’adresses.

Mba Mokuy a été reçu notamment par Muhammadu Buhari et Uhuru Kenyatta. « En Afrique de l’Ouest, derrière l’unanimité de façade en faveur du candidat sénégalais, un tiers des chefs d’État sont sensibles aux appels de leur ami Obiang, murmure notre diplomate. De Djibouti à la RD Congo en passant par le Burundi, Mba Mokuy peut être soutenu par tous les chefs d’État qui partagent avec Obiang la même conception de la longévité au pouvoir. » A contrario, les mauvaises performances de son pays en matière de démocratie et de droits de l’homme peuvent lui coûter des voix.

Atouts et faiblesses de Kikwete et Bathily

Si aucun de ces trois candidats officiels ne fait consensus ou ne recueille les deux tiers des voix nécessaires pour être élu, le Tanzanien Jakaya Kikwete et le Sénégalais Abdoulaye Bathily ont toutes leurs chances.

Le premier « est très estimé par ses pairs », souligne un diplomate d’Afrique centrale. À la tête de la Tanzanie et de la Communauté d’Afrique de l’Est, il a montré des talents d’homme d’action, sans esbroufe. Mais il y a un gros hic. Pour l’instant, l’ancien président tanzanien n’est pas soutenu par son successeur, John Magufuli, qui lui reproche d’avoir manqué de fermeté contre la corruption. « S’il se présente, ce sera lui », pronostique notre source. Mais bien entendu, sans le feu vert de son pays, Kikwete ne peut pas être candidat.

En revanche, le candidat virtuel Abdoulaye Bathily est porté par son « patron », Macky Sall, dont il a été le ministre d’État à la présidence. Le double atout de Bathily, ancien dirigeant marxiste de la Ligue démocratique-Mouvement pour le parti du travail (LD-MPT), c’est d’être bilingue français-anglais et de militer pour le panafricanisme depuis ses années d’études à l’université de Dakar.

À force de participer à des meetings politiques sur le continent, il s’est construit un solide réseau. Dès les années 1980, à Abuja, il a rencontré le général Obasanjo, qui venait de rendre le pouvoir aux civils et de créer l’ONG Africa Leadership Forum. À la même époque, à Dar es-Salaam, le Sénégalais s’est lié d’amitié avec plusieurs militants anti-apartheid en exil, dont Baleka Mbete, l’actuelle présidente de l’Assemblée nationale sud-africaine.

Aujourd’hui, le professeur Bathily met à profit son poste de représentant spécial du secrétaire général de l’ONU en Afrique centrale pour montrer que l’ancien « gauchiste » est devenu un diplomate avisé. « Il a de la substance, et c’est un homme de convictions », dit de lui un ministre des Affaires étrangères d’Afrique centrale.

L’Algérie entre en lice

La Botswanaise, l’Équato-Guinéen, l’Ougandaise, le Sénégalais ou le Tanzanien… Le successeur de Dlamini-Zuma sera-t-il l’un de ces cinq personnages ? Ce n’est même pas certain. Si tout est reporté à janvier 2017, d’autres candidats peuvent entrer en lice. À commencer par le poids lourd Ramtane Lamamra. Du ministre algérien des Affaires étrangères, qui a été longtemps commissaire à la Paix et à la Sécurité de l’UA, « tout le monde connaît l’efficacité et la connaissance des dossiers », dit un ministre des Affaires étrangères d’Afrique de l’Ouest.

L’Algérie lâchera-t-elle le poste de commissaire Paix et Sécurité, qu’elle occupe sans discontinuer depuis quinze ans, pour celui de président de la Commission ? « Oui, répond ce ministre. Il y a quelques mois, l’Algérie était prête à céder ce poste au Nigeria en échange du poste de Dlamini-Zuma. » Bref, le jeu est plus ouvert que jamais.

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