Monde arabe : les tests de la honte

Un rapport de l’ONG Human Rights Watch dénonce les examens médicaux forcés dont sont victimes les homosexuels en Égypte, en Tunisie et au Liban. Les témoignages sont alarmants.

Premier défilé à Paris, le 1er juillet, de l’association Shams, qui défend les droits des jeunes LGBT d’origine maghrébine. © ons abid

Premier défilé à Paris, le 1er juillet, de l’association Shams, qui défend les droits des jeunes LGBT d’origine maghrébine. © ons abid

ProfilAuteur_SamyGhorbal

Publié le 27 juillet 2016 Lecture : 3 minutes.

Wassim, un jeune Tunisien de 19 ans, gardera des séquelles psychologiques à vie de son expérience traumatisante. Arrêté pour homosexualité, sur dénonciation, avec cinq de ses camarades dans un foyer d’étudiants de Kairouan, en décembre 2015, il a été forcé de se soumettre à un test anal à l’hôpital Ibn-Eljazzar. Son témoignage figure dans « Dignité avilie », le rapport de l’ONG Human Rights Watch (HRW) consacré à cette pratique assimilée à une forme de torture, qui sera dévoilé à Genève le 12 juillet et dont JA a pu prendre connaissance en exclusivité.

Une expérience traumatisante

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« Le médecin m’a demandé de me déshabiller, décrit le jeune homme. J’ai refusé. Il s’est alors tourné vers les policiers qui m’accompagnaient. Ils m’ont agrippé par le cou, insulté, menacé. Je n’avais pas le choix. Le docteur m’a demandé d’adopter la position de la prière. Il portait des gants. Il a commencé à m’examiner puis a introduit dans mon anus un long tube transparent, destiné, m’a-t-il expliqué, à vérifier la présence de sperme pour établir que j’avais eu des rapports avec un autre homme la veille. Je me sentais horriblement mal. C’était douloureux. Les dix minutes de l’examen m’ont paru une éternité. J’ai fini en pleurant. Pendant que ce médecin auscultait mon intimité, je l’entendais marmonner une invocation rituelle, “il n’y a pas de pouvoir plus haut que celui de Dieu”, et rire. J’étais dans un état de vulnérabilité extrême. Je n’arrive toujours pas à imaginer que des médecins acceptent de se prêter à cela. »

Les autres récits ressemblent point par point à celui de Wassim, d’où qu’ils viennent. Le test anal est une douteuse invention française, mise au point en 1857 par le docteur Ambroise Tardieu et destinée à repérer à coup sûr « six signes prouvant l’homosexualité passive ». Il est aujourd’hui jugé obsolète, dégradant et surtout sans valeur par la communauté scientifique. Ce qui ne l’empêche pas d’être massivement pratiqué en Égypte et, plus épisodiquement, en Tunisie et au Liban. Il est souvent couplé à d’autres tests : HIV ou stupéfiants.

pratique répandue sur le continent

« Ce phénomène fait tache d’huile, puisqu’il concerne aussi maintenant certains pays d’Afrique sub­saharienne, comme l’Ouganda, le Cameroun et la Zambie, note Neela Ghoshal, la coordonnatrice du rapport. Il est à mettre en relation avec la stigmatisation croissante des homosexuels observée dans ces régions. Cependant, ces tests sont loin de faire consensus. La plupart des officiels que nous avons rencontrés, y compris les partisans déclarés de la pénalisation de l’homosexualité, étaient révoltés quand nous leur avons rapporté l’existence de ces tests. Et la communauté médicale est très mal à l’aise. Nous croyons pouvoir encore endiguer ce phénomène, grâce à ce rapport, en construisant des coalitions, notamment avec les corporations de médecins. »

L’Algérie et le Maroc semblent avoir échappé à cette pratique

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L’exemple libanais est encourageant. En août 2012, une campagne des activistes de l’ONG The Legal Agenda avait forcé l’ordre des médecins à interdire la pratique de ces « tests de la honte » contraires à la déontologie. Acculé, Chakib Qortbawi, le ministre libanais de la Justice, demandera dans une circulaire qu’ils soient totalement proscrits. Depuis, cette interdiction a été globalement respectée, même si des policiers continuent fréquemment à menacer de soumettre au test anal des personnes arrêtées pour suspicion d’homosexualité, en particulier les réfugiés syriens, plus vulnérables.

« L’Algérie et le Maroc semblent avoir échappé à cette pratique, note Neela Ghoshal. En Tunisie, les cas sont isolés et s’apparentent davantage à des dépassements scandaleux qu’à une politique d’État. Le vrai point noir reste l’Égypte, où l’on assiste à une recrudescence spectaculaire de ces tests depuis le retour au pouvoir des militaires, en juillet 2013. Comme si le nouveau régime voulait donner des gages à une opinion conservatrice en persécutant les homosexuels, comme s’il voulait apparaître plus “vertueux” et impitoyable contre les “déviants” que les Frères musulmans eux-mêmes… »

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